Citation de Pablo Neruda

vendredi 30 octobre 2009

Réédition de Né pour naître de Pablo Neruda

Ce recueil rassemble des poèmes en prose, des préfaces, des articles, des discours, des essais et d'autres écrits de Pablo Neruda.

Dans ces textes, chargés d'humour, de tendresse et parfois de violence lucide, il raconte l'Extrême-Orient des années de jeunesse qui inspira Résidence sur la terre, il évoque l'Espagne de 1936, la condition des Indiens du Mexique, la revue Cheval vert, les amis d'alors, García Lorca
, Alberti, Miguel Hernández, Ramón Gómez de la Serna, et fait revivre les rencontres insolites sous toutes les latitudes. Il célèbre le paysage marin, les brodeuses et les personnages typiques de l'Ile-Noire, il recrée les mystérieuses cérémonies auxquelles se livrent d'étranges invités dans la maison d'un écrivain célèbre de Santiago, éclaire le drame du Chili sous la dictature de Gonzáles Videla et la lutte civique et politique qu'il mena avant d'entrer dans la clandestinité...

Ce volume complète ainsi les Mémoires du célèbre poète, publiés sous le titre J'avoue que j'ai vécu, prose lyrique et description éblouie de la découverte du monde, révèle un homme déchiré par les contradictions du monde moderne.

Né pour naître fut publié pour la première fois en France en
1980, dans une traduction de l'espagnol par Claude Couffon , 504 pages, 140 x 205 mm. Collection Du monde entier, Gallimard -ess. ISBN 2070208494.

Le même ouvrage , 496 pages sous couv. ill., 115 x 190 mm. Collection L'Étrangère (1996), Gallimard -ess. ISBN 2070746895.

Le même ouvrage , 504 pages sous couv. ill., 125 x 190 mm. Collection L'Imaginaire (No 585) (2009), Gallimard -ess. ISBN 9782070760084. Parution le 01-10-2009 prix 8,50€

dimanche 25 octobre 2009

MAURICIO AMSTER, DESIGNER ET TYPOGRAPHE CHILIEN



MAURICIO AMSTER 
Mauricio Amster Cats naît en 1907 dans la ville de Lemberg en Pologne, au sein d'une famille séfardie. Il fait des études de communication graphique, de typographie et de dessin à l'École d'Arts et Métiers de Berlin.
En 1930 il a voyage en Espagne à la recherche d’un emploi, invité par son ami typographe 
Mariano Rawizc. Jeune dessinateur pendant la Deuxième République espagnole, il consolide son expérience professionnelle en travaillant pour l'édition mais aussi pour divers quotidiens et revues. Parallèlement, il milite au Parti communiste espagnol.

En juillet 1936, quand la Guerre Civile espagnole éclate, Amster s’engage comme volontaire dans les milices populaires, mais il est remercié suite à une myopie prononcée. Dès lors, sa participation et son engagement s’orientent vers d'autres travaux : il collabore notamment dans le transfert, ordonné par le Gouvernement de la République, des œuvres du Trésor Artistique Espagnol (œuvres du Prado et d’ailleurs) vers Valence.

Plus tard il est nommé directeur des publications du Ministère d'Instruction Publique. Par la suite, il est destiné à la Sous-secrétairerie de Propagande, où il dessine l'Abécédaire Scolaire Antifasciste, destiné à alphabétiser les soldats des tranchées.

De Valence, Amster passe à Barcelone, où il rencontre sa future femme Adina Amenedo, qui travaillait dans l’imprimerie comme relieuse. Après la victoire du franquisme, le couple émigre en France, où ils sont accueillis par la famille du poète Rafael Alberti, qui les présenta à Pablo Neruda.

COUVERTURE DE LA BROCHURE « CHILE OS ACOGE » (LE CHILI VOUS ACCUEILLE) DE 1939, RÉALISÉE PAR MAURICIO AMSTER. LA BROCHURE FUT RÉDIGÉE ET DISTRIBUÉE PAR PABLO NERUDA AUX VOYAGEURS DU WINNIPEG

Le poète avait été envoyé en France comme consul spécial pour l'émigration espagnole, avec la mission de sélectionner les réfugiés espagnols qui s'embarqueraient en 1939 à bord du Winnipeg, à destination de Valparaiso.

