Citation de Pablo Neruda

mercredi 31 décembre 2008

PABLO NERUDA ET LA RÉVOLUTION CUBAINE


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Photo archive Pablo Neruda
Pablo Neruda a connu Fidel Castro au Venezuela, lors du premier voyage à l'étranger du leader cubain, peu après l'entrée des barbus à La Havane en 1959.
PARADE CÉLÉBRANT LA VICTOIRE 
DES REBELLES DE FIDEL CASTRO.


Il fut très impressionné par la nouveauté du discours politique du jeune leader cubain, au point de consigner dans ses mémoires : «J'étais l'une de ces deux cent mille personnes qui écoutaient debout et sans broncher ce long discours. Pour moi, comme pour beaucoup, les discours de Fidel ont été une révélation. En l'entendant parler devant cette foule, je compris qu'une époque nouvelle avait commencé pour l'Amérique latine. La nouveauté de son langage me plut. Les meilleurs dirigeants ouvriers et politiques utilisent d'ordinaire des formules dont le contenu peut être valable mais dont les mots sont usés et affaiblis à force d'être répétés. Ces formules, Fidel les ignorait. Ses phrases étaient naturelles et didactiques. Et lui-même semblait tirer au fur et à mesure la leçon de ce qu'il disait.» dans J'avoue que j'ai vécu, Gallimard, 1975.

À ce moment-là, Neruda était l'un des intellectuels latino-américains les plus remarqués, un dirigeant communiste mondialement connu. La première rencontre se produit à l'Université de Caracas, le 23 janvier 1959. Dans cette première rencontre publique, Neruda a manifesté son admiration pour le leader cubain. Avant de procéder à la lecture de son poème Un chant pour Bolivar, il a affirmé en guise d’introduction :


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PABLO NERUDA EN VISITE A CUBA AVEC LE POETE NICOLAS GUILLEN -
PHOTO ARCHIVE EFE
«À cette heure douloureuse et victorieuse que vivent les peuples d'Amérique, mon poème avec un changement de lieu, peut être entendu comme s'il se dirigeait à Fidel Castro parce que dans les luttes pour la liberté, chaque fois surgit le destin d'un homme pour donner confiance à l'esprit de grandeur dans l'histoire de nos peuples.»

Quand Neruda conclut, il se dirige vers la table présidentielle. Alors qu'il salue Fidel, il s'exclame: «Si un jour s'écrit l'histoire de ce poète, je veux que l'on dise qu'il a un jour vu, parlé et serré la main du libérateur de Cuba.»

On voit Fidel ému. Ces démonstrations d'affection envers le peuple cubain à travers sa personne sont sincères. Dans Granma Internacional. Édition en français

Plus tard, Fidel invite Neruda à l'ambassade de Cuba à Caracas, où ils ont une conversation privée que Neruda rapporte également dans ses mémoires. Il n'y a jamais eu de compte-rendu officiel de cet entretien. Certains nerudistes soutiennent que les Cubains ne voulaient pas donner d'arguments aux Nord-américains qui auraient immédiatement associé la révolution cubaine naissante au champ communiste auquel Neruda appartenait.

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PABLO NERUDA SIGNE UN LIVRE D'OR A LA HAVANE EN JANVIER 1961

L'admiration de Neruda pour la Révolution cubaine a été intense et a duré jusqu'à sa mort. Cela l'a amené à dédier un livre de poèmes à la Révolution cubaine, Chanson de Geste, édité à La Havane en 1960.

Neruda a eu une longue et étroite amitié avec Cuba. Elle a commencé avec les internationalistes cubains dans la guerre d'Espagne, en particulier avec Juan Marinello et Blas Roca. Plus tard, cette amitié s'est développée avec le séjour de Neruda au Mexique, où il a fréquenté Julio Antonio Mella, Tina Modotti et d'autres dirigeants et militants du Parti communiste cubain (PCC).

En 1944, le PCC a donné naissance au Parti socialiste populaire (PSP), longtemps dirigé par Blas Roca qui fut son Secrétaire général de 1934 à 1962. Dans la décennie des 40, le PSP soutient Fulgencio Batista, qui est élu Président pour la période 1940-1944. Juan Marinello et Carlos Rafael Rodríguez sont nommés ministres de ce premier gouvernement.

En 1942, Marinello invite Neruda à visiter Cuba. C'est à cette occasion que le poète rencontre le Président Fulgencio Batista. En novembre 1944, Batista fait un voyage au Chili. Une réception est organisée à l'Université du Chili, où Pablo Neruda lit un message de bienvenue.

