Citation de Pablo Neruda

vendredi 28 décembre 2012

SONETO XXIV

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PABLO NERUDA CHEZ LUI À ISLA NEGRA EN 1969, POSE À CÔTÉ D'UNE PHOTOGRAPHIE DE TWIGGY LAWSON, MANNEQUIN, ACTRICE ET CHANTEUSE BRITANNIQUE. ELLE EST CONNUE POUR ÊTRE UN EMBLÈME DES ANNÉES 1960 ET UNE DES MANNEQUINS LES PLUS CÉLÈBRES DE CETTE ÉPOQUE.  PHOTO  SARA FACIO



Amor, amor, las nubes a la torre del cielo 
subieron como triunfantes lavanderas, 
y todo ardió en azul, todo fue estrella: 
el mar, la nave, el día se desterraron juntos. 

Ven a ver los cerezos del agua constelada 
y la clave redonda del rápido universo, 
ven a tocar el fuego del azul instantáneo, 
ven antes de que sus pétalos se consuman. 

No hay aquí sino luz, cantidades, racimos, 
espacio abierto por las virtudes del viento 
hasta entregar los últimos secretos de la espuma. 

y entre tantos azules celestes, sumergidos, 
se pierden nuestros ojos adivinando apenas 
los poderes del aire, las llaves submarinas. 





Pablo Neruda, « SONNET XXIV » ( Soneto XXIV ) dans « La Centaine d'amour » ( Cien Sonetos de Amor ) [1957-1959],  De « Odas elementales » a « Memorial de Isla Negra », 1954-1964, (Obras completas, tomo II) page 869 Edición de Hernán Loyola. Galaxia Gutemberg, Barcelona, 1999.

SONNET XXIV

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PABLO NERUDA PENDANT SON TRAVAIL D'ÉCRITURE À ISLA NEGRA AU CHILI 1969. PHOTO  SARA FACIO



24 



Amour, amour, à la tour du ciel les nuages 
montèrent telles de triomphantes lavandières, 
et tout brûla en bleu d'azur, tout fut étoile: 
la mer, la nef, le jour s'exilèrent ensemble. 

Viens voir les cerisiers dans leur eau constellée 
viens voir la ronde clef de l'univers rapide, 
viens toucher le feu de l'azur instantané, 
viens avant que ses pétales soient consumés.

Il n'est ici que lumière, quantités, grappes, 
il n'est qu'espace ouvert par les vertus du vent 
jusqu'à livrer les derniers secrets de l'écume. 

Et parmi tant de bleus célestes, submergés, 
nos yeux se sont perdus, ils devinent à peine 
les puissances de l'air et les clefs de la mer. 



Pablo Neruda, « SONNET 24 » ( Soneto XXIV ) dans « La Centaine d'amour » [1995], page 27. Traduction de l'espagnol par André Bonhomme et Jean Marcenac. Édition bilingue, 252 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Poésie/Gallimard (No 291), Gallimard -poes. ISBN 2070328929.


SONETO VIII

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PABLO NERUDA  DANS SON BUREAU D’ISLA NEGRA AU CHILI 1969. PHOTO  SARA FACIO





Si no fuera porque tus ojos tienen color de luna, 
de día con arcilla, con trabajo, con fuego, 
y aprisionada tienes la agilidad del aire, 
si no fuera porque eres una semana de ámbar, 

si no fuera porque eres el momento amarillo 
en que el otoño sube por las enredaderas 
y eres aún el pan que la luna fragante 
elabora paseando su harina por el cielo, 

oh, bienamada, yo no te amaría! 
En tu abrazo yo abrazo lo que existe, 
la arena, el tiempo, el árbol de la lluvia, 

y todo vive para que yo viva: 
sin ir tan lejos puedo verlo todo: 
veo en tu vida todo lo viviente. 




