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ENTÊTE D’UNE PUBLICATION DE LA FONDATION PABLO NERUDA À L’OCCASION DU SOIXANTE-DIXIÈME ANNIVERSAIRE DU VOYAGE DU WINNIPEG AU CHILI |
Les Chiliens rendent hommage à Neruda, alors ambassadeur du Chili en France, qui fit venir à l’été 1939 deux mille cinq cents réfugiés républicains espagnols au Chili. Soixante-dix survivants sont là, devant la tombe du poète, et par centaines, leurs enfants et petits-enfants les entourent. Un chœur de vieux Galiciens chante les chansons du pays natal, l’Espagne de jadis, d’avant Franco…
PHOTO ALEX IBAÑEZ |
Hier a eu lieu la cérémonie officielle, au palais de la Moneda, où Salvador Allende se donna la mort. La Présidente, Michelle Bachelet a salué le retour de la démocratie en Espagne et au Chili. Entendez : Il n’y aura plus jamais besoin de Winnipeg entre nous, jeunes mais fermes et définitives démocraties.
PASSAGERS DU WINNIPEG PENDANT LA TRAVERSÉE VERS LE CHILI PHOTO MONTSERRAT BRU |
Le pari du Winnipeg, on le voit, n’était pas mince. À bord, tous en étaient conscients. Tous s’y dédièrent corps et âme. Par solidarité politique autant qu’humaine.
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DR MARCELLE HERZOG-CACHIN ET DR PAUL HERZOG MEDECINS A BORD DU CARGO WINNIPEG EN 1939 PHOTO GILLES HERZOG |
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L'INFIRMIERE PHILOMENE GAUBERT
ET SON EQUIPE MONTERENT UN VERITABLE HOPITAL A BORD DU WINNIPEG EN 1939
PHOTO GILLES HERTZOG
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D’autant que ce voyage sans histoire pour des milliers de réfugiés et tous les survivants ici présents qui en gardent le souvenir ébloui de leur libération des camps français de concentration et un sentiment de premier bonheur après tant de souffrances endurées, cette croisière, presque, où tout s’est passé formidablement sans le moindre incident – ce qui était loin d’être joué d’avance – ce voyage, les Français du Winnipeg ont failli, eux, le payer fort cher. Les Chiliens ignoraient totalement la conclusion qui suit, et prennent, au fur et à mesure qu’ils m’écoutent, une mine navrée.
Quelques jours avant l’arrivée du Winnipeg à Valparaiso, c’est le coup de tonnerre du pacte germano-soviétique de non-agression entre ces deux ennemis qu’on disait irréductibles, l’Allemagne nazie et l’URSS. Le Parti communiste français, qui approuve le pacte non sans trouble, est aussitôt interdit et tous ses biens directs ou indirects, dont France-Navigation, sont saisis. Le gouvernement français, qui veut justifier cette interdiction, illégale sur le plan constitutionnel et au regard des libertés publiques, va tenter de criminaliser le Parti communiste français, en le faisant passer pour traitre à son pays. Au terme d’un accueil délirant des Chiliens massés sur les quais de Valparaiso, à peine les deux mille cinq cents réfugiés espagnols avaient-ils débarqué le 3 septembre 1939 au matin, le jour-même de la déclaration de guerre de la France et de la Grande-Bretagne à l’Allemagne, que commence l’affaire France-Navigation, montée de toutes pièces depuis Paris. Avec la complicité du capitaine du Winnipeg, dûment soudoyé par les compagnies maritimes «bourgeoises» à l’affût des milliers de républicains espagnols devant encore émigrer de France, et qui retourne promptement sa veste, notre ambassadeur à Santiago, Monsieur de Grandmaison, invoque auprès des autorités chiliennes une mutinerie imaginaire de l’équipage du Winnipeg, emmené, dit-il, par les époux Hertzog, «gendre et fille de Cachin», afin de livrer le bateau aux Russes à Vladivostok plutôt que de rentrer en France «se faire trouer la peau pour les capitalistes». Il fait saisir le bateau et interner l’équipage, le personnel médical et le personnel de bord par les fusiliers marins chiliens de Valparaiso. Libérés quelques jours plus tard par les Chiliens, fort embarrassés par cette affaire qui ne les concerne en rien, tous sont rapatriés en France sur un bateau de ligne, mais se voient internés par les Américains à Panama (au beau milieu d’un équipage nazi !), puis livrés aux Français à la Martinique et jetés en prison à leur arrivée en France à Bordeaux, au fort du Ha. Mon père, lui, atteint de typhoïde, avait débarqué avec ma mère à Coquimbo, au nord du Chili. À peine la France regagnée, via les Etats-Unis, l’Atlantique nord infesté de sous-marins allemands et la Grande-Bretagne en guerre, il est cueilli à son arrivée en Bretagne par les gendarmes, sur dénonciation anonyme, et incarcéré à son tour au fort du Ha. Libérés à la mi-janvier 40 dans l’attente de leur procès, les «meneurs» sont expédiés au front. Fin mars 1940, au terme d’un procès surréaliste, où le capitaine félon se garde bien d’apparaître et où l’accusation de mutinerie se dégonfle au fil des heures, la centaine de Français du Winnipeg sont tous acquittés haut la main, vue l’inanité des charges et grâce, non moins, au démontage d’un maître du barreau de l’époque, le célèbre avocat Moro-Giafferi.
