Citation de Pablo Neruda

samedi 23 septembre 2017

LA MORT DE PABLO NERUDA

    PHOTO EVANDRO TEIXEIRA
 Pablo Neruda est mort dimanche 23 septembre, peu avant minuit, dans un hôpital de Santiago-du-Chili, à l'âge de soixante-neuf ans. Il était atteint d'un cancer à la prostate. Prix Nobel de littérature, considéré comme l'un des plus grands écrivains contemporains de langue espagnole, Pablo Neruda disparaît douze jours après son ami Salvador Allende, dont il avait été l'ambassadeur à Paris. Il avait, en octobre 1972, quitté la France pour se retirer dans sa résidence chilienne d'Isla-Negra, sur la côte Pacifique, et se faire soigner. Au lendemain du coup d'Etat, des rumeurs avaient circulé faisant état de sévices infligés par les militaires au poète, militant fidèle du parti communiste. Sa sœur les avait démenties. Mais des carabiniers encerclaient sa maison d'Isla-Negra, qui a été perquisitionnée, ainsi que sa demeure de Santiago.
Il savait bien qu'il était condamné à mort par le mal inexorable. Pendant ses dernières semaines parisiennes, dans cette ambassade triste et grise où il traînait son ennui d'écrivain grand seigneur peu fait pour les mondanités de la diplomatie, il se déplaçait déjà avec peine, étirant sa jambe droite ankylosée. L'œil malicieux et plissé d'une ride de complicité, ce bon vivant qui fut toujours amateur de bonne chère et de bons vins affectait de mettre ses malheurs sur le compte de la goutte.

C'est avec soulagement, malgré sa certitude de ne plus jamais revenir dans un Paris qui avait profondément marqué sa jeunesse, qu'il était rentré au pays, ce Chili étroit et profond qu'il a toujours porté au cœur. Comme un grand fauve blessé sentant sa fin prochaine, il avait regagné sa tanière d'Isla-Negra, sur la côte du Pacifique, au sud de Valparaiso. Une lande aride balayée par les vents, un bouquet de pins tourmentés, quelques rochers aux couleurs d'ardoise, une succession de caps aigus plongent dans les eaux froides : à l'île Noire, Pablo se sentait assez proche de Santiago et de Valparaiso pour ne pas perdre réellement le contact avec une politique qui le passionnait autant que la vie.

Le maître était pointilleux, jaloux de sa tranquillité, mais généreux aussi, invitant sans trop songer, à l'espagnole. " Cette maison est la vôtre ", et puis oubliant et se renfrognant, fort capable de laisser à la porte celui ou celle qu'il ne souhaitait pas rencontrer ce jour-là.

Mais quel hôte pour les privilégiés accueillis dans ce décor étrange où l'on ne pouvait manquer d'évoquer Robinson Crusoé et Bergman ! L'homme, massif, la démarche d'un terrien solide, avait le maintien seigneurial et faussement modeste des grands caciques, le masque lourd et noble de l'Indien.

Isla-Negra, c'était pour lui une manière d'être resté fidèle à Temuco, dans ce Sud où il était né, le 12 juillet 1904, d'un père cheminot et d'une mère institutrice. Temuco, petite ville de pionniers, c'est le cœur du pays araucan, de la grande forêt, des eaux pures des torrents qui tombent de la cordillère, et se précipitent dans des sillons étroits vers l'océan tout proche. De puissantes odeurs d'herbes, de troncs d'arbres abattus et d'une terre grasse détrempée par les pluies flottent à Parral, où résidait alors la famille de Ricardo Eliacer Neftali Reyes y Basoalto. Plus tard, Pablo changea ce nom pour celui de Neruda, qu'il avait découvert, par hasard, en feuilletant une revue littéraire.