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PABLO NERUDA ENTOURÉ D'UN GROUPE D’ECRIVAINS, PARMI EUX
RAFAEL ALBERTI 
SA FEMME MARIA TERESA LEÓN ET LE POETE CUBAIN NICOLAS 

GUILLEN LORS DE L'ACCUEIL DE PABLO NERUDA À BUENOS AIRES EN 1949  

En 1952, Batista se présente à nouveau aux élections. Celles-ci s’annoncent défavorables, Batista choisit donc de faire un coup d'État. En 1953, le dictateur Batista déclare hors la loi le PSP qui passe à la clandestinité. Batista mène une politique répressive et sanglante. Cette deuxième période fut marquée par la violence, la corruption et l'illégalité. L'arrivée des barbus, conduits par Fidel Castro, met fin à la dictature le premier janvier 1959.

La relation de Neruda avec les Cubains n'a pas été libre de mésententes, l'un d'eux a été la lettre rédigée et divulguée par de nombreux intellectuels cubains contre Neruda. La raison principale invoquée fut une visite que Neruda effectua aux États-Unis à l'occasion d'une réunion du PEN Club nord-américain, en 1966.

L'avanie des écrivains cubains à Neruda, n'avait pas de caractère personnel ni littéraire. Neruda a eu le rôle de bouc émissaire dans le conflit que la direction de la Révolution cubaine a eu avec le Parti communiste chilien. Alors que ce dernier préconisait la voie pacifique au socialisme, Cuba défendait une révolution armée.

Ladite lettre a été une expérience amère pour Neruda qui n'a jamais pardonné aux signataires. Elle a d’ailleurs provoqué une aigre réponse de sa part. Par la suite, il n’a plus accepté d'invitation ni du gouvernement ni du Parti communiste cubain.

Dans l'édition uruguayenne de Canción de Gesta (Chanson de Geste) de 1968, Neruda a ajouté un prologue où il donne sa version du conflit et fixe sa position.

vendredi 26 décembre 2008

SON PARA CUBA

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DISQUE VINYL 33 TOURS ET POCHETTE DE L’ALBUM PATRIA, DU GROUPE CHILIEN QUILAPAYUN, CONTENANT LE SON POUR CUBA DE PABLO NERUDA. LABEL DICAP ; PRESSAGE 068-98285, FRANCE, 1976.
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SON PARA CUBA, TEXTE DE PABLO NERUDA. 
MUSIQUE DE QUILAPAYUN VOIX, 
GUILLERMO "WILLY" ODDÓ,
 DANS L'ALBUM "PATRIA", FRANCE,1976.

Si el hondo mar callaba sus dolores
las esperanzas levantó la tierra
éstas desembarcaron en la costa
eran brazos y puños de pelea.



Fidel Castro con quince de los suyos
y con la libertad bajó a la arena
bajó a la arena,
Fidel, con la libertad,
Fidel.
La isla estaba oscura como el luto
pero izaron la luz como bandera
no tenían más armas que la aurora
y ésta dormía aún bajo la tierra.
Las madres despidieron a sus hijos
el campesino relató su pena
y el ejército libre de los pobres
creció y creció como la luna llena.

Mientras que el movimiento de los libres
movía como el viento las praderas
sacudía los surcos de la isla
surgía sobre el mar como un planeta.

Fidel Castro con quince de los suyos
y con la libertad bajó a la arena
bajó a la arena, Fidel, con la libertad,
Fidel,
y el Che Guevara.
Fidel,
y con Camilo,
Fidel,
también Raúl,
Fidel,
y todo el pueblo,
Fidel,
latinoamericano,

mercredi 10 décembre 2008

Mattheus Uys Krige


Mattheus Uys Krige né le 4 février 1910 et décedé le 10 août 1987) était un écrivain, un poète, un traducteur, un correspondant de guerre...

