Citation de Pablo Neruda

dimanche 30 décembre 2007

AMBASSADEUR A PARIS

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PABLO NERUDA A SON BUREAU DE 
L'AMBASSADE DU CHILI A PARIS EN 1972



Lorsque j'arrivai à Paris prendre mes fonctions d'ambassadeur, je me rendis compte que je devais payer un lourd tribut à ma vanité. J'avais accepté le poste sans beaucoup réfléchir, me laissant aller une fois encore aux caprices de la vie. J'étais séduit par l'idée de représenter un gouvernement populaire victorieux, après tant d'années de régimes médiocres et mensongers. Au fond, ce qui me fascinait peut-être le plus c'était d'entrer avec une nouvelle dignité dans cette ambassade où j'avais avalé bien des humiliations à l'époque où j'organisais l'immigration des républicains espagnols au Chili. Chacun de mes prédécesseurs avait contribué à ma persécution, tous m'avaient dénigré et m'avaient blessé. Le persécuté allait enfin s'asseoir à la place du persécuteur, manger à sa table, dormir dans son lit et ouvrir les fenêtres pour que l'air nouveau du monde dépoussière une vieille ambassade.

Mais le difficile était précisément d'aérer l'endroit. Son style salonnard, suffocant, me piqua les yeux et le nez quand, par un soir de mars 1971, j'entrai avec Mathilde dans notre chambre et que nous nous couchâmes dans les illustres lits où étaient morts, paisibles ou tourmentés, quelques ambassadeurs et ambassadrices. 

La chambre paraissait faite pour loger un guerrier et son cheval; il y avait un espace suffisant pour nourrir l'animal et abriter le sommeil de l'homme. Le plafond exhibait très haut ses douceurs décoratives. Les meubles étaient des choses pelucheuses, d'une vague couleur feuille-morte, sur lesquelles couraient des franges hideuses; un bric-à-brac mêlant des signes de richesse et de déclin. Les tapis avaient peut-être été beaux au début du siècle; ils avaient maintenant une couleur définitive d'allées et venues et une odeur mitée de conversations mortes et banales. 


PABLO NERUDA À TABLE DANS SA MAISON D'ISLA NEGRA


Pour corser l'affaire, le personnel qui, non sans nervosité, nous attendait, avait pensé à tout sauf à chauffer la chambre monumentale. Mathilde et moi nous passâmes engourdis notre première nuit diplomatique à Paris. La nuit suivante, le chauffage fonctionna. Après soixante ans d'existence, ses filtres étaient devenus inutilisables. L'air chaud du vieux système ne laissait passer que l'anhydride carbonique. Nous n'avions plus le droit, comme la veille, de nous plaindre du froid, mais nous sentions les palpitations et l'angoisse de l'asphyxie. Il nous fallut ouvrir les fenêtres au froid hivernal. Mes prédécesseurs étaient peut-être en train de se venger d'un arriviste qui, sans mérites bureaucratiques ni timbres généalogiques, venait là les supplanter. 

Nous pensâmes dès lors à chercher une maison où respirer avec les feuilles, l'eau, le vent, les oiseaux. Cette idée n'allait pas tarder à se transformer en obsession. Tels des prisonniers auxquels le rêve de liberté fait perdre le sommeil, nous cherchâmes a tout prix l'air pur hors de Paris.


Ma fonction était nouvelle et inconfortable, mais elle comportait un défi. Le Chili venait de faire une révolution. Une révolution à la chilienne, très analysée et très discutée. Les ennemis de l'intérieur et de l'extérieur s'aiguisaient les dents pour la détruire. Durant trois quarts de siècle les mêmes gouvernants s'étaient succédé sous des étiquettes différentes, sans rien changer, maintenant les haillons, les taudis, les enfants sans écoles et sans souliers, les prisons et le matraquage des gens du peuple. 


Désormais nous pouvions vivre et chanter. C'était cela qui me plaisait dans ma nouvelle situation. 


Les nominations diplomatiques exigent au Chili l'accord du Sénat. La droite chilienne m'avait toujours couvert de fleurs comme poète, discourant même en mon honneur. Il va de soi que ces discours auraient été prononcés avec plus d'allégresse s'il s'était agi de m'enterrer. Ma nomination d'ambassadeur fut ratifiée avec une majorité de trois voix. La droite et quelques hypocrites-chrétiens avaient voté contre, sous le secret des billes blanches et noires.