Plus tard, aussi, il monte sur les hauteurs du Macchu-Picchu, près du Cuzco, où les ruines incasiques dominent les turbulences du rio Urubamba. Il en a fait, dans l'un de ses plus beaux poèmes, le symbole de la grandeur indienne, de l'homme humilié par une histoire injuste. Dans son esprit, l'Indien des hautes terres péruviennes n'était pas différent de l'Araucan : fidélité à une nature primitive, approche de l'homme humilié, deux des thèmes essentiels de l'œuvre de Neruda.

Il n'avait pas vingt-sept ans qu'il était consul à Rangoon, avant d'être nommé à Colombo puis à Batavia. Après une nouvelle parenthèse consulaire à Buenos-Aires, qui correspond à la publication de sa Résidence sur la Terre, il est, en 1934, envoyé à Barcelone puis à Madrid. Période féconde, exaltante, découverte des amitiés décisives, Federico Garcia Lorca, Rafael Alberti, Miguel Hernandez, fondation de la revue Cheval vert et publication de la seconde Résidence.

Pablo, animal politique, était né une seconde fois en 1936 dans les nuits lourdes de juillet où éclatèrent les premières rafales de la guerre d'Espagne.

Est-ce la disparition physique de quelques-uns de ses meilleurs compagnons, comme Federico, qui le fait basculer dans l'engagement politique ? Ou la soudaine révélation que les nuances et les subtilités ne comptent plus à l'heure de vérité ? Il découvre que le droit et la justice ne sauraient être de plusieurs côtés à la fois. Il choisit son camp et ne le quittera plus jamais malgré les doutes, les révélations terribles, et les brocards de ses adversaires de droite ou d'ultragauche. A la fin de 1936, réfugié à Paris, il avait fondé avec le poète péruvien Cesar Vallejo un groupe latino-américain d'aide à l'Espagne républicaine et il avait contribué à organiser l'émigration au Chili de plus de deux mille réfugiés espagnols.

Nommé à Mexico en 1940, il avait retrouvé ces certitudes simples dans les œuvres des grands moralistes Diego Rivera, Alfaro Siqueiros, Orozco, chantres de la révolution mexicaine de 1910, et ces deux influences conjointes l'incitèrent à adhérer, à son retour au Chili, au parti communiste. Il dut à cet engagement personnel, qu'il n'a jamais renié, la clandestinité, l'exil, une nouvelle errance sur les routes du monde, la connaissance de l'U.R.S.S. puis de la Chine. On lui reprocha plus tard sa fidélité inconditionnelle à l'U.R.S.S. après les révélations du XXe Congrès, mais il ne faisait en l'occurrence qu'imiter le comportement des dirigeants. Corvalan, Teitelboim, d'un parti qu'il contribuait à soutenir financièrement.

On lui a reproché aussi ses voyages aux États-Unis et ses pirouettes à l'égard de la Chine. Il n'en avait cure. Solitaire vaniteux, fragile et puissant, il sentait venir la tempête en même temps que la nuit qui descendait lentement sur sa vie. Il avait, l'un des premiers, crié au secours, lancé de nouveau l'anathème contre le péril fasciste qu'il avait aperçu, pour la première fois, campant de l'autre côté de la cité universitaire de Madrid. Personne, mieux que lui, ne pouvait sentir les analogies profondes entre ce Chili des bombes, des attentats, des provocations, des proclamations, de !a coupure en deux camps d'août 1973 et l'Espagne d'avant la guerre civile. Mais cette fois, il n'y aurait pas de brigades, pas de répit, pas de lente agonie avant l'effondrement final. Rien que l'explosion de bombes écrasant le bureau de son ami Salvador Allende, à la Moneda, et dont l'écho devait lui parvenir, assourdi, jusqu'à son lit d'hôpital de Santiago.

LA MAISON DE PABLO NERUDA A ÉTÉ SACCAGÉE

Santiago-du-Chili. - La maison est accrochée aux flancs de la colline de San-Cristobal, qui domine Santiago. Il faut, pour y parvenir, grimper une rue en pente au bout de laquelle s'étale sur un mur une fresque aux dessins larges et colorés proclamant : " Neruda, la jeunesse te salue. "
C'est là qu'est veillé le corps du poète Mais, dès l'entrée, les larmes montent aux yeux. Cette merveilleuse maison bleue, étagée sur plusieurs niveaux au milieu de la verdure et des plantes sauvages, n'est plus qu'une ruine, des " visiteurs " y sont passés la semaine dernière.

