Citation de Pablo Neruda

samedi 17 novembre 2007

ENCYCLOPÉDIE UNIVERSELLE LAROUSSE

Neftalí Ricardo Reyes, dit Pablo Neruda Poète chilien (Parral 1904-Santiago 1973).
Pablo Neruda et l'exil
Un chant sombre et solitaire

C’est au contact de la nature que Pablo Neruda fait son apprentissage de la vie. « Mon enfance, ce sont des souliers mouillés, des troncs cassés / Tombés dans la jungle, décorés par les lianes. » À Temuco, petite ville du Chili austral située au pied des volcans couverts de neige, et dans la grande forêt voisine gorgée d’eau, le jeune Neftalí Ricardo découvre « le monde du vent et du feuillage », se grise de cette pluie qui tombe inlassablement, jour après jour, pénètre les secrets de la nature avant de signer avec elle un « pacte poétique » : l’œuvre du poète sera riche d’images empruntées à cet univers primitif, images de pluie, d’humidité, de sel (les fortes lames du Pacifique frappent la côte toute proche), symboles sous sa plume de désintégration, de pourriture, de corrosion.
« Étudiant triste égaré dans le crépuscule », Neruda – il vient de choisir comme pseudonyme le nom du célèbre poète tchèque Jan Neruda (1834-1891), après avoir été visité par la poésie (« ... la poésie / Vint me chercher. Je ne sais pas, je ne sais d’où elle surgit ») – publie à Santiago son premier recueil : Crepusculario (Crépusculaire, 1923), puis en 1924 ses Veinte poemas de amor y una canción desesperada (Vingt Poèmes d’amour et une chanson désespérée), dont les vers sensuels célèbrent la femme et la gloire de son corps : « Corps de femme... mon corps de paysan sauvage te creuse. »
Consul en Extrême-Orient après un passage en France, il connaît à Rangoon, à Colombo, à Batavia des années de pesante solitude et d’angoisse, bouleversé par le spectacle atroce de la foule misérable « au milieu des griffes et des fouets ». De cette période douloureuse, ses poèmes de Residencia en la tierra (Résidence sur la terre, 1933-1935) seront le reflet : poésie terrible, ouverte sur le néant, ruisselante d’images de décomposition et d’horreur. En 1934, Neruda est à Barcelone, et l’année suivante à Madrid, où l’amitié de García Lorca et surtout celle de Rafael Alberti ouvrent pour lui une page de bonheur. Mais soudain... « ce fut la poudre / Et ce fut le sang » : la guerre civile éclate, Lorca est assassiné. Un nouveau Neruda naît alors et España en el corazón (l’Espagne au cœur, 1937) marque un tournant radical dans son chant, qui, de sombre et solitaire, devient solidaire et agissant : « Je regagnais ma patrie avec d’autres yeux. »
Cris de révolte et rêves d’humanité fraternelle
Nommé consul à Mexico en 1940, il est élu sénateur en 1945 sur la liste du parti communiste, mais, déchu de son mandat par le gouvernement de González Videla, il doit entrer dans la clandestinité. En 1950, il publie Canto general (le Chant général), écrit sous le manteau avant un exil forcé : c’est l’épopée de l’Amérique tout entière, une immense fresque qui a pour thème le nouveau continent, ses minéraux, sa flore, sa faune, son histoire. Poésie tellurique écrite dans une langue puissante et riche en métaphores, où les phrases déferlent en vagues successives, le Chant général est aussi un cri de révolte contre toutes les formes d’oppression, depuis celle qu’exercèrent les conquistadores sur les indigènes jusqu’aux dictatures actuelles, et un témoignage en faveur des exploités : le péon, le bûcheron, le travailleur des mines de cuivre ou des gisements de nitrate... Pleinement conscient de sa responsabilité d’homme parmi les hommes, le poète peut définir son public : « J’écris pour le peuple bien qu’il ne puisse / Lire ma poésie avec ses yeux ruraux. »