Neruda lui commande alors l’illustration de la brochure « Chile os acoge », « Le Chili vous accueille », rédigée par Pablo Neruda et distribuée aux voyageurs du Winnipeg, dont Mauricio Amster faisait lui-même partie.

UNE DE L'HEBDOMADAIRE « QUÉ HUBO EN LA SEMANA » N° 1, DU 13 JUIN 1939. SOURCE MÉMOIRE CHILIENNE

À son arrivée au Chili, Mauricio Amster travaille comme designer dans l'hebdomadaire Qué hubo en la semana, (« Qu’y a-t-il eu dans la semaine ») dirigé par Luis Enrique Délano, puis comme directeur artistique, notamment aux Editions « Zig-Zag », que dirigeait alors l'écrivain espagnol José Marie Souviron.

Parallèlement à ce travail, Amster promeut autres projets d’édition, comme les Editions « Cruz del Sur » (« la Croix du Sud ») ou la revue Babel, considérée comme une des publications culturelles les plus importantes de l'histoire de l'édition chilienne, où il travaille aussi comme dessinateur, traducteur et collaborateur.

Il collabore également dans plusieurs publications d’œuvres de Pablo Neruda. Son travail comme graphiste a retenu l’attention de prestigieuses institutions dont le Moma qui compte dans ses colletions des travaux de Mauricio Amster.

AFFICHE DE MAURICIO AMSTER PUBLIÉ PAR LE MINISTÈRE D'INSTRUCTION PUBLIQUE. « LES MILICES DE LA CULTURE LUTTENT CONTRE LE FASCISME EN COMBATTANT L'IGNORANCE » DANS LA COLLECTION THE MUSEUM OF MODERN ART (MOMA) DE NEW YORK



En 1953, avec l'écrivain Ernesto Montenegro, il fonde l'École de Journalisme, Sciences et Techniques de la Communication de l'Université du Chili, dans laquelle il assume la chaire de Technique Graphique. À la même époque, Amster entame l'une de ses relations de travail les plus fructueuses en tant que dessinateur et typographe, celle avec l’ « Editorial Universitaria », institution à laquelle il restera lié jusqu'à sa mort en février 1980.
MC.


samedi 24 octobre 2009

Gilles Hertzog

Gilles Hertzog - Photo Léo Caillard, © La Règle du jeu
Gilles Hertzog est petit-fils de Marcel Cachin, cofondateur du Parti communiste français. Diplômé de Sciences-Po, il a été éditeur pendant vingt ans chez Plon et est aujourd'hui le rédacteur en chef de la revue La règle du jeu, dirigée par Bernard-Henry Lévy. Il a coécrit avec Dominique-Antoine Grisoni, "Les Brigades de la mer" (paru chez Grasset en 1979), et est l'auteur du "Séjour des Dieux" (Grasset, 2004). Les parents de Gilles Hertzog, Paul Hertzog et Marcelle Cachin, ont participé au voyage en tant que médecins à bord du Winnipeg.

AU CHILI POUR LE SOIXANTE-DIXIÈME ANNIVERSAIRE DU WINNIPEG


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ENTÊTE D’UNE PUBLICATION DE LA FONDATION PABLO NERUDA
À L’OCCASION DU SOIXANTE-DIXIÈME ANNIVERSAIRE 
DU VOYAGE DU WINNIPEG AU CHILI