MATILDE URRUTIA ET PABLO NERUDA À PARIS EN 1971.  
PHOTO  AFP
Le dernier ambassadeur avait ses murs tapissés des photographies de ses prédécesseurs au grand complet; il y avait ajouté la sienne. C'était une collection impressionnante de personnages creux, à deux ou trois exceptions près, notamment en ce qui concerne l'illustre Blest Gana, notre petit Balzac chilien. Je fis décrocher tous ces spectres et les remplaçai par des figures plus solides : cinq portraits graves des héros qui donnèrent au Chili un drapeau et firent de lui une nation indépendante; et trois photographies de contemporains: Aguirre Cerda, ex-président progressiste de la République; Luis Emilio Recabarren, fondateur du Parti communiste; et Salvador Allende Inutile de dire que les murs s'en trouvèrent beaucoup mieux. 

Je ne sais pas ce qu'en pensèrent les secrétaires de l'ambassade, hommes de droite dans leur quasi-totalité. La réaction avait occupé l'administration durant un siècle. On n'engageait pas un concierge qui ne fût conservateur ou monarchiste. Les démocrates-chrétiens, à leur tour, en annexant l'étiquette « révolution dans la liberté », avaient montré une voracité parallèle à celle des vieux réactionnaires. Plus tard, les deux parallèles avaient convergé au point de ne former presque qu'une même ligne. 


La bureaucratie, les archipels des édifices publics, tout était rempli d'employés, d'inspecteurs et de conseillers de droite, comme si Allende et l'Unité populaire n'avaient pas triomphé au Chili, comme si le gouvernement et les ministres n'étaient pas maintenant des socialistes et des communistes.


En de telles circonstances, je demandai qu'on attribue la charge de conseiller d'ambassade à Paris à l'un de mes amis, diplomate de carrière et écrivain connu, Jorge Edwards. Bien qu'il appartînt à la famille la plus réactionnaire de toute l'oligarchie du pays, c'était un homme de gauche, sans adhésion à un parti politique précis. J'avais besoin d'un fonctionnaire intelligent, bien au courant de son métier et digne de ma confiance. Edwards était alors chargé d'affaires à La Havane. Selon certaines rumeurs, il avait eu à Cuba quelques difficultés. Mais, je l'ai dit, - je le savais homme de gauche et depuis longtemps, aussi je n'attachai pas d'importance à l'affaire.


Mon nouveau conseiller arriva très nerveux de Cuba et me raconta son histoire. J'eus l'impression qu'en l'occurrence tout le monde avait raison, comme cela arrive souvent dans la vie. Peu à peu, Jorge Edwards calma ses nerfs à vif, cessa de se ronger les ongles et travailla avec moi, fournissant la preuve de son intelligence  de sa loyauté et de ses capacités. Pendant ces deux années de dur travail à l'ambassade, mon conseil­ler fut mon meilleur compagnon et fonctionnaire, 
peut-être le seul de ce grand bureau à être politiquement impeccable.  

PARIS, FÉVRIER 1972 : ORLANDO LETELIER, PABLO NERUDA 
(AMBASSADEUR CHILIEN EN FRANCE)  ET CLODOMIRO ALMEYDA 
(MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES DU CHILI) LORS DES

Lorsque le trust nord-américain prétendit mettre l'embargo sur le cuivre chilien, une vague d'émotion parcourut l'Europe entière. Non seulement les journaux  les télévisions, les radios s'emparèrent de l’affaire  mais une lois de plus nous fûmes défendus par une conscience majoritaire et populaire.  
Les dockers de France et de Hollande refusèrent de décharger le cuivre dans leurs ports pour protester contre l'agression. Ce beau geste de solidarité émut le monde. De tels actes en apprennent plus sur l'histoire de notre temps que les chaires des universités. 

Je me souviens d'autres gestes plus humbles encore, mais non moins émouvants. Le surlendemain de l'embargo, une Française modeste habitant une petite ville de province m'envoya un billet de cent francs, fruit de ses économies, pour aider à la défense du cuivre chilien. Elle y ajoutait une chaleureuse lettre de soutien, signée de tous les habitants, du maire, du curé, des ouvriers, des sportifs et des collégiens. 