A son retour en Afrique du Sud en 1935, Uys Krige commence une carrière de journaliste au quotidien "Rand Daily Mail". De 1936 à 1939, il est de nouveau en Espagne où il participe aux combats du côté des républicains espagnols. Il prend le temps de se marier en 1937 avec l'actrice Lydia Lindeque. Durant la Seconde Guerre mondiale, il est correspondant de guerre au sein de l'armée sud-africaine en Afrique du nord. Capturé par les troupes allemandes en 1941, il est envoyé en Italie comme prisonnier de guerre. Il passe deux ans dans un camp avant de s'échapper en septembre 1943. De retour en Afrique du Sud en 1946, il consacre sa carrière à l'écriture. Auteur de récits, d'essais et de poèmes en anglais ou en afrikaans, il fait partie du mouvement des Dertigers. Il traduit en afrikaans de nombreux textes de Shakespeare tout comme les vers de Federico García Lorca, de Pablo Neruda de Lope de Vega ainsi que les ouvrages de Baudelaire, François Villon et Paul Éluard. En 1958, il est fait doctor honoris causa de l'université du Natal puis des universités de Rhodes et de Stellenbosch.
Uys Krige est né à Bontebokskloof, près de Swellendam, dans la province du cap. Il est le fils d'un célèbre joueur de rugby Japie Krige.
Après des études à l'université de Stellenbosch, il part vivre en Europe et réside de 1931 à 1935 en France et en Espagne. Il est alors joueur de rugby dans l'équipe de Toulon.
Uys Krige est décédé près du village d'Hermanus dans la province du Cap. (source wikipedia)

CHILI PABLO NERUDA « COMPAGNONS, ENTERREZ-MOI DANS L’ÎLE NOIRE »

Ici, chapeau que je ferai en fonction de ce qu’il y a d’autre dans la double

Vous allez me demander pourquoi votre poésie
ne parle-elle pas du rêve, des feuilles,
des grands volcans de votre pays natal ?
Venez voir le sang dans les rues,
venez voir
le sang dans les rues,
venez voir le sang
dans les rues !
»

La célèbre fin de J’explique certaines choses, l’un des premiers grands poèmes politiques de Neruda (1936) et une des pièces centrales d’Espagne au cour, fut pour beaucoup dans la légende - vraie - de Pablo Neruda grand poète militant. Elle fut aussi à l’origine d’une profonde méconnaissance de la multiplicité des dimensions du grand homme de lettres et du grand homme politique qu’il était.
Ce 24 septembre 1973, cependant, personne ne songe à faire la fine bouche. Les rues de Santiago sont aussi rouges que celles de Grenade. Sa maison de l’ « Île noire », la maison dont il avait, dès 1949, dit dans son Testament I du Chant général :

« Je laisse aux syndicats
Du cuivre, du charbon et du salpêtre
Ma maison près de la mer dans l’ Île Noire »

Sa maison été saccagée par les putschistes. Et lui, dans sa résidence surveillée de Santiago, n’a pas supporté ce crève-cour de plus : il est mort, à soixante-neuf ans, douze jours après Salvador Allende.

À Paris, quelques jours après, un hommage lui fut rendu, où des poèmes de Miguel Angel Asturias, de Rafael Alberti, furent lus. Aragon y fit lecture de la fin de son Élégie à Pablo Neruda, écrite en 1965 au moment où un tremblement de terre avait ruiné sa maison de l’Île.


Il y avait aussi ce très beau texte de Yannis Ritsos, commencé à Athènes pour Allende, terminé pour Neruda.

« Soulevez le beau mort sur la porte de noyer
Le prix du cuivre est déjà monté de trois cents et demi la livre. Le fer,
encore le fer ; le dollar ; les bottes. Une chaudière, une chaudière, - cria-t-il - que j’y noie mes mains - stupides mains
avec les marques des clous - elles n’ont pas encore appris à se nouer autour d’un cou. Soulevez-le,
encore plus haut soulevez le beau mort étendu sur la porte de sortie. Destin,
le plus amer destin : nous passons les héros sous l’histoire en cachette
dans ce train bien clos, plein de mégots, et les corbeilles des pêcheurs, vides
avec les drapeaux mille fois repliés pour qu’on n’en voie pas les couleurs,
posés à terre sur les planches, froissés, travestis en baluchons que portent des mendiants infirmes - et dedans, une pierre. Dessus, assis,
les trois chiens aveugles et la guitare rouge, la guitare au large poitrail de Pablo Neruda. »



(trad. Chrysa Prokopaki et Antoine Vitez)
A. N.
Article paru
le 25 septembre 2003
dans le journal l'Humanité

NERUDA, LE POÈTE QUI RÊVAIT DE CHANGER LA VIE

PABLO NERUDA DANS « LA CHASCONA »,
PRÈS DU RUISSEAU QUI DESCENDAIT DE
LA MONTAGNE ET IL QUI TRAVERSAIT
 SA MAISON PAR DESSOUS. 

