AFFICHE DU FILM |
Dans cet anti-biopic éblouissant, le cinéaste détricote tout et, d'abord, la figure du grand homme. Il s'agit moins de montrer les faits que les effets : l'imaginaire de Neruda, son impact sur tout un peuple, sa puissance créatrice s'échappent, débordent, truquent le réel, dévient la narration. Le film devient vaste et vibrant comme le Chant général, que Pablo Neruda est alors en train d'écrire. A la poursuite de l'artiste, le film lance un drôle de flic. Raide comme la mort, d'une sinistre drôlerie, Gael García Bernal rend à la fois pathétique et inquiétant ce personnage, presque un méchant de roman policier, pareil à ceux que Neruda adorait lire. L'individu s'appelle Oscar Peluchonneau et il commente en voix off l'étrange jeu de cache-cache — des coulisses du pouvoir de Santiago aux espaces infiniment blancs de la cordillère des Andes. Partout, ce poignant Dupont sud-américain arrive trop tard, échoue dans sa tentative d'enfermer mais aussi de comprendre sa proie. Partout, Neruda laisse son sillage de magie et de fascination, et aussi un livre : des miettes de mots pour narguer son poursuivant...
De Santiago 73, post mortem à El Club, en passant par No, on connaissait la noire dérision de Pablo Larraín, son goût pour les tranches d'humanité découpées au scalpel. S'il garde toute son ironie, s'il s'amuse, par moments, à déguiser son film en polar à l'ancienne, il se laisse aussi emporter comme jamais, enivré par le souffle épique du sujet. Là où la plupart de ses autres récits se tapissaient dans le froid et la pénombre, celui-ci est inondé de lumière rousse, vibre d'une chaleur romanesque. Sur ce tableau fantasque et libre d'une époque où les poètes étaient plus grands que la vie, où ils promettaient, avec une confiance effrontée, des lendemains fraternels, plane aussi l'ombre de la dictature. Quelque part, un certain Pinochet, que l'on aperçoit un instant à la tête d'un camp de prisonniers, attend son heure. Celle de tuer la poésie.
— Cécile Mury
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