Autodafé

Tout a été détruit. Plus une vitre aux fenêtres. Le téléphone a été arraché. Quelques meubles sens dessus dessous dans des pièces désolées. Dans un coin du jardin, un livre de poèmes espagnols à demi calciné au milieu des cendres de l'autodafé. Plus un seul vestige de la bibliothèque, ni de la collection de céramiques, ni des nombreuses peintures naïves qui faisaient l'admiration des privilégiés reçus chez le maître. Pour monter d'une pièce à l'autre, il faut se frayer un chemin parmi les décombres. Patauger dans la boue, car la maison a été à moitié inondée.

Dieu sait pourquoi et comment. Du bureau subsistent seules la grande table de travail éraflée et une horloge ancienne au cadran de porcelaine bleue défoncé. Un vieil exemplaire des Lettres françaises traîne dans un coin.

Le cercueil est dans une petite pièce triste, ouverte à tous les vents On écrase des éclats de verre pour s'approcher et contempler une dernière fois le visage cireux dont la mort semble avoir accentué l'indianité austère.

Des fleurs arrivent. Deux œillets blancs sur le cercueil et quelques bouquets humbles apportés par des mains anonymes.

La veuve, Matilde Urutia, a tenu à ce que Pablo soit veillé dans sa propre maison, même saccagée. Cette mort aurait exigé des funérailles nationales. En novembre dernier encore, tandis que Salvador Allende se faisait aux Nations unies l'avocat du tiers-monde, c'était le général Prats, autre disparu, qui, au titre de vice-président de la République, avait rendu hommage au prix Nobel " dont la gloire rejaillissait sur chaque citoyen ". Nous étions au stade national. Aujourd'hui, ce même stade sert de camp de concentration pour ceux des amis du poète qui ne sont pas cachés ou tués. Les militaires patrouillent aux alentours. Seuls ont pu venir quelques diplomates, quelques proches point trop " marqués ", quelques démocrates - chrétiens libéraux, comme Radomiro Tomic. L'ambassadeur de Suède a trouvé les mots justes pour saluer l'auteur du Chant général devant les cameramen de la télévision. L'ambassadeur de France, M. Pierre de Menthon, est venu avec ses deux conseillers. Une carte laissée par un étranger est d'un laconisme éloquent : " Nos duele Chile " (le Chili nous fait mal).

Ce mardi, Neruda aura droit à l'enterrement des pauvres. Sa dépouille mortelle sera déposée provisoirement au cimetière de Santiago, dans le caveau d'une famille amie. Plus tard, peut-être, sera-t-elle transportée à Isla-Negra, près de sa maison-musée, autre merveille exquise bâtie avec amour au bord du Pacifique, mais qui, aux dernières nouvelles, vient de subir aussi le même genre de " visite ".

HOMMAGE À PABLO NERUDA À LA SALLE PLEYEL

Miguel Angel Asturias, prix Nobel, ancien ambassadeur du Guatemala en France, a lu jeudi soir, salle Pleyel, un émouvant poème à la mémoire de son ami Pablo Neruda, le chantre de l'Indien humilié et des turbulences cosmiques de la terre américaine.

Se nombreux intellectuels, artistes et hommes politiques ont participé à cet hommage au poète chilien disparu, en particulier Aragon et M. Defferre, député, maire de Marseille, et président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. Plusieurs dizaines de personnes n'ont pu, faute de place, entrer dans la salle Pleyel.

Quelques - uns des plus beaux poèmes de Pablo Neruda ont été lus, en particulier l'ode au Macchu Picchu, sommet de la civilisation indienne, les stances à l'amour et à la mort, les deux thèmes essentiels d'une œuvre marquée par l'engagement politique et la compassion pour l'homme. Le groupe chilien Pachacamac avait apporté ses guitares pour chanter ces airs nostalgiques et tendres qui ont fait le tour du monde.