PHOTO DOMINGO ULLOA  
Il y a trente ans, Pablo Neruda mourait, douze jours après le coup d’État de Pinochet et la disparition de son ami Salvador Allende.
Les Chiliens connaissent bien un poème, Farewell, très populaire dans tout le pays, évoquant des marins qui ont un amour dans chaque port et de vastes serments d’amour éternels, ils partent et jamais ne se retournent, et puis une nuit ils se couchent avec la mort au fond de la mer. Ces paroles d’un poète alors naissant collent peut-être le mieux à son auteur, un certain Pablo Neruda, disparu douze jours après le coup d’État de Pinochet et la mort de son ami Salvador Allende. Quelques jours également après le calvaire d’un autre poète et musicien, Victor Jara. Ces hommes, aux yeux d’une histoire d’espoirs et de rêves brisés, sont désormais associés. Le jour des funérailles de Neruda, des gens courageux l’ont accompagné jusqu’au bout de son voyage en chantant l’Internationale et en égrenant ces trois noms présents " maintenant et toujours ". C’était quelques jours après le putsch militaire du 11 septembre 1973, " le premier acte de rébellion contre la dictature ", selon Volodia Teitelboïm, ami et biographe de Neruda.

Tous ceux qui, ces jours-ci, ont rendu hommage à Pablo Neruda au Chili, notamment à Isla Negra, à l’ouest de Santiago, en Europe et dans le monde entier ont célébré le poète, l’homme politique et celui qui a réinventé l’histoire de l’Amérique. Trajectoire effectivement hors du commun pour celui qui vit le jour sous le nom de Neftali Reyes Basualto le 12 juillet 1904 à Parral et a vécu son adolescence à Temuco, ville frontière de l’Auricanie entourée par les Andes, si présentes dans son ouvre, notamment dans le Chant général. Il a été élevé par son père cheminot et sa belle-mère Trinidad Candia Malverde (sa mère est morte un mois après sa naissance). Adolescent, il compose ses premiers poèmes et prend le nom de Pablo Neruda en l’honneur du poète tchèque Jan Neruda, réputé pour ses Contes de Mala Strana, une observation minutieuse et malicieuse de la vie des petites gens.

La poésie de Neruda de fait est entièrement autobiographique, il y parle de sa vie, de ses innombrables voyages, de ses connaissances multiples, il ne cesse de chanter l’amour, l’érotisme, la nature. Il a aussi conscience d’être la voix de son peuple, de ceux qui " mangent froid ", selon son expression. Son parti est celui des inconnus et des maltraités. Son héros est l’homme qui rêve de changer la vie et un monde où chaque peuple doit être reconnu.

Dans les années vingt, Neruda embrasse une carrière diplomatique et occupe différents postes de consul en Asie, notamment à Rangoon, Colombo, Batavia (Java) et Singapour. La guerre d’Espagne est le tournant de toute sa vie. Même s’il n’est pas encore un militant politique, l’assassinat de Garcia Lorca à Grenade en 1936 l’a profondément marqué. Volodia Teitelboïm a eu l’occasion de nous le raconter : " La mort de Garcia Lorca, son grand ami, l’a convaincu qu’il fallait riposter au fascisme, non en solitaire, mais de façon collective. Il reconnaît alors le rôle du parti communiste dans la lutte. Il se sent communiste à partir de l’Espagne, même s’il n’adhère au Parti communiste chilien qu’en 1945, année où il deviendra sénateur de la Coalition progressiste nationale. " Durant la guerre d’Espagne, c’est aussi avec détermination qu’il assume sa fonction de " consul spécial pour l’immigration " et affrète un navire de plus de 3 000 réfugiés espagnols en partance pour le Chili. Quand il revient d’Espagne, il passe par le Machu Pichu, qui donna son titre au célèbre poème philosophique. Comme Simon Bolivar, il dit que l’Amérique espagnole, portugaise n’est pas simplement une extension de l’Europe, mais " une mixture " où l’Européen, l’Indien et le Noir descendant des esclaves africains composent une humanité particulière, " notre Amérique ", dit-il à la façon de José Marti, le libérateur de Cuba.

À la fin des années quarante, après l’interdiction du Parti communiste, Neruda entre en clandestinité, jusqu’à sa fuite vers l’Argentine, puis il s’exile vers l’Italie et la France, où il retrouve des " amis d’âme " Paul Eluard et Louis Aragon. On le retrouve encore au Mexique, où il noue une discrète liaison avec la soprano Matilde Urrutia, rencontrée quelques années plus tôt et qui deviendra sa troisième et dernière épouse après sa rupture avec Delia del Carril, qu’il avait connue à Madrid.