Quelques jours avant l’arrivée du Winnipeg à Valparaiso, c’est le coup de tonnerre du pacte germano-soviétique de non-agression entre ces deux ennemis qu’on disait irréductibles, l’Allemagne nazie et l’URSS. Le Parti communiste français, qui approuve le pacte non sans trouble, est aussitôt interdit et tous ses biens directs ou indirects, dont France-Navigation, sont saisis. Le gouvernement français, qui veut justifier cette interdiction, illégale sur le plan constitutionnel et au regard des libertés publiques, va tenter de criminaliser le Parti communiste français, en le faisant passer pour traitre à son pays. Au terme d’un accueil délirant des Chiliens massés sur les quais de Valparaiso, à peine les deux mille cinq cents réfugiés espagnols avaient-ils débarqué le 3 septembre 1939 au matin, le jour-même de la déclaration de guerre de la France et de la Grande-Bretagne à l’Allemagne, que commence l’affaire France-Navigation, montée de toutes pièces depuis Paris. Avec la complicité du capitaine du Winnipeg, dûment soudoyé par les compagnies maritimes «bourgeoises» à l’affût des milliers de républicains espagnols devant encore émigrer de France, et qui retourne promptement sa veste, notre ambassadeur à Santiago, Monsieur de Grandmaison, invoque auprès des autorités chiliennes une mutinerie imaginaire de l’équipage du Winnipeg, emmené, dit-il, par les époux Hertzog, «gendre et fille de Cachin», afin de livrer le bateau aux Russes à Vladivostok plutôt que de rentrer en France «se faire trouer la peau pour les capitalistes». Il fait saisir le bateau et interner l’équipage, le personnel médical et le personnel de bord par les fusiliers marins chiliens de Valparaiso. Libérés quelques jours plus tard par les Chiliens, fort embarrassés par cette affaire qui ne les concerne en rien, tous sont rapatriés en France sur un bateau de ligne, mais se voient internés par les Américains à Panama (au beau milieu d’un équipage nazi !), puis livrés aux Français à la Martinique et jetés en prison à leur arrivée en France à Bordeaux, au fort du Ha. Mon père, lui, atteint de typhoïde, avait débarqué avec ma mère à Coquimbo, au nord du Chili. À peine la France regagnée, via les Etats-Unis, l’Atlantique nord infesté de sous-marins allemands et la Grande-Bretagne en guerre, il est cueilli à son arrivée en Bretagne par les gendarmes, sur dénonciation anonyme, et incarcéré à son tour au fort du Ha. Libérés à la mi-janvier 40 dans l’attente de leur procès, les «meneurs» sont expédiés au front. Fin mars 1940, au terme d’un procès surréaliste, où le capitaine félon se garde bien d’apparaître et où l’accusation de mutinerie se dégonfle au fil des heures, la centaine de Français du Winnipeg sont tous acquittés haut la main, vue l’inanité des charges et grâce, non moins, au démontage d’un maître du barreau de l’époque, le célèbre avocat Moro-Giafferi.
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VUE DES REFUGIES ESPAGNOLS
SUR LE PONT DU WINNIPEG L'ETE 1939
PHOTO GILLES HERTZOG
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Pour toutes ces raisons, ces hommes et ces femmes du Winnipeg et de France-Navigation, tous morts aujourd’hui, méritent, eux aussi, une part de la reconnaissance et de l’hommage que, par centaines, les «Chiliens du Winnipeg», comme ils se nomment entre eux, rendent en ce 3 septembre à Pablo Neruda dans sa demeure du Pacifique. Je dis que je suis venu au Chili pour qu’on ne les oublie pas. Des poings se lèvent. Un homme chante une chanson française sur les pompons rouges des marins français, apprise, enfant, à bord du Winnipeg, auprès des matelots du bords. Non, c’est promis, me dit-on de toutes parts, nous ne savions pas ce qui s’était passé après notre arrivée ici, au Chili, mais, non, nous n’oublierons plus les Français du Winnipeg.
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