Du Chili m'arrivaient des messages de centaines d'amis, connus et inconnus, qui me félicitaient d’affronter les pirates internationaux. Expédié par une femme du peuple, je reçus un cageot qui contenait une calebasse, quatre poires d'avocat et une demi-douzaine de poivrons verts. 


En même temps, le nom du Chili avait grandi d'une manière extraordinaire. Nous étions désormais un pays qui existait. Avant, nous passions inaperçus dans la multitude du sous-développement. Maintenant, pour la première fois, nous avions une physionomie pampre et personne au monde n'osait nier la grandeur de notre lutte pour la construction d'un destin national.



J'avoue que j'ai vécu, p 501, 505. Editions Gallimard, 1975, Traduction de Claude Couffont

jeudi 6 décembre 2007

FIDEL CASTRO


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 FIDEL CASTRO ET PABLO NERUDA 
DANS L'AULA MAGNA DE LA UNIVERSITÉ 
CENTRALE DE VENEZUELA, 1959.
Deux semaines après son entrée victorieuse à La Havane, Fidel Castro arriva à Caracas pour une courte visite. Il venait remercier publiquement le gouvernement et le peuple du Venezuela pour l'aide qu'ils lui avaient apportée. Celle-ci avait consisté en armes pour les soldats. et, bien entendu, ce n'était pas Betancourt (élu depuis peu président) qui les avait fournies, mais son prédécesseur, l'amiral Wolfgang Larrazabal. Larrazabal était l'ami de la gauche vénézuélienne, communistes compris, et il avait approuvé l'acte de solidarité avec Cuba demandé par ces derniers.



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WOLFGANG LARRAZABAL ET FIDEL CASTRO DANS L'AULA
MAGNA DE LA UNIVERSITÉ CENTRALE DE VENEZUELA, 1959.
J'ai vu peu d'accueils politiques plus fervents que celui que les Vénézuéliens réservèrent au jeune vainqueur de la révolution cubaine. Fidel parla quatre heures durant sur la grande place de El Silencio, coeur de Caracas. J'étais l'une de ces deux cent mille personnes qui écoutaient debout et sans broncher ce long discours. Pour moi, comme pour beaucoup, les discours de Fidel ont été une révélation. En l'entendant parler devant cette foule, je compris qu'une époque nouvelle avait commencé pour l'Amérique latine. La nouveauté de son langage me plut. Les meilleurs dirigeants ouvriers et politiques utilisent d'ordinaire des formules dont le contenu peut être valable mais dont les mots sont usés et affaiblis à force d'être répétés. Ces formules, Fidel les ignorait. Ses phrases étaient naturelles et didactiques. Et lui-même semblait tirer au fur et à mesure la leçon de ce qu'il disait.

Le président Betancourt n'était pas là. L'idée d'affronter la ville de Caracas, où il n'a jamais été populaire, l'effrayait. Chaque fois que Fidel Castro le nommait dans son discours, on entendait aussitôt des sifflets et des huées que les mains de l'orateur tentaient, d'interrompre. Je crois que ce jour-là une inimitié définitive se créa entre Betancourt et le révolutionnaire cubain. Fidel n'était alors ni marxiste ni cummuniste et ses paroles le prouvaient. J'ai dans l'idée que ce discours, la personnalité fougueuse et brillante de Fidel, l'enthousiasme populaire qu'il suscitait, la passion avec laquelle le peuple de Caracas l'écoutait, chagrinèrent Betancourt, politicien à l'ancienne, adepte de la rhétorique, des comités et des conciliabules. Depuis, Betancourt a poursuivi de sa hargne tout ce qui, de près ou de loin, est lié à Fidel Castro ou à la révolution cubaine.

Le lendemain du meeting, comme je me trouvais sur le terrain du pique-nique dominical, un groupe de motocyclistes vint m'apporter une invitation de l'ambassade de Cuba. On m'avait cherché toute la journée. La réception était pour le soir même. Mathilde et moi partîmes directement pour l'ambassade. Les invités étaient si nombreux qu'ils débordaient hors des salons et des jardins. La foule se pressait autour de la résidence et il était difficile de se frayer un passage dans les rues avoisinantes.