Sous le gouvernement d’Allende, Neruda est nommé ambassadeur à Paris, où il recevra la nouvelle de la récompense du prix Nobel. Atteint d’un cancer de la prostate longtemps gardé secret, il demande au président Allende d’être relevé de sa charge diplomatique. Il retourne alors au Chili, à Isla Negra, dans sa maison construite face à l’océan, où il a réuni " ses jouets petits et grands ", sans lesquels il a déclaré ne pouvoir vivre. Le 11 septembre 1973, il est alité quand il apprend le coup d’État militaire, il essaie de capter les informations à la radio et lance à Mathilde qui cherche à le tranquilliser : " C’est le fascisme ! " Quelques jours avant sa mort, il dicte encore les pages de ses mémoires pour condamner le coup d’État de Pinochet, les États-Unis, Nixon et ces civils qui ont trahi la démocratie pour se rendre complices d’un massacre et d’une dictature longue de dix-sept ans.
Bernard Duraud
Article paru
le 25 septembre 2003
dans le journal l'Humanité

CHILI PABLO NERUDA « J’AVOUE QUE J’AI VÉCU »

Chapeau si nécessaire
Ricardo Neftali Reyes Basoalto naît à Parral le 12 juillet 1904, fils de Jose Reyes Morales, cheminot et de Rosa Neftali Basoalto Opazo, institutrice, qui meurt deux mois après sa naissance. Son enfance se passe dans la petite ville de Temuco, dans la province éloignée d’Araucanie. Il sera durablement marqué, à la fois par la forte culture indienne de la région, et par l’omniprésence de la nature, par l’ampleur de l’espace. Ses premiers poèmes connus datent de ses quatorze ans. À seize, il prépare deux livres de poèmes signés Neruda, non publiés. En 1921, il s’installe à Santiago pour y étudier le français, il écrit, dit-il, un poème par jour et reçoit le prix de l’association des étudiants. Par ailleurs, il s’associe aux manifestations des ouvriers en grève. Après Crépusculaire, une plaquette publiée à compte d’auteur, il compose, à vingt ans, son premier chef-d’ouvre : Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée. Les lecteurs français, qui le connurent bien plus tard, ont toujours eu du mal à détacher ce livre du Neruda de la maturité : c’est que le jeune homme, avec sa mélancolie traversée d’accès d’une vitalité pleine de sève, est resté, malgré l’usure de la vie et de ses combats, malgré la monumentalité de l’ouvre qui suivit, le même.

Très tôt reconnu, il abandonne ses études pour se consacrer à la littérature, avec un penchant marqué pour l’avant-garde de l’époque, André Breton et ses précurseurs " voyants " : William Blake, Rimbaud, Lautréamont. Ne bénéficiant pas des revenus qui lui permettraient, comme tout littérateur qui se respecte, de vivre en rentier, il entre dans la " carrière ", comme on dit encore à cette époque où la langue internationale est le français, où Neruda excelle. Le voici à vingt-trois ans consul à Rangoon. Il y compose, dans une solitude absolue, la première Résidence sur la terre. La puissance de la nature d’Asie, le mal du pays, la vanité de ses amours avec Josie Bliss, une jeune birmane " anglicisée " font de ce premier recueil un moment attachant de l’ouvre nérudienne, où les thèmes les plus personnels se tressent aux fils d’un hymne à la beauté du monde et de ses peuples. Après Colombo, Batavia, où il se marie avec une jeune hollandaise connue dans ses poèmes sous le nom de " Maruca ", il poursuit sa carrière par Buenos Aires où il fait en 1933 la rencontre " la plus importante de sa vie ", celle de Federico Garcia Lorca.

Avec Lorca, à travers lui, Neruda établit un pont avec toute la jeune poésie espagnole. Un poste à Barcelone en 1934 puis à Madrid en 1935, le lient durablement avec cette génération. Il reçoit " l’hommage des poètes espagnols ", fonde la revue de poésie Caballo Verde, qui publie des poètes des deux continents. Bonheur et amitié : il rencontre Délia, sa deuxième femme, et Rafael Alberti leur trouve à Madrid la fameuse " maison des fleurs ", celles dont il refusera de parler à cause du " sang dans les rues ". La guerre civile éclate, en effet, l’année suivante. Sa vie bascule. Lorca est assassiné. Neruda écrit alors le fameux J’explique certaines choses et le Chant aux mères des miliciens morts, qui figureront dans Espagne au cour, recueil qui sera une des parties de la troisième et dernière Résidence sur la terre. Bien entendu, ce n’est pas très diplomatique, et il est renvoyé. Il s’installe à Paris, où il fonde avec Cesar Vallejo le groupe hispano-américain d’aide à l’Espagne. Il se lie avec tous les artistes antifranquistes, notamment Aragon. Puis il rentre au Chili, d’où il anime la lutte pour l’Espagne républicaine. À la mort de son père, il entreprend ce qui deviendra le Chant général, après dix ans d’écriture. Il achète alors à un ancien officier de marine un îlot non loin de Valparaiso : l’Île noire. Épuisé, il n’arrive plus à écrire, d’autant que le nouveau gouvernement de Frente Popular chilien lui demande d’assurer l’accueil de réfugiés républicains au Chili. Deux mille d’entre eux passeront ainsi de France au Chili à bord du Winnipeg. Il est alors nommé consul général au Mexique, qui vit aussi une expérience de gauche. Il fréquente Orozco, Siqueiros, Rivera, les grands peintres muralistes et son ouvre, notamment le Chant général, connaît une nouvelle impulsion et gagne en ampleur.