Les Chiliens rendent hommage à Neruda, alors ambassadeur du Chili en France, qui fit venir à l’été 1939 deux mille cinq cents réfugiés républicains espagnols au Chili. Soixante-dix survivants sont là, devant la tombe du poète, et par centaines, leurs enfants et petits-enfants les entourent. Un chœur de vieux Galiciens chante les chansons du pays natal, l’Espagne de jadis, d’avant Franco…
par Gilles Hertzog
PHOTO ALEX IBAÑEZ
Seul étranger dans toute cette assemblée, je suis venu rendre hommage aux cent cinquante Français, marins, personnel de bord, médecins et infirmiers, dont mes parents, Paul Hertzog et Marcelle Hertzog-Cachin, médecins du bord, qui mirent à exécution à l’été 1939 l’idée du grand poète chilien et amenèrent à bon port, de Bordeaux à Valparaiso, les deux mille cinq cents réfugiés républicains espagnols. Faisant ainsi concrètement du Winnipeg, par leur dévouement en acte à la cause de l’Espagne républicaine, belle et bien «le Bateau de l’espoir», comme les Chiliens l’ont baptisé depuis.

PHOTO ALEX IBAÑE
Hier a eu lieu la cérémonie officielle, au palais de la Moneda, où Salvador Allende se donna la mort. La Présidente, Michelle Bachelet a salué le retour de la démocratie en Espagne et au Chili. Entendez : Il n’y aura plus jamais besoin de Winnipeg entre nous, jeunes mais fermes et définitives démocraties.

PASSAGERS DU WINNIPEG PENDANT
LA TRAVERSÉE VERS LE CHILI
PHOTO MONTSERRAT BRU
On me demande de prononcer quelques mots. Je dis qui étaient mes parents. Une vieille dame se souvient, Mercedès Corbato avait sept ans, elle avait la typhoïde, ma mère l’a soigné; elle pleure. Je reprends pour dire, qu’à côté de Neruda, tous ces Français, complètement oubliés depuis au Chili, méritent eux aussi qu’il leur soit rendu hommage, tant ils furent de bout en bout les artisans magnifiques de ce magnifique et redoutable voyage, qui représentait une formidable gageure. Transporter, nourrir, soigner, entretenir tout un mois, de Trompeloup sur la Gironde à Valparaiso à quinze mille kilomètres de là, à travers deux océans, deux mille cinq cents réfugiés, femmes, enfants, vieillards, soldats, mal en point physiquement et plus encore moralement, victimes du fascisme, vaincus, véritables proscrits dont la France de Daladier ne voulait pas, qui venaient juste de sortir des camps de concentration, Argelès, le Vernet, Gurs, Barcarès, Saint-Cyprien, où les gardes mobiles français les avaient parqués sur des plages battues par le vent au terme d’un terrible exode à pied depuis la Catalogne à travers les Pyrénées en plein hiver, tout cela était rien moins qu’évident. Ils seraient des milliers, à bord d’un navire qui n’était en rien un paquebot, pas plus que son équipage de marins de commerce n’avait l’expérience des passagers… Tout ce monde, toute cette misère humaine, ce drame d’un peuple trahi, abandonné, allaient se retrouver embarqués sur un ex-cargo céréalier, transformé deux ans plus tôt en transporteur d’armes pour l’Espagne républicaine, et dont on venait de finir de réaménager les cales en immenses réfectoires, sanitaires et dortoirs peuplés de milliers de châlits ! Last but not least, comment serait l’océan ? Clément ou redoutable ? Mais surtout planait sur cet été 39 l’ombre de la guerre, l’imminence d’un embrasement général. L’Allemagne nazie, après avoir englouti l’Autriche, les Sudètes, la Tchécoslovaquie entière, se déchaînait maintenant sur Dantzig et le corridor polonais, multipliant coups de gueule et provocations, massant ses forces sur ses frontières. Le monde retenait son souffle, pendu aux lèvres écumantes d’Adolf Hitler.
Le pari du Winnipeg, on le voit, n’était pas mince. À bord, tous en étaient conscients. Tous s’y dédièrent corps et âme. Par solidarité politique autant qu’humaine.