Pablo Neruda, « SONNET VIII » ( Soneto VIII ) dans « La Centaine d'amour » ( Cien Sonetos de Amor ) [1957-1959],  De « Odas elementales » a « Memorial de Isla Negra », 1954-1964, (Obras completas, tomo II) page 859 Edición de Hernán Loyola. Galaxia Gutemberg, Barcelona, 1999.

SONNET VIII

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PABLO NERUDA  PENSIF À ISLA NEGRA AU CHILI 1969. PHOTO  SARA FACIO





8


Si ce n'était que tes yeux ont couleur de lune, 
couleur de jour, avec argile, travail, feu, 
si tu n'avais conquis l'agilité de l'air, 
et si tu n'étais pas une semaine d'ambre, 

si ce n'était que tu sais être l'heure jaune 
où l'automne s'élève avec la vigne vierge 
et que tu es le pain que la lune odorante 
fabrique en promenant dans le ciel sa farine, 

oh, ma bien-aimée, moi je ne t'aimerais pas! 
Tout ce qui est,je l'embrasse dans ton baiser, 
et le sable, et le temps, et l'arbre de la pluie, 

tout ce qui est vivant vit pour que moi je vive: 
à quoi bon m'éloigner puisque je peux tout voir: 
tout ce qui est vivant,je le vois dans ta vie. 


Pablo Neruda, « SONNET 8 » ( Soneto VIII ) dans « La Centaine d'amour » [1995], page 27. Traduction de l'espagnol par André Bonhomme et Jean Marcenac. Édition bilingue, 252 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Poésie/Gallimard (No 291), Gallimard -poes. ISBN 2070328929.

SONNET XCII

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PABLO NERUDA  DANS SON BUREAU D’ISLA NEGRA AU CHILI 1969. PHOTO  SARA FACIO





92 

Mon amour, si je meurs et si tu ne meurs pas, 
mon amour, si tu meurs et si je ne meurs pas, 
n'accordons pas à la douleur plus grand domaine: 
nulle étendue ne passe celle de nos vies.

Poussière sur le blé, et sable sur les sables 
l'eau errante et le temps, et le vent vagabond 
nous emportaient tous deux comme graine embarquée. 
Nous pouvions dans ce temps ne pas nous rencontrer.

Et dans cette prairie où nous nous rencontrâmes, 
mon petit infini, nous voici à nouveau. 
Mais cet amour, amour, est un amour sans fin, 

et de même qu'il n'a pas connu de naissance 
il ignore la mort, il est comme un long fleuve, 
il change seulement de lèvres et de terre. 



Pablo Neruda, « SONNET 92 » ( Soneto XCII ) dans « La Centaine d'amour » [1995], page 201. Traduction de l'espagnol par André Bonhomme et Jean Marcenac. Édition bilingue, 252 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Poésie/Gallimard (No 291), Gallimard -poes. ISBN 2070328929.

jeudi 27 décembre 2012

SONNET LXXXI

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PHOTO DE COUVERTURE DU LIVRE « FUE TAN BELLO VIVIR CUANDO VIVÍAS » (IL FUT SI BEAU VIVRE QUAND TU VIVAIS) A ÉTÉ L'UN DES DERNIERS VERS DU POÈME « FINAL » QUE PABLO NERUDA A ÉCRIT AVANT DE MOURIR EN 1973, ET QUI MAINTENANT SERT COMME TITRE À PRÉSENTER LE LIVRE QUI REPASSE LA VIE DE MATILDE URRUTIA. LE LIVRE DE DARIO OSSES A ÉTÉ PUBLIÉ À L'OCCASION DU CENTENAIRE DE LA NAISSANCE DE MATILDE TROISIÈME ET DERNIÈRE ÉPOUSE DU POÈTE CHILIEN MAI 2012. PHOTO FUNDACIÓN PABLO NERUDA




81

Mienne, que ton sommeil repose en mon sommeil. 
Amour, douleur, travaux, c'est l'heure de dormir. 
Et dans la nuit tournant sur ses roues invisibles 
comme l'ambre endormi contre moi tu es pure. 