Retour au pays : élu en 1945 sénateur des provinces minières du Nord, il reçoit le prix national de Littérature et adhère au Parti communiste. Mais Gabriel Gonzalez, élu avec les voix communistes, renverse ses alliances et persécute ses anciens soutiens. Neruda est condamné à la prison pour " trahison de la patrie ", vit dans la clandestinité plus d’un an, puis traverse la Cordillère à cheval vers l’Argentine. Il devient l’homme public international que nous connaissons : congrès mondial de la Paix à Paris en 1949, prix mondial de la Paix à Varsovie (avec Picasso et Paul Robeson), en 1950. 

De passage en Italie, il est assigné à résidence dans une des îles tyrrhéniennes, ce qui nous vaudra plus tard le Facteur, le beau film de Michael Radford. En 1952, le proscrit peut rentrer chez lui. La veine cosmique du Chant général s’intériorise dans les Odes élémentaires qui feront l’essentiel de son ouvre de 1954 à 1957, et après, depuis les Raisins et le Vent, jusqu’à Vaguedivague en 1958. Son inspiration fait ensuite retour sur l’autobiographie, avec les cent sonnets de la Centaine d’amour et évidemment le chef-d’ouvre que constitue le Mémorial de l’Île noire, publié pour ses soixante-dix ans, le douze juillet 1964. Mais ni sa vie ni son ouvre ne s’arrêtent là. Candidat communiste, il s’efface pour que se constitue l’Unité populaire. Il en sera l’ambassadeur à Paris. Son ouvre se partage entre le chant de la beauté du monde, en une approche plus secrète comme dans les Pierres du Chili, et une poésie de combat telle que l’Incitation au Nixonicide et éloge de la révolution chilienne, écrit quelques mois avant sa mort.

Connue par quelques poèmes jalons, l’ouvre de Neruda mérite mieux que les clichés hâtifs ressassés par ceux qui ne supportent le poète qu’incompris et illisible. Question de pays ou d’époque ? Neruda fut de son temps, de son espace, mais un peu de curiosité le rend instantanément à ce qui est de tout temps, de toute langue, de tout pays : la poésie.


Alain Nicolas
Article paru
le 25 septembre 2003
dans le journal l'Humanité

Tout l’ouvre de Pablo Neruda traduit est disponible chez Gallimard, à l’exception des Cahiers de Temuco, aux éditions du Temps des Cerises. Hauteurs de Machu-Pichu aux éditions Seghers.

COUPURES DE PRESSE

Pablo Neruda « Compagnons, enterrez-moi dans l’Île noire »
Neruda, le poète qui rêvait de changer la vieChili Pablo Neruda «J’avoue que j’ai vécu »
Camarada Pablo Neruda, presente!
La seule pièce de théâtre de Pablo Neruda

mardi 9 décembre 2008

L'ENNEMI, CHARLES BAUDELAIRE

[ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]Charles Baudelaire. Photo Étienne Carjat

Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils.

Voilà que j'ai touché l'automne des idées,
Et qu'il faut employer la pelle et les râteaux
Pour rassembler à neuf les terres inondées,
Où l'eau creuse des trous grands comme des tombeaux.

Et qui sait si les fleurs nouvelles que je rêve
Trouveront dans ce sol lavé comme une grève
Le mystique aliment qui ferait leur vigueur ?

- Ô douleur ! ô douleur ! Le temps mange la vie,
Et l'obscur Ennemi qui nous ronge le cœur
Du sang que nous perdons croît et se fortifie !


EL ENEMIGO - CHARLES BAUDELAIRE


Mi juventud no fue sino oscura tormenta
que rara vez el Sol cortó con luz brillante,
trueno y lluvia ejercieron tan repetida afrenta
que en mi jardín no existen los frutos incitantes.

Yo que toqué el otoño del pensamiento azadas
tendré que usar, rastrillos y palas poderosas,
para juntar de nuevo las tierras inundadas
donde los agujeros son grandes como fosas.

