samedi 5 novembre 2011

NERUDA : LA MORT INDUITE

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PABLO NERUDA DANS SON CERCUEIL
Le poète Pablo Neruda n'est pas mort du cancer de la prostate dont il souffrait. C'est la conclusion qui a été tirée des antécédents cliniques qui se trouvent dans le dossier du procès RÔLE 1038-2011, avec les résultats de cinq mois d'investigations judiciaires sur la mort de Neruda, dirigées par le juge Mario Carroza.

Le dossier –un document de 209 pages que la revue Proceso a pu consulter remet en question l'information livrée par la clinique Santa María le jour de la mort du poète, le 23 septembre 1973, dans laquelle on assure qu'il est mort de « cancer de la prostate métastasé » comme le signale son certificat de décès.

La version de cette clinique a été confirmée par la Fondation Neruda, qui a écarté, à plusieurs reprises, la thèse de l'homicide en contredisant les déclarations de l'assistant personnel et chauffeur de Neruda, Manuel Araya.

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AUX OBSÈQUES DE NERUDA, L'ÉCRIVAIN TERESA HAMEL
AVEC FRANCISCO COLOANE –ÉCRIVAIN QUI PRONONÇA
UN DES ÉLOGES FUNÈBRES AU PRIX NOBEL–,
MATILDE URRUTIA ET LA POÉTESSE ESTER MATTE AUTOUR
DU CERCUEIL AUX MOMENTS OU IL EST RECOUVERT
 DES COULEURS DU CHILI.
Dans un communiqué daté du 12 mai dernier, la Fondation a signalé : « Il n'existe aucune évidence, aucune preuve que ce soit indiquant que Pablo Neruda soit mort d'autre chose que du cancer avancé dont il souffrait depuis longtemps (…) ; il ne semble pas raisonnable de construire une nouvelle version de la mort du poète sur la seule base des opinions de son chauffeur, Monsieur Manuel Araya, qui insiste sur cette affaire sans autre preuve que son intuition. Les témoignages des personnes ayant été auprès de Neruda lors de ses derniers jours nous semblent beaucoup plus sérieux et dignes de confiance » .

L'enquête judiciaire pour déterminer les causes de la mort du poète chilien a débuté le 8 mai 2011, lorsque cet hebdomadaire a publié le reportage « Neruda a été assassiné » (Revue Proceso N° 1801) dans lequel Araya dénonce que Neruda est mort par l'application d'une injection létale dans l'estomac.

Dans la dite note Araya a aussi écarté l'idée que Neruda se trouvait dans un état grave dans les jours précédants sa mort. Il signala que le transfert depuis Isla Negra vers la clinique Santa María –le 19 septembre 1973- avait pour objet d'échapper au siège dont était victime l'auteur de Crepusculario et d'attendre à Santiago, dans un lieu que l'on croyait sûr, le départ de l'avion que le gouvernement de Luis Echeverría lui avait envoyé pour le conduire au Mexique.

Les antécédents cliniques et les témoignages apparus dans le procès semblent donner raison à Araya.

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LA UNE DU JOURNAL EL MERCURIO DE SANTIAGO DU 23 SEPTEMBRE 1973,
ANNONÇANT LA MORT DE PABLO NERUDA. LE QUOTIDIEN INFORME AUSSI
DES VASTES OPÉRATIONS MILITAIRES SUR LA VILLE ET MONTRE LES
BÛCHERS OU LES  SOLDATS BRULENT DES LIVRES, DES DISQUES ET DES REVUES.
Une fausse agonie

Les médecins du Département de Criminalistique de la Police judiciaire chilienne, José Luis Pérez et Patricio Díaz Ortiz, ont envoyé le 16 août à la Brigade de recherche sur les crimes contre les droits de l'homme -chargée des enquêtes dans le cas Neruda- le rapport 75, joint au dossier. Celui-ci contient l'analyse de 13 examens médicaux effectués sur Neruda entre 1972 et 1973.

LA VEUVE MATILDE URRUTIA ET QUELQUES PROCHES
VEILLENT LE CADAVRE DU POETE PABLO NERUDA
EN SEPTEMBRE 1973.
PHOTO EVANDRO TEXEIRA
Dans la rubrique des Considérations Médico- criminalistiques, lettre d, on peut y lire : « Il y a un fait qui attire l'attention et qui complique l'analyse. Dans la lettre du docteur Guillermo Merino -médecin traitant de Neruda- du 18 avril 1973, dirigée au docteur Vargas Salazar (urologue), il écrit : 'Cher collègue : au dos le résumé du traitement administré à don Pablo Neruda, que vous avez envoyé pour traitement de l'adénome de prostate et d'arthrose pelvienne droite '.