Nous traversâmes des salons pleins d'invités, une tranchée de bras qui levaient des coupes de cocktail. Quelqu'un nous conduisit à travers des couloirs et des escaliers jusqu'à un autre étage. Dans un endroit retiré, Celia, l'amie et la secrétaire privée de Fidel, nous attendait. Mathilde resta avec elle, tandis qu'on m'introduisait dans la pièce voisine. C'était une chambre de service, peut-être celle du jardinier ou du chauffeur. Il n'y avait là qu'un lit, d'où quelqu'un s'était levé précipitamment, laissant des draps en désordre et un oreiller sur le sol ; dans un coin, un guéridon, rien d'autre. Je pensai qu'on me ferait passer dans un autre salon plus convenable, pour y rencontrer le Commandant. II n'en fut rien. Soudain la porte s'ouvrit et Fidel remplit de sa stature tout son espace.

Il me dépassait d'une tête. Il se dirigea vers moi d'un pas rapide :

- Holà, Pablo! me dit-il, et il m'étreignit avec force.
Sa voix fluette, presque enfantine, me surprit. Quelque chose, dans son physique, concordait avec le ton de sa voix. Fidel ne donnait pas l'impression d'un homme de grande taille, mais plutôt d'un grand enfant dont les jambes auraient poussé d'un coup sans qu'il perde son visage juvénile et sa barbe d'adolescent.

Soudain, il coupa court à notre embrassade et resta comme galvanisé. Il fit demi-tour et se dirigea, décidé, vers un coin de la pièce. Sans que je m'en aperçoive, un journaliste photographe était entré et, de ce coin, braquait sur nous son objectif. Fidel, d'un bond, l'avait rejoint; l'ayant attrapé à la gorge, il le secouait. L'appareil tomba sur le sol. Je m'approchai de Fidel et lui agrippai le bras, effrayé par la vision du petit photographe qui se débattait sans résultat. Finalement, d'une poussée, Fidel l'expédia vers la porte et l'obligea à disparaître. Puis il se retourna vers moi en souriant, ramassa l'appareil et le jeta sur le lit.

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FIDEL CASTRO ET PABLO NERUDA DANS L'AULA
MAGNA DE LA UNIVERSITÉ CENTRALE DE VENEZUELA
Nous ne parlâmes plus de l'incident mais des possibilités de créer une agence de presse pour toute l'Amérique. Il me semble que de cette conversation naquit Prensa Latina. Après quoi, chacun par notre porte, nous retournâmes à la réception.

Une heure plus tard, en rentrant de l'ambassade en compagnie de Mathilde, je revis la tête terrorisée du photographe et la rapidité instinctive avec laquelle le chef guérillero avait deviné l'arrivée silencieuse de l'intrus dans son dos.

Telle fut ma première rencontre avec Fidel Castro. Pourquoi repoussa-t-il si violemment la photographie? Son geste cachait-il un petit mystère politique? Jusqu'à maintenant je n'ai pas réussi à comprendre pour quelle raison notre entrevue devait rester aussi secrète.



J'avoue que j'ai vécu, p 474. Editions Gallimard, 1975, Traduction de Claude Couffon




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lundi 3 décembre 2007

ÉVOCATION DE TINA MODOTTI


Quand je veux évoquer Tina Modotti je dois faire un effort, comme s’il s’agissait de saisir une poignée de brouillard. Elle était fragile, presque invisible. Je me demande même parfois si je l’ai connue.

Cette révolutionnaire italienne, remarquable chasseur d'images, était arrivée en Union Soviétique avec l'intention de photographier des foules et des monuments. Mais bientôt, entourée par le rythme débordant de la création socialiste, elle avait jeté son appareil dans la Moskova et s'était juré de consacrer sa vie aux tâches les plus humbles du parti communiste. C'est ce qu'elle faisait quand je l'ai connue à Mexico, dans cette ville où je l'ai vue aussi mourir.