Nulle autre, amour, ne dormira avec mes rêves. 
Tu iras, nous irons, sur l'eau du temps, ensemble. 
Et dans l'ombre avec moi nulle autre voyageuse 
que toi, lune et soleil, toujours mon immortelle. 

Ouvertes sont tes mains et leurs poings délicats, 
de doux signes sans but en sont déjà tombés 
tes yeux se sont fermés comme deux ailes grises. 

Que filent leur destin la nuit, le vent, le monde, 
moi je ne suis en toi que cette eau qui m'emporte 
et sans toi je ne suis rien de plus que ton rêve. 



Pablo Neruda, « SONNET 81 » ( Soneto LXXXI ) dans « La Centaine d'amour » [1995], page 179. Traduction de l'espagnol par André Bonhomme et Jean Marcenac. Édition bilingue, 252 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Poésie/Gallimard (No 291), Gallimard -poes. ISBN 2070328929.


EN SAVOIR PLUS SUR NERUDA SONGS

POCHETTE DU NOUVEL ALBUM CD DE LA MEZZO-SOPRANO AMÉRICAINE LORRAINE HUNT-LIEBERSON «NERUDA SONGS » (PARU LE 26 FÉVRIER 2007) AVEC LA BOSTON SYMPHONY ORCHESTRE SOUS LA DIRECTION DE JAMES LEVINE

Lorraine Hunt-Lieberson (mezzo), Boston Symphony orchestra, dir. James Levine

CLASSIQUE

En 1997, la rencontre entre la cantatrice américaine Lorraine Hunt et son compatriote le compositeur Peter Lieberson, lors des répétitions de l'opéra de ce dernier — Ashoka's Dream — tient du coup de foudre. Mais le conte de fées ne dure guère entre les deux jeunes mariés : moins de dix ans plus tard, le 3 juillet 2006, Lorraine Hunt est emporté par un cancer, à 52 ans. Quelques mois plus tôt, elle a pu néanmoins enregistrer en public, à Boston, le cycle de cinq mélodies avec orchestre que son mari lui a dédié. 

Ceux qui ont eu le privilège de voir et d'entendre Lorraine Hunt sur scène, dirigée par William Christie et mise en scène par Jean-Marie Villégier, ne peuvent oublier ses incarnations brûlantes de la Médée de Marc-Antoine Charpentier, salle Favart à Paris, en 1992, ou de la Phèdre de Jean-Philippe Rameau, au palais Garnier, en 1996. 

Ancienne altiste dans des ensembles de musique contemporaine, elle avait été à bonne école théâtrale, débutant dans les productions du sulfureux Peter Sellars — Donna Elvira dans le Don Giovanni de Mozart ; Sesto dans le Jules César de Haendel. 

Dans ces cinq chants d'amour et de mort inspirés à Peter Lieberson par des poèmes du Chilien Pablo Neruda, on retrouve le même engagement passionné, la même efflorescence vocale, au service d'une musique raffinée, voluptueusement orchestrée, par un disciple zélé de Milton Babbitt. Gilles Macassar   1 CD Nonesuch/Warner.

SONETO LXXXI

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PABLO NERUDA SONGEUR DANS SA MAISON D’ISLA NEGRA AU CHILI 1969. PHOTO SARA FACIO



Ya eres mía. Reposa con tu sueño en mi sueño. 
Amor, dolor, trabajos, deben dormir ahora. 
Gira la noche sobre sus invisibles ruedas 
y junto a mí eres pura como el ámbar dormido. 

Ninguna más, amor, dormirá con mis sueños. 
Irás, iremos juntos por las aguas del tiempo. 
Ninguna viajará por la sombra conmigo, 
sólo tú, siempreviva, siempre sol, siempre luna. 

