vendredi 16 novembre 2007

SILENCE JE VOUS PRIE

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PABLO NERUDA DANS SON BUREAU DE L'AMBASSADE DU CHILI A PARIS EN 1972



Désormais me laisser tranquille
Désormais s'habituer à mon absence

Je vais fermer les yeux

Je ne veux que cinq choses
cinq racines préférées

L'une est l'amour sans fin

La seconde est voir l'automne
Je ne puis être sans que les feuilles
volent et retournent à la terre

La troisième est le grave hiver
la pluie que j'ai aimée, la caresse
du feu dans le froid sylvestre

En quatrième lieu l'été
rond comme une pastèque

La cinquième chose ce sont tes yeux,
Matilde mienne, bien aimée,
je ne veux pas dormir sans tes yeux
je ne veux pas être sans ton regard :

J’échange le printemps
pour que tu continues à me regarder.

Amis, voici ce que je veux.
C'est presque rien et presque tout.

Maintenant si vous le voulez partez.

J'ai tant vécu qu'un jour
vous devrez m'oublier de force
en m'effaçant de l'ardoise :
mon cœur fut interminable.

Mais si je réclame le silence
ne croyez pas que je vais mourir :
c’est tout le contraire qui m’arrive :
il s’avère que je vais vivre.

Il s’avère que je suis et continue.

Il n’y a rien, si ce n’est 
qu’en moi poussent les céréales,
d'abord les grains qui rompent
la terre pour voir la lumière,
mais la mère terre est obscure :
et au fond de moi je suis obscur :
je suis comme un puits dont les eaux
recueillent de la nuit les étoiles
pour qu’elle vaque seule à travers le champ.

J'ai tant vécu c'est la question
que je voudrais vivre à nouveau.

Je ne me suis jamais senti aussi sonore,
je n'ai jamais eu autant de baisers.

Maintenant comme toujours il est tôt.
la lumière vole avec ses abeilles.

Me laisser seul avec le jour.
Je demande la permission de naître.

Vaguedivague, 1958, Traduction de Mélina Cariz

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