C'était en 1941. Mariée à Vittorio Vidale, le célèbre «Commandant Carlos» du 5' Régiment, Tina devait succomber à une crise cardiaque dans le taxi qui la ramenait à son domicile. Elle se savait malade mais n'en parlait pas, ne voulant pas être déchargée d'une partie de son travail révolutionnaire. Elle était toujours prête à faire ce qui rebute les autres : balayer les bureaux, aller à pied dans les endroits les plus éloignés, passer des nuits à écrire des lettres ou à traduire des articles. Durant la guerre d'Espagne, elle était devenue infirmière pour soigner les blessés républicains.

Un épisode tragique avait marqué sa vie, à l'époque où elle était la compagne du jeune dirigeant cubain Julio Antonio Mella, alors en exil à Mexico. Le dictateur Gerardo Machado avait envoyé de La Havane un petit groupe de pistoleros avec la mission de tuer le leader révolutionnaire. Un après-midi, Tina sortait du cinéma au bras de Mella, lorsque celui-ci s'était écroulé sous une rafale de mitraillette. Ils avaient roulé ensemble sur le sol, elle tout éclaboussée du sang de son compagnon mort, tandis que les meurtriers prenaient la fuite, bien protégés par la police. Le comble de l'affaire fut que les fonctionnaires qui avaient garanti les criminels prétendirent inculper Tina Modotti d'assassinat.

Douze ans plus tard, silencieusement, les forces de Tina s'épuisèrent. La droite mexicaine tenta de renouveler l'infamie en couvrant sa mort de scandale comme elle avait voulu le faire au moment de celle de Mella. Carlos et moi veillions le petit cadavre. Voir souffrir un homme si fort et si courageux n'est pas un spectacle agréable. Ce lion saignait quand il recevait dans sa blessure le poison violent de l'ignominie dont on voulait salir à nouveau, dans la mort, Tina Modotti. Le Commandant Carlos rugissait, les yeux rougis de larmes; Tina restait de cire dans son petit cercueil d'exilée; et moi, je me taisais, impuissant à calmer toute la tristesse humaine de la pièce qui nous abritait.

Les journaux remplissaient des pages entières d'ordures à sensation. On appelait Tina «la femme mystérieuse de Moscou». Quelques-uns ajoutaient : «Elle est morte car elle en savait trop.» Impressionné par la douleur furieuse de Carlos, je pris une décision. J'écrivis un poème où je défiais les offenseurs de notre morte et je l'envoyai à toute la presse. Je savais qu'on ne le publierait pas. Et pourtant, ô miracle! le lendemain, au lieu des révélations fabuleuses promises la veille, mon poème indigné et désolé parut à la une de toutes les feuilles.

Il était intitulé «Tina Modotti est morte». Je le lus ce matin-là au cimetière de Mexico, où nous laissâmes son corps, qui repose pour l'éternité sous une pierre de granit mexicain où l'on a gravé mes strophes.
Et depuis, au Mexique, jamais la presse n'a écrit une seule ligne injurieuse envers la mémoire de Tina.
J'avoue que j'ai vécu, p 383









samedi 1 décembre 2007

EN SAVOIR PLUS... TINA MODOTTI

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TINA MODOTTI ET ROUBAIX DE L'ABRIE RICHEY
PHOTO WALTER FREDERICK SEELY
Quelle vie extraordinaire a eu cette petite émigrée italienne! Arrivée à San Francisco en 1913, elle épousa quelques années plus tard Roubaix de l'Abrie Richey, un jeune poète canadien.

LE PHOTOGRAPHE
 EDWARD WESTON
Elle fut actrice de quelques films muets aux débuts d'Hollywood mais insatisfaite des rôles de potiche qui lui étaient offerts, elle partit encore plus au Sud et s'établit à Mexico avec son nouveau compagnon, le photographe Edward Weston, dont elle deviendra l'assistante et le modèle.

JULIO ANTONIO MELLA.
PHOTO DE TINA MODOTTI
De ses conquêtes amoureuses, on retiendra son compagnon et camarade Julio Antonio Mella, jeune révolutionnaire cubain en exil à Mexico, assassiné en 1928 alors qu'il se promenait à ses côtés ; de son adhésion au Parti communiste, on se souviendra de son engagement social, et finalement de son expulsion du Mexique en 1928 pour ses activités politiques. Et ce nouvel exil va entraîner Modotti dans une spirale infernale.