MESSAGE DE M. POMPIDOU A Mme NERUDA

M. Georges Pompidou, a adressé mardi 25 septembre, à Mme Pablo Neruda, le télégramme suivant :
Le Monde du 27.09.1973
«C'est avec un profond et sincère regret que j'ai appris la mort de Pablo Neruda. Dans cette triste circonstance, je vous prie d'agréer mes bien vives condoléances.

 Je connaissais de longue date son talent d'écrivain et de poète. Durant son séjour comme ambassadeur du Chili en France, j'ai pu apprécier ses qualités humaines et nouer avec lui des relations amicales.

En vous exprimant mes sentiments très attristés, je vous prie d'agréer, madame, mes respectueux hommages. » 

DERNIÈRES IMAGES DE PABLO NERUDA


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L'ESSAI fort complet consacré à Pablo Neruda par Rodriguez Monegal a le mérite de corriger l'image un peu sommaire que nous avons prise, chez nous, du grand poète sud-américain. On veut absolument le scinder : il y a le poète, et il y a l'homme politique.
 LE 26 JUILLET NERUDA S'ADRESSANT
À NICOLAS GUILLEN PENDANT UNE
RÉCEPTION ORGANISÉE POUR
COMMÉMORER LE 10ÈME ANNIVERSAIRE
DE LA RÉVOLUTION CUBAINE À
L'UNIVERSITÉ DE SANTIAGO AU CHILI,
LE 26 JUILLET 1963.

C'est que nous n'approchons, dans notre langue, qu'une partie de cette œuvre immense, qui fait songer à Victor Hugo, justement, par son désordre " océan " et son abondance généreuse. Mais au moins ce que nous en savons suffit-il pour lire avec profit l'essai de Monegal, heureusement prodigue de citations et qui recourt volontiers à des documents qui nous sont souvent interdits.

Qui examine l'ouvrage complet de Neruda voit que le tout s'organise par cycles successifs, mais singulièrement et étroitement unis entre eux et dépendants les uns des autres. Par exemple, le cycle des Résidences sur la terre, par la troisième série, annonce et permet le Chant général, qui, lui-même, en divers endroits, perpétue les échos des premiers poèmes mais élabore secrètement ce qui sera le matériau, plus tard, des Odes élémentaires. Le chemin du poète, son cheminement, ainsi s'éclaire. La biographie réelle nécessite une biographie allégorique, si bien que le long séjour en Orient, l'effort d'écrire les premières Résidences, devient, littéralement, " saison en enfer ". Et résurrection, la guerre civile espagnole. Puis, par le retour au Chili, l'ouverture au monde, la montée au Machu-Picchu, le moi s'efface et, comme le dit très justement Monegal, le poète dès lors vocalise, c'est-à-dire qu'il parle pour ceux qui sont plongés dans le silence jusqu'à la mort.

A ce moment, et à ce moment seulement (1945), Pablo Neruda s'inscrit au parti communiste chilien : la poésie et la réflexion politique aboutissent, ensemble, au même point focal, l'action. Mais dès lors également, aux temps de la seconde guerre mondiale, de l'exil, de la guerre froide, Neruda va se répéter dans un discours " horizontal ", celui, principalement, du recueil les Raisins et le Vent. Mais, avant même que ce cycle ne se referme, la poésie reprendra le dessus, creusant l'être, verticale à nouveau, mais enrichie, non seulement par l'amour pour Mathilde Urrutia (les Vers du capitaine), mais par l'expérience du vaste monde.