Ya tus manos abrieron los puños delicados 
y dejaron caer suaves signos sin rumbo, 
tus ojos se cerraron como dos alas grises, 

mientras yo sigo el agua que llevas y me lleva: 
la noche, el mundo, el viento devanan su destino, 
y ya no soy sin ti sino sólo tu sueño. 




Pablo Neruda, « SONNET LXXXI » ( Soneto LXXXI ) dans « La Centaine d'amour » ( Cien Sonetos de Amor ) [1957-1959],  De « Odas elementales » a « Memorial de Isla Negra », 1954-1964, (Obras completas, tomo II) page 905 Edición de Hernán Loyola. Galaxia Gutemberg, Barcelona, 1999.

mercredi 26 décembre 2012

LOUIS ARAGON


DOSSIER LOUIS ARAGON

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PABLO NERUDA ET LOUIS ARAGON, LORS DES FUNÉRAILLES D'ELSA TRIOLET, LE 16 JUIN 1970. PHOTO NERUDA FRANCE

À LOUIS ARAGON

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 PORTRAIT  DE LOUIS ARAGON PAR MICHÈLE BRABO 




Aragon, déjame darte algunas flores de Chile, 
algunas hojas cubiertas de rocío salvaje, 
algunas raíces inesperadamente ciegas. 
Andando entre la clara cordillera del oeste 
y el desencadenado material del océano 
hay, allá lejos, una tierra terrible, 
hermosa como la Piel palpitante del puma. 
Allí cada mañana saludo a la soledad. 
Las piedras esperaron millares de siglos solas 
y ni una sola mano las tocó para herirlas, 
entonces ellas solas alzaron su estructura, 
ellas edificaron sus castillos amargos. 
Pero la luz marina abrió los ojos 
allí, y en las desnudas 
soledades 
una flor y otra flor en este mes de octubre: 
el azul oceánico arde sobre las piedras. 




De aquella solitaria primavera, 
poeta, hermano de cabeza pálida, 
Con respeto y amor, te traigo una corona. 
Mira la flor del cactus eléctrico y la espina 
del ágave, iglesia de la arena, 
mira los cuatro pétalos del trébol procelario, 
el sol abandonado del clavel, 
la gota de agua y sangre del copihue, 
la acacia errante cerca de la espuma. 
Todo bajo la copa, 
del cielo lento y largo como un río. 
No hay nadie allí: los pasos que escuchaste 
Son los pasos del mar, de sus caballos. 


3 


Todo esto para tu noble frente generosa. 
Estas flores lejanas para ti, distante. 
Estas espinas para tu batalla. 
Estas gotas de océano para el agua 
Navegaciones y regresos 
de tu mirada, clara como ninguna. 
Esta amistad para tu corazón de cristal. 
Estas manos para tus manos, oh solitario único, 
acompañado por todas las manos del pasado 
y todo el pan que el hombre amasará mañana. 
Estas palabras para ti, propietario, 
castellano, señor 
de todas las palabras, las de color de plata, 
las que se derramaron como asfalto quemante 
sobre los enemigos de la bondad, las palabras 
hechas de trigo, espadas, cuarzo de Francia, vino, 
razón, valor, encinas, 
palabras que cantaron como sólo tú cantas, 
palabras con sombra y miel, palabras puras 
que de pronto amenazan, se equivocan, se pierden, 
directas se dirigen como flechas 
al tiempo invisible, a la primavera escondida, 
llevando las simientes a través de la niebla. 




Capitán del amor, a dónde ibas, 
la zarza errante, el fuego 
de unos ojos 
de la mujer amada, 
bienamada, 
cayó sobre tu rostro 
y te otorgó sus dones, 
y en ti florece y se abre esta mirada, 
en plena multitud, en paz o en guerra. 
Estás vestido 
de mar, de flor salvaje, 
de ola profunda 
o de celeste aurora, 
eres el novio con 
una carta sobre el corazón, 
con una inicial siempre latiendo
en tu navío. 
Fidelidad se llama 
tu navío, 
fidelidad fecunda, 
amor como un granero, 
dulzura lacerante 
y enseñanza, 
porque eres el antiguo, antiguo, antiguo 
enamorado de guantes puros, 
la llama 
del caballero 
errante 
que a través de la guerra, 
de las olas, 
del áspero rencor, 
de las victorias, 
del viento cruel, del día 
amargo, 
lleva en su mano de acero 
contra la tempestad sólo una rosa. 