On la retrouve en Allemagne au début des années 1930, en Union soviétique au moment des grandes purges de Staline, et puis au Espagne en pleine guerre civile...ou elle est devenue la femme de son compatriote Vittorio Vidali.

VITTORIO VIDALI, 
COMMANDANT  DU  
«QUINTO REGIMIENTO »
Créé à l'nitiative du Parti communiste espagnol à la fin juillet 1936, le Quinto Regimiento de Milicias Populares joua un rôle déterminant dans la défense de Madrid. Pressé de conquérir la capitale, le général factieux Emilio Mola se cassa littéralement les dents sur une résistance héroïque qu'il avait été incapable de prévoir. Son commandant fut le citoyen italien Vittorio Vidali, connu comme le « Comandante Carlos »

Et lorsque Modotti est enfin autorisée à revenir au Mexique, pays de ses premières amours, elle y séjournera quelque temps avant de succomber dans une quasi-solitude, d'une crise cardiaque à l'âge de 46 ans. Moins de dix ans ont suffi à construire l'œuvre photographique de Tina Modotti (de 1923 à 1930). Il faut lire sa correspondance avec Weston pour comprendre comment elle a appris, dominé, surpassé, transcendé, puis délaissé la photographie pour s'engager à corps perdu dans la cause politique.

TINA MODOTTI HA MUERTO


Tina Modotti, hermana, no duermes, no, no duermes:
tal vez tu corazón oye crecer la rosa
de ayer, la última rosa de ayer, la nueva rosa.
Descansa dulcemente, hermana.

La nueva rosa es tuya, la nueva tierra es tuya:
te has puesto un nuevo traje de semilla profunda
y tu suave silencio se llena de raíces.
No dormirás en vano, hermana.

Puro es tu dulce nombre, pura es tu frágil vida.
De abeja, sombra, fuego, nieve, silencio, espuma,
de acero, línea, polen, se construyó tu férrea,
tu delgada estructura.

El chacal a la alhaja de tu cuerpo dormido
aún asoma la pluma y el alma ensangrentada
como si tú pudieras, hermana, levantarte,
sonriendo sobre el lodo.

A mi patria te llevo para que no te toquen,
a mi patria de nieve para que a tu pureza
no llegue el asesino, ni el chacal, ni el vendido:
allí estarás tranquila.

Oyes un paso, un paso lleno de pasos, algo
grande desde la estepa, desde el Don, desde el frío?
Oyes un paso firme de soldado en la nieve?
Hermana, son tus pasos.

Ya pasarán un día por tu pequeña tumba
antes de que las rosas de ayer se desbaraten,
ya pasarán a ver los de un día, mañana,
donde está ardiendo tu silencio.

Un mundo marcha al sitio donde tú ibas, hermana.
Avanzan cada día los cantos de tu boca
en la boca del pueblo glorioso que tú amabas.
Tu corazón era valiente.

En las viejas cocinas de tu patria, en las rutas
polvorientas, algo se dice y pasa,
algo vuelve a la llama de tu dorado pueblo,
algo despierta y canta.

Son los tuyos, hermana: los que hoy dicen tu nombre,
los que de todas partes, del agua y de la tierra,
con tu nombre otros nombres callamos y decimos.
Porque el fuego no muere.

TINA MODOTTI EST MORTE



Tina Modotti, ma sœur, tu ne dors pas, non, tu ne dors pas:

peut-être ton cœur entend-il éclore la rose

d'hier, la dernière rose d'hier, la rose nouvelle.

Repose doucement, ma sœur.

La rose nouvelle est à toi, la terre nouvelle est à toi:

tu as mis une nouvelle robe de semence profonde

et ton doux silence s'emplit de racines.

Tu ne dormiras pas en vain, ma sœur.

Pur est ton doux nom, pure est ta fragile vie.

D'abeille, d'ombre, de feu, de neige, de silence, d'écume,

d'acier, de contour, de pollen, a été construit ton inflexible,

ton doux profil.

Le chacal sur le diamant de ton corps endormi

montre encore la plume et l'âme ensanglantée

comme si tu pouvais, ma sœur, te lever,

en souriant sur la boue.