« Je ne crois pas que la poésie doive être exclusivement sociale, ni non plus exclusivement lyrique. » Si, comme son ami Louis Aragon, Neruda reste d’une fidélité inébranlable envers le communisme, c’est dans la célébration de l’amour, et singulièrement l’amour du couple, que sa poésie va trouver un nouvel épanouissement. Tout comme l’auteur des Yeux d’Elsa, Neruda est l’homme d’une grande passion : Matilde Urrutia, qu’il connut peu après l’éclatant succès du Chant général, lui inspirera quelques-uns de ses plus beaux poèmes réunis sous le titre de Cien sonetos de amor (la Centaine d’amour, 1959).
Dans Extravagario (Vaguedivague, 1958), qui s’achève par un testament, et dans Memorial de Isla Negra (le Mémorial de l’île Noire, 1964), le poète explore son passé, médite sur son itinéraire poétique et ses contradictions (« idéalisme et réalisme je vous aime »), sur son attachement au décor de son enfance, au vaste océan face auquel il possède sa résidence de l’île Noire, et réaffirme sa solidarité avec tous les hommes de son continent. Le rêve d’une humanité meilleure et fraternelle, une certaine angoisse devant le silence du monde des choses (« Il n’y a ni jour ni lumière, il n’y a rien / Que le silence... », dit Neruda dans un autre recueil, La espada encendida [l’Epée de flammes], 1971) donnent plus de profondeur à sa méditation.
En octobre 1971, Pablo Neruda, alors ambassadeur de son pays en France, recevait le prix Nobel de littérature, vingt-six ans après sa compatriote Gabriela Mistral. Couronnement d’un demi-siècle de très féconde création poétique, ce prix allait donner au poète, par-delà les frontières de l’Amérique latine, une audience à la mesure de son chant aux éléments, à la Terre, aux hommes, à l’amour, une dimension universelle. Pablo Neruda devait mourir peu après le coup d’État militaire exécuté contre le régime de S. Allende
© Neftalí Ricardo Reyes, dit Pablo Neruda
Poète chilien (Parral 1904-Santiago 1973).
Un chant sombre et solitaire
C’est au contact de la nature que Pablo Neruda fait son apprentissage de la vie. « Mon enfance, ce sont des souliers mouillés, des troncs cassés / Tombés dans la jungle, décorés par les lianes. » À Temuco, petite ville du Chili austral située au pied des volcans couverts de neige, et dans la grande forêt voisine gorgée d’eau, le jeune Neftalí Ricardo découvre « le monde du vent et du feuillage », se grise de cette pluie qui tombe inlassablement, jour après jour, pénètre les secrets de la nature avant de signer avec elle un « pacte poétique » : l’œuvre du poète sera riche d’images empruntées à cet univers primitif, images de pluie, d’humidité, de sel (les fortes lames du Pacifique frappent la côte toute proche), symboles sous sa plume de désintégration, de pourriture, de corrosion.
« Étudiant triste égaré dans le crépuscule », Neruda – il vient de choisir comme pseudonyme le nom du célèbre poète tchèque Jan Neruda (1834-1891), après avoir été visité par la poésie (« ... la poésie / Vint me chercher. Je ne sais pas, je ne sais d’où elle surgit ») – publie à Santiago son premier recueil : Crepusculario (Crépusculaire, 1923), puis en 1924 ses Veinte poemas de amor y una canción desesperada (Vingt Poèmes d’amour et une chanson désespérée), dont les vers sensuels célèbrent la femme et la gloire de son corps : « Corps de femme... mon corps de paysan sauvage te creuse. »