« Le problème dans ce cas remarquent les médecins de la police c'est que l'adénome est une tumeur bénigne et non maligne. »

Mais un autre antécédent pointe dans un sens opposé. Dans le deuxième point de la même rubrique, il est précisé que dans les antécédents envoyés, on peut observer un rapport de radiothérapie au cobalt (effectué entre le 19 mars et le 18 avril 1973). « La radiothérapie est un traitement appliqué en général dans le cadre de tumeurs malignes comme par exemple un cancer de la prostate (…) ; la radiothérapie ne s'emploie pas dans le cas des tumeurs bénignes », signalent les médecins.


LA MISE EN BIERE DE PABLO NERUDA EN 
SEPTEMBRE 1973,  DANS UN COULOIR DE
LA MORGUE À LA CLINIQUE SANTA MARIA, 
À SANTIAGO DU CHILI - 
PHOTO EVANDRO TEXEIRA
Le premier point des conclusions médico- criminalistiques signale : « nous ne disposons pas de l'examen objectif pour informer avec certitude la cause de la mort de Monsieur Pablo Neruda (…) puisqu'on ne dispose pas de la biopsie respective » .
Le quatrième point des conclusions précise : « En ce qui concerne l'examen qui pourrait orienter la présence de métastase, c'est-à-dire, les phosphatases acides et sa fraction prostatique; celles-ci sont normales, ce qui pourrait signifier, entre autres possibilités, qu'il n'y a pas de tumeur maligne, ou que celle-ci est circonscrite à la glande ou encore qu'elle fut éliminée par la radiothérapie. Comme on ne dispose pas des antécédents cliniques du patient, il n'est pas possible de tirer des conclusions en ce sens d'après cet examen » .

Ces conclusions coïncident avec des déclarations de la veuve de Neruda, Matilde Urrutia, faites à quelques médias espagnols en 1974 et qui apparaissent dans le dossier judiciaire, dont les contenus sont protégés au Chili par le secret de l'instruction .

Dans une note publiée par la revue Pueblo du 19 septembre 1974, Mme Urrutia soutient que « le cancer dont souffrait (Neruda) était très contrôlé et nous n'avions pas prévu de dénouement si soudain. (Neruda) n'eut même pas le temps de laisser de testament puisque pour lui la mort était encore loin ».

Matilde donna le même mois une interview à l'agence EFE dans laquelle elle a confirmé sa position : « Le cancer ne l'a pas tué. Les médecins, que nous avions vus quelques jours auparavant, lui ont dit qu'ils l'avaient contré et qu'il pourrait vivre quelques années de plus ». Ces déclarations apparaissent dans le reportage « Ombres sur Isla Negra » , du journaliste espagnol Mario Amorós, publié le 22 juillet de cette année dans la revue espagnole Tiempo.


QUELQUES PROCHES ET MATILDE URRUTIA, 
A VEUVE DU POÈTE PABLO NERUDA,
RECUEILLIES DEVANT SA DÉPOUILLE À 
SANTIAGO, EN SEPTEMBRE 1973.
Le dernier point le numéro cinq des conclusions du rapport médical mentionné, souligne la nécessité de disposer des fiches cliniques de Neruda et de la biopsie. Ces éléments n'ont pas été fournis par les institutions traitantes malgré la demande du juge Carroza, qui les a sollicités en vertu des démarches menées par les plaignants, les dirigeants du Parti communiste du Chili représentés par l'avocat Eduardo Contreras.