Dans ma patrie je t'emmène pour qu'on ne te touche pas,

dans ma patrie de neige afin que ni l'assassin,

ni le chacal, ni le traître ne touche à ta pureté :

là tu seras tranquille.

Entends-tu un pas, un pas plein de plein pas, quelque chose

de grand qui vient de la steppe, du Don, du froid?

Entends-tu un pas résolu d'un soldat dans la neige ?

Ma sœur ce sont tes pas.

Ils passeront un jour devant ta petite tombe

avant que les roses d'hier ne soient détruites,

ceux d'un jour passeront, demain,

où brûle ton silence.
Un monde est en marche vers le lieu où tu al allais, ma

sœur.

Les chants de ta bouche avancent chaque jour

dans la bouche du peuple glorieux que tu aimais.

Ton coeur était courageux.

Dans les vieilles cuisines de ta patrie, sur les route

poussiéreuses, quelque chose se dit et arrive,

quelque chose revient dans la flamme de ton peuple doré,

quelque chose s'éveille et chante.

Ce sont les tiens, ma sœur : ceux qui aujourd'hui disent

ton nom,

ceux qui de toutes parts, de l'eau et de la terre,

taisent et disent avec ton nom d'autres noms.

Car le feu ne meurt pas.



MAINS SUR UN OUTIL, 1927. PHOTO DE TINA MODOTTI
 




EXPLICO ALGUNAS COSAS

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PABLO NERUDA a la izquierda MIGUEL HERNANDEZ al centro en uniforme ESPAGNE CIRCA 1936
PABLO NERUDA (izquierda)
ESPAGNE CIRCA 1936

Preguntaréis: Y dónde están las lilas?
Y la metafísica cubierta dé amapolas?
Y la lluvia que a menudo golpeaba
sus palabras llenándolas
de agujeros y pájaros?

Os voy a contar todo lo que me pasa.

Yo vivía en un barrio
de Madrid, con campanas,
con relojes, con árboles.

Desde allí se veía
el rostro seco de Castilla
como un océano de cuero.

Mi casa era llamada
la casa de las flores, porque por todas partes
estallaban geranios: era
una bella casa
con perros y chiquillos.

Raúl, te acuerdas?
Te acuerdas, Rafael?
Federico, te acuerdas
debajo de la tierra,
te acuerdas de mi casa con balcones en donde
la luz de junio ahogaba flores en tu boca?
Hermano, hermano!

Todo
eran grandes voces, sal de mercaderías,
aglomeraciones de pan palpitante,
mercados de mi barrio de Arguelles con su estatua
como un tintero pálido entre las merluzas:
el aceite llegaba a las cucharas,
un profundo latido
de pies y manos llenaba las calles,
metros, litros, esencia
aguda de la vida,
pescados hacinados,
contextura de techos con sol frío en el cual
la flecha se fatiga,
delirante marfil fino de las patatas,
tomates repetidos hasta el mar.

Y una mañana todo estaba ardiendo
y una mañana las hogueras
salían de la tierra
devorando seres,
y desde entonces fuego,
pólvora desde entonces,
y desde entonces sangre.
Bandidos con aviones y con moros,
bandidos con sortijas y duquesas,
bandidos con frailes negros bendiciendo
venían por el cielo a matar niños,
y por las calles la sangre de los niños
corría simplemente, como sangre de niños.

Chacales que el chacal rechazaría,
piedras que el cardo seco mordería escupiendo,
víboras que las víboras odiaran!

Frente a vosotros he visto la sangre
de España levantarse
para ahogaros en una sola ola
de orgullo y de cuchillos!

Generales
traidores:
mirad mi casa muerta,
mirad España rota:
pero de cada casa muerta sale metal ardiendo
en vez de flores,
pero de cada hueco de España
sale España,
pero de cada niño muerto sale un fusil con ojos,
pero de cada crimen nacen balas
que os hallarán un día el sitio
del corazón.

Preguntaréis por qué su poesía
no nos habla del sueño, de las hojas,
de los grandes volcanes de su país natal?

Venid a ver la sangre por las calles
venid a ver
la sangré por las calles,
venid a ver la sangre
por las calles!


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