5 


Hermano separado por tantas tierras y aguas, 
por el desorden y la inteligencia, 
nos encontramos en la hora, ya distante, 
de España, en su copa de laurel y cenizas, 
y aunque pasan los años como abejas 
con dolores y luchas que se apagan y aclaran, 
año y año, aquí estamos, en la proa 
del tiempo, 
del tiempo que tú cantas, que tú vaticinaste. 
No sólo la razón, no sólo el amor extenso, 
sino los pueblos vivos, los pueblos amarillos, 
blancos, negros, del sur, del este, del oeste, 
nos piden cada día los deberes del canto. 
y tú, delgado como las espadas, 
Navegaciones y regresos 
conoces tu deber de mediodía, 
y la amenaza no puede contigo: 
la duda no devora tu claridad sagrada 
porque eres parte pura de la aurora. 


6 


Estas hojas de la lejana Araucanía, 
estas flores nacidas en un silencio apenas 
interrumpido por el mar desbordante, 
son para ti, Aragon, para ti, hermano. 
Allí las recogí donde nací, en mi patria, 
y desde tanta soledad las traigo 
para ti y para todo lo que cantas.



Pablo Neruda, « A Louis Aragon  » ( À Louis Aragon  ) dans  ( Navegaciones y regresos ) [1957-1959],  De « Odas elementales » a « Memorial de Isla Negra », 1957-1959, (Obras completas, tomo II) page 745:749  Edición de Hernán Loyola. Galaxia Gutemberg, Barcelona, 1999.

mardi 25 décembre 2012

PABLO NERUDA ET LOUIS ARAGON

PABLO NERUDA ET LOUIS ARAGON, LORS DES FUNÉRAILLES D'ELSA TRIOLET, LE 16 JUIN 1970. PHOTO NERUDA FRANCE

Le 16 juin 1970 s’éteint la romancière Elsa Triolet, femme de Louis Aragon, à l’âge de 74 ans, alors que Pablo Neruda est ambassadeur à Paris sous le gouvernement d’Unité Populaire d’Allende. Le poète chilien prononce, en hommage à Elsa, un magnifique discours à l’occasion des funérailles. 
«J’ai vu Elsa dans la guerre d’Espagne dans la résistance, compagne de l’honneur français. Je l’ai vue dans l’amitié, dans ses romans qui sont énigme à la fois et solution de l’énigme, dans la campagne et dans la ville, dans Moscou et dans Paris, nous enseignant toujours la destruction du mensonge. Et élevant l'orgueil de son visage au dessus de la haine pour nous dire la vérité, l’intelligence, le travail de constructeur. 




PABLO NERUDA ET LOUIS ARAGON, LORS DES FUNÉRAILLES D'ELSA TRIOLET, LE 16 JUIN 1970. PHOTO NERUDA FRANCE


Nos mains sont toujours plus limitées que l'espace de notre espoir. Au nom du plus lointain des pays, ma patrie, le Chili, au nom de mon peuple, au nom des écrivains de l’Amérique latine, je dis notre deuil à la France, et je m’incline devant la douleur du grand poète avec la tendresse d’un frère et d’un camarade. Le monde entier pleure avec toi, Aragon, et c’est que la mort ne peut pas te vaincre, parce que tu es, parce que, avec Elsa, tu es devenu un grand capitaine de notre victoire. »





dimanche 16 décembre 2012

SONETO XLIV


Sabrás que no te amo y que te amo 
puesto que de dos modos es la vida, 
la palabra es un ala del silencio, 
el fuego tiene una mitad de frío.