Quién sabe si las nuevas flores que yo he soñado
encontrarán en este territorio lavado
el místico alimento que las vaya elevando!


Oh dolor de dolor! Corre el tiempo, la vida,
y el oscuro enemigo que nos va desangrando
crece y se fortifica con la sangre perdida!

Versión de Pablo Neruda

lundi 8 décembre 2008

CAMARADA PABLO NERUDA, PRESENTE !



Pour les cent ans de l’Humanité, émouvante soirée, vendredi, en ouverture de l’agora.


Alors ils se sont avancés, drapés dans leur légendaire poncho noir, ils ont salué la salle. Le public s’est levé dans un même élan pour ovationner longuement les Quilapayun. L’agora de l’Humanité avait du mal à contenir la foule nombreuse venue assister, vendredi soir, à la longue et belle soirée consacrée à l’un des poètes majeurs du XXe siècle, Pablo Neruda. Jusqu’au bout de la nuit, l’hommage rendu au poète chilien, à l’occasion de son centenaire, fut à la hauteur de l’événement. Que ce soit avec Charles Dobzinsky, généreux dans son partage avec le public de son ardeur poétique, et Alain Sicard, dont l’érudition brillante a permis d’évoquer la poésie sensuelle, amoureuse et politique de Neruda et d’appréhender son éuvre dans toute sa dimension et ses contradictions ; ou encore avec le musicien de jazz Jeff Sicard, accompagné aux percussions par Fabien Bourdier et entouré des comédiens Nazim Boudjenah et Julie Sicard, sociétaire de la Comédie-Française, où les mots du poète croisèrent le fer avec le saxophone lors d’un montage poétique de très belle facture ; ou, plus tard, avec la présence d’Angel Parra dont la voix profonde, chaleureuse, épouse à merveille les vers du poète ; enfin avec les Quilapayun, dont le récital, trop bref, hélas ! résonne encore comme un instant suspendu dans l’histoire chaotique et tragique du Chili. Et celle des retrouvailles naturelles avec la Fête de l’Humanité.


" Peut-être avons-nous encore le temps ", écrit Neruda à une époque cruciale du XXe siècle. Plus tard, il partagera, avec son ami Aragon, l’intuition des crimes staliniens commis au nom du socialisme. " Soy de los que vuelven a la luz " (je suis de ceux qui reviennent à la lumière), écrira-t-il une autre fois, un retour à la lumière et aux grands espaces andins pour chanter la liberté des hommes loin de la poésie tourmentée de ses débuts, influencée par Baudelaire ou Ruben Dario. Neruda sera le poète de la matière et de l’amour quand bien même l’on connaît davantage ses poèmes politiques. Mais l’inquiétude qui l’habite, et dont jamais il ne se départira, trouvera des échos dans la tourmente du siècle passé. La guerre d’Espagne sera le choc décisif : "Venez voir le sang dans les rues / Venez voir le sang des enfants qui coule dans les rues", écrira-t-il, comme une prière vaine pour dire l’indicible, la tragédie qui fera basculer le monde dans l’horreur d’une guerre sans fin.


Poète, diplomate, communiste, Neruda, à l’instar d’un Picasso ou d’un Aragon, sera un homme de son siècle, totalement engagé dans son art aux côtés de ceux qui souffrent et qui résistent. Le coup d’État au Chili, le 13 septembre 1973, perpétré par le général Pinochet, la répression sanglante qui s’ensuivit, la mort de Salvador Allende, celle de Victor Jara l’affecteront terriblement. Il mourra quelques jours après. Comme Antonio Machado qui ne put se résoudre à vivre en exil et fut enterré à Collioure, Pablo Neruda n’a pas survécu à la chape de plomb qui s’est abattue sur son pays. Ses obsèques donnèrent lieu à un rassemblement des plus impressionnants où le peuple chilien vint lui rendre un dernier hommage. Malgré l’armée qui suivait le cortège, un cri s’éleva au-dessus du cercueil qui s’avançait lentement : " Camarada Neruda, presente ! "
Fête de l’Humanité 2004. Camarada Pablo Neruda, presente !