Alors, le poète recommencera à parler de lui (ce seront Vaguedivague, la Centaine d'amour, le Mémorial de l'île noire), mais le je qui s'exprime là concerne et englobe les je de tous. Et s'avoue le Chili, qui est, malgré les voyages, les errances, les exils successifs, le seul lieu, celui de la parole, celui de la fraternité, et le moyeu immobile auquel Neruda est cloué par tous les mots qu'il a écrits, et qui chantent. Ce qui donne à sa mort, dans ce pays fusillé, une dimension terrifiante.


vendredi 1 septembre 2017

ESPAGNE - CHILI : VÍCTOR PEY TÉMOIN DU SIÈCLE


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VÍCTOR PEY LORS DE LA
GUERRE CIVILE ESPAGNOLE, 1938
PHOTO BBC
Víctor Pey Casado, né à Madrid, le 31 août 1915, est un ingénieur, enseignant  et entrepreneur espagnol naturalisé chilien ayant passé l'essentiel de sa vie au Chili.  
 VÍCTOR PEY TÉMOIN DU SIÈCLE
après avoir lutté lors de la guerre civile espagnole dans le camp républicain, et devant l'imminente chute de Barcelone, les frères Pey Casado traversent la frontière française. Ils sont faits prisonniers et sont transférés vers un camp de prisonniers à Perpignan. Après plusieurs péripéties, aidés par la famille et des amis, ils arrivent à Paris sans papiers. Víctor Pey obtient un travail de nuit dans le bureau du Gouvernement  républicain en exil.

Suite à l'appel de  Pablo Neruda venu en France chercher des espagnols pour les emmener au Chili, Pey présente sa candidature lors d’un entretien avec Neruda et est accepté comme passager du bateau Winnipeg.

En exil au Chili, il monte une entreprise d'ingénierie avec son frère et ils font fortune dans le secteur du bâtiment et des travaux publics.

 VÍCTOR PEY TÉMOIN DU SIÈCLE
En 1948  le sénateur et poète Pablo Neruda fuit la persécution engagée contre lui l'année antérieure par le gouvernement de Gabriel González Videla. Víctor l’aide à son tour en le faisant passer à la clandestinité, lui permettant ainsi de quitter le Chili. Ami de Salvador Allende, Pey soutient le candidat dans ses campagnes électorales.  Il achète le quotidien au plus grand tirage du Chili, « El Clarín », appuie le projet d'Allende, le nouveau président du Chili, et l'accompagne jusqu'à ses dernières heures dans le palais de la Monnaie. Le 11 septembre 1973, Pey doit revivre le  coup d'État qui a anéanti l'Espagne Républicaine. Il repart à nouveau en exil avec l’aide  des ambassadeurs de l'Espagne et du Venezuela.

Le dernier combat de Pey est toujours en cours. Il a obtenu que la Banque mondiale le reconnaisse comme propriétaire du journal « El Clarín », confisqué par Pinochet. Mais les  gouvernements démocratiques successifs n'ont pas voulu honorer l'arbitrage.

ODYSSÉE DU WINNIPEG: UNE AVENTURE MÉMORABLE EN AMÉRIQUE LATINE


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PABLO NERUDA REND VISITE AUX ESPAGNOLS RÉPUBLICAINS 
RÉFUGIÉS À BORD  DU WINNIPEG, BORDEAUX 1939
PHOTO IONE ROBINSON



Le 3 septembre 1939, le bateau Winnipeg arrivait dans le port de Valparaiso, au Chili. À bord de cette embarcation se trouvaient plus de 2 000 exilés espagnols qui avaient largué les amarres un mois plus tôt à Pauillac, près de Bordeaux. À cette époque, la guerre civile espagnole venait de prendre
fin et la dictature en était à ses débuts, jetant sur les routes de l’exil près de 400 000 républicains qui ont traversé la frontière franco-espagnole pour se retrouver dans des camps d’internement. Confrontés à un accueil parfois hostile et à l’impossibilité de retourner en Espagne, beaucoup d’entre eux ont essayé de partir. Certains sont montés à bord du Winnipeg affrété par le poète Pablo Neruda. Retour sur cette aventure.
La victoire du fascisme en Espagne a marqué le
LE WINNIPEG DATÉE DE 1939.
 début d’une période d’insécurité et de déception pour les républicains espagnols. Face à l'imminence de la guerre mondiale en Europe, l'Amérique latine est apparue comme une destination possible d’exil. C'est alors que le poète Pablo Neruda a convaincu le président du Chili, Pedro Aguirre Cerda, d’accueillir certains républicains. Nommé consul spécial pour l’immigration espagnole, Neruda a alors eu pour mission de choisir les personnes qui allaient monter à bord du Winnipeg.