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DR MARCELLE HERZOG-CACHIN ET
DR  PAUL HERZOG MEDECINS A
BORD DU CARGO WINNIPEG EN 1939
PHOTO GILLES HERZOG
Mon père, chirurgien, ma mère, médecin pédiatre n’avaient pas trente ans, ils venaient de se marier et d’avoir un enfant, mon frère aîné, quelques mois plus tôt. Comme tous les gens du bord, ils partirent sans un mot, tant, pour eux, la chose était évidente, soucieux avant toute considération personnelle de continuer leur combat de plusieurs mois à soigner les réfugiés espagnols dans les camps de la honte où les avait parqué le gouvernement français. Eux deux, le docteur Chrétien et les quinze infirmiers et infirmières du bord emmenés par une maîtresse femme, Philomène Gaubert, montèrent un véritable hôpital, avec bloc opératoire, infirmerie, nursery et salle de repos. Ils accouchèrent plusieurs bébés durant le mois de traversée du Winnipeg, sauvèrent des dizaines de femmes et enfants atteints de typhoïde, les enfermant nuit et jour dans des draps glacés pour faire retomber la température sous les tropiques puis l’équateur, draps qu’il fallait changer toutes les heures pendant vingt jours. Ce fut un travail titanesque. De même, tous les marins laissèrent leurs cabines aux femmes enceintes ou dotées d’enfants en bas âge ainsi qu’aux vieillards. De même, intendants, cuisiniers, firent des prodiges pour produire cinq mille repas par jour un mois durant. Tous arrivèrent épuisés à Valparaiso. Ils pensaient être au bout de leur peine… Ce ne fut en rien une banale traversée, avec des marins, médecins et autres, faisant simplement leur travail en purs professionnels, mais une aventure politique et humaine de gens se dépensant spontanément au service des victimes du fascisme.

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L'INFIRMIERE PHILOMENE GAUBERT 
ET SON EQUIPE MONTERENT UN 
VERITABLE HOPITAL A BORD DU 
WINNIPEG EN 1939
PHOTO GILLES HERTZOG
Marins, personnel médical, personnel de bord, tous ou presque – excepté le capitaine…– étaient de jeunes communistes, sous la houlette d’un bolchévique mâtiné de Pagnol, Emile Seillon, provençal de la Ciotat, qui, derrière ses fonctions commerciales de subrécargue du Winnipeg, était, de fait, le commissaire politique du bord. Quelles que soient nos opinions aujourd’hui et nos jugements sur l’Histoire, le Parti communiste français de l’époque, tout stalinien qu’il fût, et sa filiale, la compagnie France-Navigation, méritent, eux aussi, d’être pleinement associés à cet anniversaire. D’abord, parce que cette compagnie de navigation, montée par le parti communiste français et l’Internationale communiste en avril 1937, ravitailla l’Espagne républicaine en armes soviétiques durant tout le reste de la guerre d’Espagne. Plus de trente bateaux, au mépris des sous-marins allemands qui les guettaient dans l’Atlantique Nord entre la Norvège, l’Irlande et la France, et au mépris, tout autant, des accords de non-intervention qui asphyxiaient l’Espagne républicaine, convoyèrent en deux ans et demi des centaines d’avions et de tanks en caisse, plus des milliers de tonnes d’armements, de Mourmansk, en mer Blanche, à Bordeaux, sur la Gironde. Ce fut la plus grande opération de contrebande de tous les temps, à travers les mers puis les frontières françaises des Pyrénées, grâce, cette fois, à la complicité des cheminots et des douaniers français. Les mêmes bateaux assurèrent l’évacuation de milliers de personnes à Bilbao, à la chute du Pays basque en juin 1937, puis tentèrent en vain de forcer le blocus des torpilleurs franquistes devant Alicante à l’agonie, fin mars 1939, à la chute de la République espagnole. Enfin, ce fut le Winnipeg, affrété par le SERE du président Négrin, auprès de France-Navigation, pour un prix, je le souligne en passant, bien moindre que les autres compagnies françaises qui transportèrent les mêmes réfugiés espagnols au Mexique. Car pour tous, responsables du PCF, dirigeants de France-Navigation, équipage, médecins, personnel de bord du Winnipeg, c’était un voyage militant. Beaucoup choisirent d’être bénévoles. Tous avaient l’Espagne au cœur. Je les ai rencontrés un à un il y a trente ans pour écrire leur histoire, cette belle et émouvante épopée, dans un livre intitulé les Brigades de la Mer, par référence, bien entendu, aux Brigades Internationales en Espagne. Tous sans exception me disaient que ce fut, pour les uns, le plus bel acte militant, pour les autres, le plus beau voyage de leur vie (mes parents disaient même que ce fut leur voyage de noce…). Exactement comme Neruda qui écrivit ici, à Isla Negra, qu’on pouvait ne pas aimer sa poésie, mais que ce voyage dont il fut à l’origine était ce qu’il avait fait de mieux dans son existence et que nul ne pourrait lui contester cela.