samedi 6 décembre 2008

Oh la guitare


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DESSIN D'ANDRÉ MASSON

Oh la guitare oh la guitare en sa gorge est mon cœur enclos
Moi qui ne fus qu'un chien bâtard je n'ai vécu que de sanglots
Oh la guitare quand on aime et l'autre ne vous aime pas.
Qu'on fasse taire le poème entendez-moi pleurer tout bas....................Sur la guitare la guitare
Oh la guitare oh la guitare elle fait nuit mieux que la nuit
Les larmes sont mon seul nectar tout le reste n'est que du
bruit
Oh la guitare pour le rêve oh la guitare pour l'oubli
Le verre à quoi la main le lève à l'âge où l'on dort dans les lits
....................Sans la guitare la guitare
Oh la guitare ma guitare il me la faut pour que je croie
À ce triste air à ce triste art qui m'aide à mieux porter ma
croix
Oh la guitare du calvaire oh la guitare sans tes yeux
Brûlez ma voix brûlez mes vers oh la guitare d'être vieux
....................Guitare guitare guitare


Dans Élégie à Pablo Neruda, page 1071

Aragon. Œuvres poétiques complètes
Préface de Jean Ristat
Édition publiée sous la direction d'Olivier Barbarant
Collection « Bibliothèque de la Pléiade », 2007
TOME II : 1776 pages



Pour un Universel réconcilié

Pour un Universel réconcilié

El bosque chileno


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Volcan Villarica montrant une de ses petites éruptions régulières. Photo Gerhard Hüdepohl

Cratère de Volcan Puyehue Photo Gerhard Hüdepohl

Vue aérienne du cratère du volcan Villarica avec le Lanin à l'arrière-plan. Les petits points sur la pente gauche du volcan sont des touristes sur la route du cratère. Photo Gerhard Hüdepohl

Bajo los volcanes, junto a los ventisqueros, entre los grandes lagos, el fragante, el silencioso, el enmarañado bosque chileno... Se hunden los pies en el follaje muerto, crepitó una rama quebradiza, los gigantescos raulíes levantan su encrespada estatura, un pájaro de la selva fría cruza, aletea, se detiene entre los sombríos ramajes. Y luego desde su escondite suena como un oboe... Me entra por las narices hasta el alma el aroma salvaje del laurel, el aroma oscuro del boldo... El ciprés de las Guaitecas intercepta mi paso... Es un mundo vertical: una nación de pájaros, una muchedumbre de hojas... Tropiezo en una piedra, escarbo la cavidad descubierta, una inmensa araña de cabellera roja me mira con ojos fijos, inmóvil, grande como un cangrejo... Un cárabo dorado me lanza su emanación mefítica, mientras desaparece como un relámpago su radiante arco iris... Al pasar cruzo un bosque de helechos mucho más alto que mi persona: se me dejan caer en la cara sesenta lágrimas desde sus verdes ojos fríos, y detrás de mí quedan por mucho tiempo temblando sus abanicos... Un tronco podrido: qué tesoro!... Hongos negros y azules le han dado orejas, rojas plantas parásitas lo han colmado de rubíes, otras plantas perezosas le han prestado sus barbas y brota, veloz, una culebra desde sus entrañas podridas, como una emanación, como que al tronco muerto se le escapara el alma... Más lejos cada árbol se separó de sus semejantes... Se yerguen sobre la alfombra de la selva secreta, y cada uno de los follajes, lineal, encrespado, ramoso, lanceolado, tiene un estilo diferente, como cortado por una tijera de movimientos infinitos... Una barranca: abajo el agua transparente se desliza sobre el granito y el jaspe... Vuela una mariposa pura como un limón, danzando entre el agua y la luz... A mi lado me saludan con sus cabecitas amarillas las infinitas calceolarias... En la altura, como gotas arteriales de la selva mágica se cimbran los copihues rojos (Lapageria rosea)... El copihue rojo es la flor de la sangre, el copihue blanco es la flor de la nieve... En un temblor de hojas atravesó el silencio la velocidad de un zorro, pero el silencio es la ley de estos follajes... Apenas el grito lejano de un animal confuso... La intersección penetrante de un pájaro escondido... El universo vegetal susurra apenas hasta que una tempestad ponga en acción toda la música terrestre.

Quién no conoce el bosque chileno, no conoce este planeta. De aquellas tierras, de aquel barro, de aquel silencio, he salido yo a andar, a cantar por el mundo.

De Confieso que he vivido. Memorias (1974)

mardi 2 décembre 2008

Alain Souchon chante un hommage à Neruda

«Je lis et relis Aragon... J'aime l'ensemble de son oeuvre, mais rien n'est plus bouleversant que ses textes écrits pendant l'Occupation. Ce sont des chansons sans musique, chargées d'exalter l'âme française, d'unir catholiques et communistes dans le même élan de résistance. En célébrant Aragon, je retrouve ma jeunesse et l'époque où j'écoutais Ferré chanter Est-ce ainsi que les hommes vivent ? »