Ce cargo, plus connu comme « le bateau de l’espoir», appartenait à France navigation, une compagnie créée par le Parti communiste français. Non conçu pour transporter des passagers, il a fallu l'aménager. Il a finalement été fin prêt en août 1939. Pourtant, la traversée n'a pas été facile en raison des différences idéologiques qui opposaient certains passagers et de l'incertitude de l'avenir. Mais tout a changé en arrivant au Chili.

« Quand on perd une guerre, il faut toujours chercher des coupables. Et dans ce bateau, où il y avait des représentants des différentes tendances politiques qui avaient participé à la guerre civile, on cherchait aussi des coupables. Les anarchistes blâmaient les communistes, les socialistes blâmaient les deux autres... Donc la traversée a été compliquée, explique Julio Galvez, auteur d'un livre sur le Winnipeg. Mais tout cela a changé en arrivant au Chili, où l'accueil a été spectaculaire. Les républicains espagnols n’en croyaient pas leurs yeux. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils ont été accueillis en héros, alors qu’ils avaient perdu la guerre. C’est à ce moment-là que leur perception sur l’exil a changé. »

Des passagers sélectionnés par Neruda

Ces migrants n’étaient toutefois pas considérés comme des héros pour la droite chilienne. Elle a d’ailleurs accusé dans un premier temps Pablo Neruda d’avoir amené au Chili des militants staliniens.

« La droite chilienne s’opposait fermement à l’arrivée des républicains espagnols. Elle affirmait que si des ouvriers de d’autres pays arrivaient, ils allaient piquer le travail des Chiliens, explique Julio Galvez. Mais après l’arrivée, il a été évident que cette accusation était infondée, que les républicains s’intégraient parfaitement au Chili, et qu’ils apportaient une contribution extraordinaire. »

Mais il faut préciser que Pablo Neruda avait sélectionné les migrants. « Amenez-moi des milliers de républicains en tenant compte des nécessités de l’industrie chilienne », lui avait demandé le président chilien. Il y avait donc des ouvriers parmi les 2 000 migrants, mais pas seulement. C’est ainsi que la famille de la célèbre peintre Roser Bru, 16 ans à l’époque, s’est retrouvée sur le Winnipeg.

20 000 descendants des passagers en Amérique latine

Soixante-dix-huit ans plus tard, sa petite fille, Amala Saint-Pierre, revient sur l’importance de Neruda dans cet épisode. « Neruda a eu l’intelligence de mélanger non seulement des professionnels techniciens qualifiés, mais aussi des intellectuels, raconte-t-elle. C’est un bateau extrêmement symbolique, car il amène de l’espoir chez les passagers, mais il ramène aussi au Chili un groupe de personne qui va faire beaucoup de bien au développement culturel, industriel, politique et social au Chili. »

Comme elle, ils sont désormais près de 20 000 descendants des passagers du Winnipeg. Ce chiffre non négligeable fait de ce bateau une histoire très connue et valorisée en Amérique latine. Ce qui n’est pas le cas en Europe, regrette Amal Saint-Pierre : « J’ai l’impression que l’Europe ne reconnait pas l’importance de ces survivants espagnols pour l’Amérique latine. Ce sont des personnes qui ont été profondément touchées par la guerre, l’exil et l’abandon ».

Cette traversée n’a pas été la dernière pour le Winnipeg. Il a continué à naviguer jusqu'en 1942, avant d’être attaqué par un sous-marin allemand alors qu'il traversait l'Atlantique de Liverpool au Canada. Tous les passagers ont été sauvés, mais le navire a sombré.


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PHOTO THOMAS HOEPKER


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