Consul en Extrême-Orient après un passage en France, il connaît à Rangoon, à Colombo, à Batavia des années de pesante solitude et d’angoisse, bouleversé par le spectacle atroce de la foule misérable « au milieu des griffes et des fouets ». De cette période douloureuse, ses poèmes de Residencia en la tierra (Résidence sur la terre, 1933-1935) seront le reflet : poésie terrible, ouverte sur le néant, ruisselante d’images de décomposition et d’horreur. En 1934, Neruda est à Barcelone, et l’année suivante à Madrid, où l’amitié de García Lorca et surtout celle de Rafael Alberti ouvrent pour lui une page de bonheur. Mais soudain... « ce fut la poudre / Et ce fut le sang » : la guerre civile éclate, Lorca est assassiné. Un nouveau Neruda naît alors et España en el corazón (l’Espagne au cœur, 1937) marque un tournant radical dans son chant, qui, de sombre et solitaire, devient solidaire et agissant : « Je regagnais ma patrie avec d’autres yeux. »
Cris de révolte et rêves d’humanité fraternelle
Nommé consul à Mexico en 1940, il est élu sénateur en 1945 sur la liste du parti communiste, mais, déchu de son mandat par le gouvernement de González Videla, il doit entrer dans la clandestinité. En 1950, il publie Canto general (le Chant général), écrit sous le manteau avant un exil forcé : c’est l’épopée de l’Amérique tout entière, une immense fresque qui a pour thème le nouveau continent, ses minéraux, sa flore, sa faune, son histoire. Poésie tellurique écrite dans une langue puissante et riche en métaphores, où les phrases déferlent en vagues successives, le Chant général est aussi un cri de révolte contre toutes les formes d’oppression, depuis celle qu’exercèrent les conquistadores sur les indigènes jusqu’aux dictatures actuelles, et un témoignage en faveur des exploités : le péon, le bûcheron, le travailleur des mines de cuivre ou des gisements de nitrate... Pleinement conscient de sa responsabilité d’homme parmi les hommes, le poète peut définir son public : « J’écris pour le peuple bien qu’il ne puisse / Lire ma poésie avec ses yeux ruraux. »
«Je ne crois pas que la poésie doive être exclusivement sociale, ni non plus exclusivement lyrique.» Si, comme son ami Louis Aragon, Neruda reste d'une fidélité inébranlable envers le communisme, c'dans la célébration de l’amour, et singulièrement l’amour du couple, que sa poésie va trouver un nouvel épanouissement. Tout comme l’auteur des Yeux d'Elsa, Neruda est l’homme d’une grande passion : Matilde Urrutia, qu’il connut peu après l’éclatant succès du Chant général, lui inspirera quelques-uns de ses plus beaux poèmes réunis sous le titre de Cien sonetos de amor (la Centaine d’amour, 1959).
Dans Extravagario (Vaguedivague, 1958), qui s’achève par un testament, et dans Memorial de Isla Negra (le Mémorial de l’île Noire, 1964), le poète explore son passé, médite sur son itinéraire poétique et ses contradictions (« idéalisme et réalisme je vous aime »), sur son attachement au décor de son enfance, au vaste océan face auquel il possède sa résidence de l’île Noire, et réaffirme sa solidarité avec tous les hommes de son continent. Le rêve d'une humanité meilleure et fraternelle, une certaine angoisse devant le silence du monde des choses (« Il n’y a ni jour ni lumière, il n’y a rien / Que le silence... », dit Neruda dans un autre recueil, La espada encendida [l’Epée de flammes], 1971) donnent plus de profondeur à sa méditation.
En octobre 1971, Pablo Neruda, alors ambassadeur de son pays en France, recevait le prix Nobel de littérature, vingt-six ans après sa compatriote Gabriela Mistral. Couronnement d'demi-siècle de très féconde création poétique, ce prix allait donner au poète, par-delà les frontières de l’Amérique latine, une audience à la mesure de son chant aux éléments, à la Terre, aux hommes, à l'amour, une dimension universelle. Pablo Neruda devait mourir peu après le coup d’État militaire exécuté contre le régime de S. Allende
© Larousse 2005

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