Le 28 juillet, Me. Contreras a demandé que la clinique Santa María fournisse le dossier médical du Prix Nobel. Le 22 août, le docteur Cristián Ugarte Palacios, directeur médical du dit centre de santé a répondu : « Vu le temps écoulé, je dois informer M. le juge que notre clinique ne possède pas l'information sollicitée. »


MISE EN BIÈRE DE PABLO NERUDA : MATILDE URRUTIA
( DEBOUT EN NOIR ) ET PRÈS D'ELLE  HERNÁN LOYOLA,
AMI ET BIOGRAPHE DU POÈTE. LE CERCUEIL DU PRIX
NOBEL EST POSÉ À MÊME LE SOL.  
PHOTO EVANDRO TEIXEIRA 

Dans une interview avec la revue Proceso, Me. Contreras exprime que cette disparition du dossier médical de Neruda « est inimaginable, non seulement parce qu'ils ont l'obligation de le préserver, puisque la loi dispose que les hôpitaux publics et les cliniques privées doivent conserver les fiches au moins 40 ans. De plus, il faut considérer que nous ne parlons pas d'un patient inconnu… Il s'agit de l'historique médical de l'un des deux uniques prix Nobel du Chili. Par conséquent, il semble assez curieux et suggestif que sa fiche n'existe pas à la clinique Santa María. »

Le juriste a ajouté qu'un prestigieux groupe d'oncologues, dont il a préféré taire l'identité pour l'instant, a analysé divers examens médicaux réalisés sur le poète dans sa dernière année de vie. Selon Me. Contreras, ils ont conclu qu'« il n'est pas possible d'accepter qu'il soit mort du cancer, qu'il n'y a pas eu de telle cachexie (affaiblissement profond de l’organisme ), que tout cela serait absolument faux » .
Me. Contreras a ajouté : « Comme on me l'a expliqué, la cachexie produit un état d'abandon dans lequel la personne est pratiquement un cadavre qui ne peut même plus parler. Et il s'avère que Pablo a parlé jusqu'à la dernière minute, et pas seulement avec l'ambassadeur du Mexique, Gonzalo Martínez Corbalá, mais aussi avec d'autres personnes. »

Dans un témoignage publié dans cet hebdomadaire (numéro 1804), Martínez Corbalá déclare que le samedi 22 septembre de 1973, il s'est présenté à la clinique pour l'informer que tout était prêt pour que lui et son épouse Matilde puissent partir pour le Mexique. Il affirme que « le poète avait meilleure mine. Et était également de meilleure humeur (…) ; Il avait l’air tout à fait maître de lui-même et je me risquerais même à dire qu’il semblait un rien optimiste ».


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LA VEUVE MATILDE URRUTIA ET QUELQUES
PROCHES VEILLENT LE CADAVRE DU POETE
 PABLO NERUDA EN SEPTEMBRE 1973.
PHOTO EVANDRO TEXEIRA
Tout cela contredit l’image d’un Neruda en train de mourir qu’offrent les dépêches médicales, acceptées jusqu'à présent comme la vérité officielle sur les derniers jours de Neruda.

Dans la feuille 206 du dossier judiciaire apparaît le témoignage de Rosa Núñez, infirmière de Neruda de 1960 à 1973. « Deux ans après la mort de don Pablo, un été, Madame (Matilde Urrutia) est venue me rendre visite. Elle m'a dit qu'elle pensait que son mari avait été tué à la clinique, sans doute par injection. Ce fut la dernière fois que je la vis ».

Cette déclaration apparaît dans la note « La solitude du capitaine », du journaliste Javier García et est publiée dans le journal La Nación du 18 septembre 2005.

Le journal chilien El Mercurio rejoint ces dires en informant le 24 septembre 1973 un jour après la mort de Neruda que ce dernier était mort « à la suite d'un choc subi après l’administration d’une injection».

Dans le reportage « Qui a tué Pablo Neruda ? », publié le 6 septembre dernier par la Revue Ñ, du journal argentin Clarín, le médecin Sergio Draper –qui s’est occupé du poète à la Clinique Santa María a déclaré : « Je n’ai vu Neruda que très rapidement le dimanche 23 septembre, ce n’est pas moi qui m’occupait de lui. Ce jour-là, l'infirmière de garde m'a dit qu'apparemment Neruda avait de graves douleurs, je lui ai dit d’administrer l'injection indiquée par son médecin, si je m’en souviens bien, c'était un anti-douleur… j'ai ordonné qu’on lui administre une injection indiquée par son médecin. J'ai été rien de plus qu'un interlocuteur. C'est un comble que nous soyons constamment soupçonnés ».

Draper s’était déjà exprimé en tant que témoin dans l'enquête pour le meurtre du président Eduardo Frei , survenu dans la même clinique en janvier 1982.