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CARGO WINNIPEG DE COMPAGNIE 
FRANCE NAVIGATION MONTEE 
PAR LE  PCF ET IC EN 1937 
PHOTO GILLES  HERTZOG 
D’autant que ce voyage sans histoire pour des milliers de réfugiés et tous les survivants ici présents qui en gardent le souvenir ébloui de leur libération des camps français de concentration et un sentiment de premier bonheur après tant de souffrances endurées, cette croisière, presque, où tout s’est passé formidablement sans le moindre incident – ce qui était loin d’être joué d’avance – ce voyage, les Français du Winnipeg ont failli, eux, le payer fort cher. Les Chiliens ignoraient totalement la conclusion qui suit, et prennent, au fur et à mesure qu’ils m’écoutent, une mine navrée.

Quelques jours avant l’arrivée du Winnipeg à Valparaiso, c’est le coup de tonnerre du pacte germano-soviétique de non-agression entre ces deux ennemis qu’on disait irréductibles, l’Allemagne nazie et l’URSS. Le Parti communiste français, qui approuve le pacte non sans trouble, est aussitôt interdit et tous ses biens directs ou indirects, dont France-Navigation, sont saisis. Le gouvernement français, qui veut justifier cette interdiction, illégale sur le plan constitutionnel et au regard des libertés publiques, va tenter de criminaliser le Parti communiste français, en le faisant passer pour traitre à son pays. Au terme d’un accueil délirant des Chiliens massés sur les quais de Valparaiso, à peine les deux mille cinq cents réfugiés espagnols avaient-ils débarqué le 3 septembre 1939 au matin, le jour-même de la déclaration de guerre de la France et de la Grande-Bretagne à l’Allemagne, que commence l’affaire France-Navigation, montée de toutes pièces depuis Paris. Avec la complicité du capitaine du Winnipeg, dûment soudoyé par les compagnies maritimes «bourgeoises» à l’affût des milliers de républicains espagnols devant encore émigrer de France, et qui retourne promptement sa veste, notre ambassadeur à Santiago, Monsieur de Grandmaison, invoque auprès des autorités chiliennes une mutinerie imaginaire de l’équipage du Winnipeg, emmené, dit-il, par les époux Hertzog, «gendre et fille de Cachin», afin de livrer le bateau aux Russes à Vladivostok plutôt que de rentrer en France «se faire trouer la peau pour les capitalistes». Il fait saisir le bateau et interner l’équipage, le personnel médical et le personnel de bord par les fusiliers marins chiliens de Valparaiso. Libérés quelques jours plus tard par les Chiliens, fort embarrassés par cette affaire qui ne les concerne en rien, tous sont rapatriés en France sur un bateau de ligne, mais se voient internés par les Américains à Panama (au beau milieu d’un équipage nazi !), puis livrés aux Français à la Martinique et jetés en prison à leur arrivée en France à Bordeaux, au fort du Ha. Mon père, lui, atteint de typhoïde, avait débarqué avec ma mère à Coquimbo, au nord du Chili. À peine la France regagnée, via les Etats-Unis, l’Atlantique nord infesté de sous-marins allemands et la Grande-Bretagne en guerre, il est cueilli à son arrivée en Bretagne par les gendarmes, sur dénonciation anonyme, et incarcéré à son tour au fort du Ha. Libérés à la mi-janvier 40 dans l’attente de leur procès, les «meneurs» sont expédiés au front. Fin mars 1940, au terme d’un procès surréaliste, où le capitaine félon se garde bien d’apparaître et où l’accusation de mutinerie se dégonfle au fil des heures, la centaine de Français du Winnipeg sont tous acquittés haut la main, vue l’inanité des charges et grâce, non moins, au démontage d’un maître du barreau de l’époque, le célèbre avocat Moro-Giafferi.

