mardi 13 décembre 2011

GERDA TARO PASSE AU RÉVÉLATEUR

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 IMAGE VALENCIENNE DE GERDA  TARO (1937) .PHOTO MAGNUM
Le 1er août 1937, le jour de ses 27 ans précisément, la photographe Gerda Taro est enterrée au Père-Lachaise à Paris en présence d’une foule de milliers de personnes, dont Aragon et Pablo Neruda. C’est une martyre de l’antifascisme que l’on célèbre : Gerda est morte quelques jours plus tôt, écrasée par un char, alors qu’elle «couvrait» la guerre civile espagnole pour la presse communiste. Une vingtaine de mois auparavant, cette jeune femme était une parfaite inconnue, juive allemande réfugiée en France, connue par l’état civil sous le nom de Gerta Pohorylle. C’est au printemps 1936 qu’elle et son compagnon, Endre Friedmann, prendront les noms respectivement de Gerda Taro et Robert Capa pour lancer vraiment leur carrière de photojournalistes, qui les conduira d’abord en Espagne.

«Moment clé». La notoriété de Gerda Taro a été brève, puisque son travail s’est vite trouvé éclipsé par celui de Robert Capa, avec lequel elle a cosigné plusieurs reportages. Beaucoup d’images de la première ont ainsi été attribuées au second. Il faudra attendre 1994 pour voir la figure de Taro ressurgir des limbes grâce à la biographie que lui consacre l’Allemande Irme Schaber. Puis c’est la fameuse affaire dite de la «valise mexicaine», en 2008, qui permet de mieux connaître son parcours et ses techniques. On découvre au Mexique trois boîtes contenant 4 500 négatifs : pour l’essentiel des images faites en Espagne par Capa, Taro et David Seymour (alias «Chim») entre l’été 1936 et mars 1939. Dans ce trésor, 800 négatifs de Taro.

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ROBERT CAPA PHOTOGRAPHIÉ PAR SA COMPAGNE , GERDA TARO, DANS LE FRONT DE SÉGOVIE, DURANT LA GUERRE CIVILE ESPAGNOLE 
La valise a été l’une des vedettes des dernières rencontres d’Arles : pour la première fois, ces images, pour la plupart inédites, étaient présentées en France. Evénement majeur car, comme l’écrit Brian Wallis, de l’International Center of Photography, «la valise mexicaine ne se réduit pas à un ensemble de négatifs : elle contient des documents cruciaux qui modifient notre vision d’un moment clé de l’histoire culturelle du XXe siècle, les origines du photojournalisme moderne». Hélas l’exposition à Arles, par sa densité même, était un peu rebutante. Guère plus éclairante fut la projection d’un documentaire de Trisha Ziff, qui mêlait confusément l’histoire lacunaire des négatifs et des témoignages sur la guerre d’Espagne. Ce n’est qu’avec la publication, cet automne, d’un gros ouvrage chez Actes Sud - reproduisant l’ensemble des négatifs de la valise, accompagnés de textes des meilleurs connaisseurs des travaux de Capa et Taro - qu’on a pu enfin se pencher calmement sur l’affaire et mieux évaluer le rôle de chacun dans ce «moment clé» de l’histoire de la photo.

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SUR LA PHOTO, DE FRED STEIN (PARIS 1935), GERDA TARO ET ROBERT CAPA. DANS LE MUSÉE D'ART DE STUTTGART, ALLEMAGNE, EN  JANVIER 2010,  RÉTROSPECTIVE DÉDIÉE À  GERDA TARO
Rouleau. La déception fut de ne pas trouver dans la valise le rouleau dont fut extrait la fameuse - et problématique - image de Mort d’un soldat républicain, qui fit beaucoup pour la notoriété de Capa. Mais il y avait là-dedans d’autres richesses, des éléments essentiels pour comprendre la genèse d’une série cardinale du photojournalisme. Quand le couple le plus célèbre du reportage photo part à Barcelone, en août 1936, Taro utilise un Rollei au format carré, Capa un Leica de format rectangulaire. Il est donc facile de distinguer leurs travaux. En février 1937, Taro passe au Leica tandis que Capa utilise un Contax, ces deux appareils produisant des négatifs de même format (24 x 36) : les attributions deviennent alors plus délicates, d’autant que les crédits indiquent «photo Capa & Taro». Dans le livre, Kristen Lubben se livre à une subtile exégèse, rouleau par rouleau. Jusqu’alors, sur la base de son travail au Rollei, on avait prêté à Taro une «vision photographique» dont les principaux traits - appareil tenu bas, un seul individu cadré devant un ciel vide - s’expliquaient en partie par les spécificités de son appareil. La moisson de nouvelles images montre comment, sur les mêmes sujets généraux, Taro et Capa s’attachaient à des scènes différentes, avec des angles de vue qui leur étaient propres. Ainsi, après la biographie de Imre Schaber, la valise contribue-t-elle à «rétablir Taro dans son rôle de photographe indépendante majeure, digne d’intérêt au-delà de sa liaison avec Capa», comme l’écrit Kristen Lubben.

Cerise sur la valise, l’une des trois boîtes retrouvées au Mexique contenait une série de portraits de Gerda Taro réalisés par Fred Stein, où l’on découvre une jolie fille, un peu garçon manqué, avec une belle aptitude à la pose. Sa carrière de photoreporter n’aura duré que onze mois.

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