Yo te amo para comenzar a amarte, 
para recomenzar el infinito 
y para no dejar de amarte nunca:
por eso no te amo todavía.

Te amo y no te amo como si tuviera 
en mis manos las llaves de la dicha 
y un incierto destino desdichado.

Mi amor tiene dos vidas para amarte. 
Por eso te amo cuando no te amo 
y por eso te amo cuando te amo.




Pablo Neruda, « SONNET XLIV » ( Soneto XCII ) dans « La Centaine d'amour» ( Cien Sonetos de Amor ) [1957-1959],  De « Odas elementales » a « Memorial de Isla Negra », 1954-1964, (Obras completas, tomo II) page 881 Edición de Hernán Loyola. Galaxia Gutemberg, Barcelona, 1999.

LA SEULE PIÈCE DE THÉÂTRE DE PABLO NERUDA



En 1966, Pablo Neruda écrit «Splendeur et Mort de Joaquin Murieta». Le héros en est un dompteur de chevaux du Chili qui arrive à San Francisco au temps des chercheurs d'or. Les rangers humilient Mexicains, Péruviens et Chiliens. Ils violent et tuent la femme de Murieta. Celui-ci devient dès lors un «honorable bandit» au service des opprimés. Pablo Neruda a voulu le célébrer en écrivant le texte d'une cantate dont Sergio Ortega a composé la musique. Aujourd'hui, la cantate est devenue opéra, avec ce mélange de drame et de farce que souhaitait Neruda.

La musique joue du mélange des genres, avec une inspiration latino-américaine prédominante. Les pièces d'apparence facile alternent avec des plages complexes dans la polyphonie et le rythme. C'est toute une école de musique, celle de Pantin - que dirige Sergio Ortega -, qui s'est mise à l'ouvrage pour monter cette partition, François Chaumette prêtant sa voix à l'écrivain. La qualité de l'enseignement qu'y dispensent les professeurs de chant, montés en première ligne avec plusieurs rôles solistes, est évidente.

Les choeurs sont ronds et bien équilibrés, y compris dans les passages sans accompagnement, toujours révélateurs. Et quelle émotion de sentir chez tel jeune chanteur un tempérament musical exceptionnel, comme avec cet interprète d'un blues intense et fragile!

Une entreprise marquée par l'enthousiasme et la qualité qui naissent de la rencontre entre professionnels et amateurs.
HELENE JARRY.



SONETO XCII

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PABLO NERUDA ÉCRIVANT DANS SON BUREAU D’ISLA NEGRA AU CHILI 1969. PHOTO SARA FACIO



Amor mío, si muero y tú no mueres, 
amor mío, si mueres y no muero, 
no demos al dolor más territorio: 
no hay extensión como la que vivimos. 

Polvo en el trigo, arena en las arenas, 
el tiempo, el agua errante, el viento vago 
nos llevó como grano navegante. 
Pudimos no encontramos en el tiempo. 

Esta pradera en que nos encontramos, 
oh pequeño infinito! devolvemos. 
Pero este amor, amor, no ha terminado, 

y así como no tuvo nacimiento 
no tiene muerte, es como un largo río, 
sólo cambia de tierras y de labios. 




Pablo Neruda, « SONNET XCII » ( Soneto XCII ) dans « La Centaine d'amour» ( Cien Sonetos de Amor ) [1957-1959],  De « Odas elementales » a « Memorial de Isla Negra », 1954-1964, (Obras completas, tomo II) page 912 Edición de Hernán Loyola. Galaxia Gutemberg, Barcelona, 1999.

vendredi 14 décembre 2012

LE VIN ET LA GUERRE

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NAZIM HIKMET, PABLO NERUDA, LOUIS ARAGON ET ALBERTO SÁNCHEZ PÉREZ, EN 1951  À MOSCOU  

La conversation dévia sur les vins. J'évoquai cette époque de ma jeunesse où nos vins chiliens partaient pour l'étranger, tant par nécessité que pour leur qualité. Ils étaient trop chers pour nous qui portions des vêtements de cheminots et qui essuyions les tempêtes de la bohème. 