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VUE DES REFUGIES ESPAGNOLS
 SUR LE PONT DU WINNIPEG L'ETE 1939 
PHOTO GILLES  HERTZOG
Bref, ce voyage de l’espérance pour les Espagnols d’alors devenus aujourd’hui chiliens, s’est soldé, pour tous leurs anges gardiens et accompagnateurs, qui l’avaient rendu possible de bout en bout, par de longs mois de prison, coupés des leurs et de leur pays en guerre. En cas de condamnation, à quelque temps de la défaite de la France et de l’invasion allemande, on imagine combien l’affaire eût tourné au cauchemar. (À peine trois jours après l’entrée de la Wermacht dans Paris, la Gestapo se précipite au siège de France-Navigation). Aucun marin du Winnipeg ne retrouva d’embarquement à sa sortie du fort du Ha. Pire, les autorités de Vichy, à la solde des Allemands, pourchassèrent pendant toute l’Occupation ceux qui avaient été sur les bateaux de France-Navigation, à commencer par ceux du Winnipeg, marins et autres, dont mon père qui connut de nouveau les prisons françaises, Rennes, cette fois, et la Santé. Nombre de gens du Winnipeg et de France-Navigation rentrèrent dans la Résistance française. Quelques-uns y ont laissé leur vie, tués au combat, fusillés ou déportés. Mon père, qui échappa à ce sort, acheta après la guerre un petit bateau à voile. Je laisse deviner le nom qu’il donna à ce bateau. (Moi aussi, à mon tour, j’aurai navigué, enfant, sur le Winnipeg !)
Pour toutes ces raisons, ces hommes et ces femmes du Winnipeg et de France-Navigation, tous morts aujourd’hui, méritent, eux aussi, une part de la reconnaissance et de l’hommage que, par centaines, les «Chiliens du Winnipeg», comme ils se nomment entre eux, rendent en ce 3 septembre à Pablo Neruda dans sa demeure du Pacifique. Je dis que je suis venu au Chili pour qu’on ne les oublie pas. Des poings se lèvent. Un homme chante une chanson française sur les pompons rouges des marins français, apprise, enfant, à bord du Winnipeg, auprès des matelots du bords. Non, c’est promis, me dit-on de toutes parts, nous ne savions pas ce qui s’était passé après notre arrivée ici, au Chili, mais, non, nous n’oublierons plus les Français du Winnipeg.

dimanche 18 octobre 2009

ATENCIÓN

Atención

el pez nada en el ancho mar :
vive bien.
el zorro en su covacha huele
a selva : no está mal.
el pájaro, que casa grande y
limpia habita !
el mamίfero grande : le
sobra espacio.
la culebra : vive lindo
sobre hierba y rocίo !
sólo el hombre es miserable
sobre la tierra que le pertenece
le falta espacio, agua, cielo, luz,
techo, intimidad, felicidad :
muchachos comunistas
a uds les toco arreglar este
asunto : la vivienda : es decir
la vida !

Neruda 1973

Le bestiaire nérudien

Organisée par le Centre de Recherches Latino-Américaines de l'Université de Poitiers, l'activité fut une réussite. La réunion de clôture a été animée par les chercheuses Marie Laure Sara et Mélina Cariz qui ont présenté une communication «al Alimón» (en tandem) comme clin d'œil au discours prononcé par Federico Garcia Lorca et Pablo Neruda à Buenos Aires en 1933. C'est sur les paroles du grand spécialiste nérudien Alain Sicard que le colloque pris fin.