MANUEL ARAYA OSORIO, ANCIEN SECRÉTAIRE, 
ASSISTANT PERSONNEL  ET CHAUFFEUR  DE
PABLO NERUDA  (IL A OCCUPÉ CETTE FONCTION 
PENDANT PRÈS D'UN AN), ASSURE, DANS LES 
PAGES DU JOURNAL MEXICAIN PROCESO
QUE NERUDA FUT ASSASSINÉ ALORS QU'IL 
S'APPRÊTAIT À FUIR LE CHILI POUR MEXICO. 
PHOTO BLOG CHOFER-DE-NERUDA

Des obstacles


Dans la feuille 113 du dossier apparaissent les déclarations de nombreuses personnes liées à la Fondation Neruda, qui toutes rejettent la possibilité du meurtre de Neruda. Et ce, en discréditant Manuel Araya.

Entre autres, le chanteur et documentaliste Hugo Arévalo se fait remarquer. Il déclare que « le 18 septembre (1973) et devant les rumeurs de la mort éventuelle de Neruda, je me suis rendu, avec Charo Cofré (son épouse) à Isla Negra dans notre deux chevaux et nous avons été accueillis à l’arrivée par une personne qui s’est présentée comme son chauffeur (Araya) ».


Plus loin Arévalo signale que le poète « ne pouvait pas marcher et se sentait démoralisé » et qu’il leur a raconté que l'ambassadeur du Mexique au Chili lui avait proposé de sortir du pays. Malgré son angoisse Neruda aurait fêté avec eux le 18 septembre (anniversaire de l'indépendance chilienne) « c'est pour quoi, il nous a envoyés acheter des empanadas », affirma Arévalo.

Dans une interview avec Proceso, Manuel Araya a indiqué que le récit d'Arévalo corroboré par sa femme « est absolument faux ». Il affirme que ni Arévalo ni son épouse ont été à Isla Negra les jours postérieurs au coup d’Etat et que personne ne pouvait d’ailleurs aller les voir, parce que les militaires qui gardaient la maison empêchaient l’accès aux visiteurs. De plus, il a déclaré qu’ils n’ont jamais pris du vin et des empanadas ces jours-là « parce que nous n’avions pas le moral » .

 COUVERTURE DES MÉMOIRES MATILDE URRUTIA 
« MI VIDA JUNTO A PABLO NERUDA »
ISBN : 8432207349. SEIX BARRAL 
BIBLIOTECA BREVE. 1997. IN-8 CARRÉ. 

Selon Arévalo, lui et sa femme seraient restés dormir le 18 à Isla Negra. Le lendemain ils auraient accompagné Neruda et Matilde jusqu'à la clinique Santa Maria. Dans une interview accordée à la revue Rocinante en mai 2003, Cofré a reconnu qu'Araya a participé à ces faits. Il a conduit la Fiat 125 de Neruda alors que Pablo et Matilde se trouvaient dans l'ambulance. Mais dans sa déclaration judiciaire Cofré omet ce fait. Araya nie pour sa part de manière catégorique que ce couple ait été présent à ce moment-là.

Les déclarations de Cofré et d'Arévalo n'ont pas été sollicitées par les plaignants ni par le juge Carroza. Me. Contreras se demande : « Quelle est l'influence de la Fondation Pablo Neruda pour obtenir la déclaration des personnes qui n'ont pas été convoquées pour le faire ? Je le dis du fait qu'il y a une préoccupation curieuse de la Fondation Neruda pour appuyer la recherche, ou plutôt pour la faire pencher dans un certain sens. Alors je me demande : pourquoi est-ce si important pour eux ? Et lui-même se répond : « Je pense que la Fondation a intérêt à préserver l’image de son icône de marketing » .


LA TOMBE DE PABLO NERUDA
DANS LA NECROPOLE DE SANTIAGO, 1973

Matilde Urrutia a mentionné maintes fois dans ses mémoires Manuel Araya : « Le soir approchait et mon chauffeur avait disparu. La veille il m'avait conduit à la clinique (…) c’était la seule personne qui m’aidait. Pauvre garçon qui errait avec Pablo dans les marchés et les brocantes… Il avait disparu avec notre voiture, je perdais avec lui la seule personne qui m'accompagnait à toute heure du jour ».


Traduction MC

N. de l'E. - Publié originellement dans l'hebdomadaire Proceso (30/10/2011), l'auteur a autorisé la diffusion du reportage dans le Clarín du Chili

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