Dans tous les pays je me suis intéressé au cheminement du vin, depuis l'instant où il naît des « pieds du peuple » jusqu'à celui où on le verse dans la bouteille prolétaire ou dans le flacon raffiné. J'ai aimé boire, en Galice, le vin de Ribeiro, qu'on sert dans une tasse et qui laisse sur la faïence une grosse tache de sang. Et je me souviens, en Hongrie, d'un vin épais appelé « sang de taureau », dont les assauts font vibrer les violons des gitans. Les parents de mes arrière-grands-parents eurent leurs vignes. Parral, la petite ville où je suis né, produit un vin « nouveau », comme on le dit en France du beaujolais. Mon père et mes oncles, dont José Angel, don Joël, don Osée et don Amos, m'ont appris à différencier le vin « soutiré» du vin « filtré », J'ai eu beaucoup de mal à respecter leur penchant pour le vin brut qu'on tire au tonneau, pour ce cru non traité et irréductible. Comme en toute chose, il m'a été difficile de revenir au modeste vin originel, à la force primitive, après avoir affiné mon palais, après avoir savouré le « bouquet» formaliste. L'art n'offre-t-il pas une leçon comparable? On naît avec l'Aphrodite de Praxitèle et On reste à vivre avec les statues sauvages de l'Océanie. C'est à Paris que feus l'occasion de boire un vin Suprême dans une maison suprême. Le vin était un mouton-rothschild au corps impeccable, au bouquet indicible, au goût parfait. La maison était celle d'Aragon et d'Elsa Triolet. 

- Je viens de recevoir ces bouteilles et je les ouvre pour toi, me dit Aragon.


Et il me raconta l'histoire de ses relations avec deux des Rothschild (1)


Les armées allemandes s'avançaient vers Carvin. Le soldat le plus intelligent de France, le poète et sous-officier Louis Aragon, était arrivé aux avant-postes. Il commandait un détachement d'infirmiers. Il avait reçu l'ordre de se porter jusque dans les lignes ennemies pour y relever morts ou vifs des officiers français. Un capitaine l'avait arrêté. C'était le baron Guy de Rothschild. 

- On ne peut aller plus loin, lui avait-il dit. Personne aujourd'hui n'est revenu vivant d'au-delà d'où nous sommes. 

- Mes instructions sont d'aller Jusque dans les lignes allemandes, avait riposté Aragon. 

- Et mon ordre est le suivant: Vous n'irez pas plus loin et vous allez rester ici ! avait répondu le capitaine. Connaissant Aragon comme je le connais, je donnerais ma main à couper qu'il dut sortir de leur discussion des étincelles crépitantes comme des grenades, des répliques acérées comme des estocs. Mais l'altercation ne dura que quelques minutes Brusquement, devant Guy de Rothschild et Aragon, un soldat qui avait passé devant eux en courant vers l'ennemi tombait à leurs pieds, frappé d'une balle au ventre. Ainsi, l'obstination d'un Rothschild avait sauvé la vie du premier poète de France. 

Mais ce n'est pas de Guy que, chaque année, à l'époque du Jour de l'An, Aragon reçoit quelques bouteilles de mouton-rothschild; celles-ci proviennent  des vignes de Philippe de Rothschild, avec lequel il est lié d'amitié. 

(1). Quelques détails de l'anecdote rapportée ayant attiré notre attention, nous avons consulté Louis Aragon, qui a rétabli pour nous le récit qu'il fit à Pablo Neruda. Nous tenons à le remercier ici pour sa précieuse et amicale collaboration. C. C. 

Extrait de J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda. Traduit par Claude Couffon (C.C.). Éditions Gallimard, collection "Folio" pages 367 et 368