dimanche 11 novembre 2007

L'ESPAGNE AU CŒUR / J'EXPLIQUE CERTAINES CHOSES


Vous allez demander: Où sont donc les lilas?

Et la métaphysique couverte de coquelicots ?

Et la pluie qui frappait si souvent

ses paroles les remplissant

de brèches et d'oiseaux?


Je vais vous raconter ce qui m’arrive.


Je vivais dans en quartier

de Madrid, avec des cloches,

avec des horloges, avec des arbres.


De ce quartier on apercevait

le visage sec de la Castille

ainsi qu'un océan de cuîr.


Ma maison était appelée

la maison des fleurs, parce que des tous côtés

éclataient les géraniums : c'était

une belle maison

avec, des chiens et des enfants.


Raoul, te souviens-tu ?

Te souviens-tu, Rafael ?

Federico, te souviens-tu

sous la terre,

te souviens-tu de ma maison et des balcons où

la lumière de juin noyait des fleurs sut ta bouche ?

Frère, frère !

Tout

n'était que cris, sel de marchandises,

agglomérations de pain palpitant,

marchés de mon quartier d'Arguelles avec sa statue

comme un encrier pâle parmi les merluches :

l'huile arrivait aux cuillères,

un profond battement

de pieds et de mains emplissait les rues,

métros, litres, essence

profonde de la vie,

poissons entassés,

contexture de toits cernés d'un soleil froid dans lequel

la flèche se fatigue,

délirant ivoire des fines pommes de terre,

tomates recommencées jusqu'à la mer.


Et un matin tout était en feu

et un matin les bûchers

sortaient de terre

dévorant les êtres vivants,

et dès lors ce fut le feu,

ce fut la poudre,

et ce fut le sang.

Des bandits avec des avions, avec des maures,

des bandits avec des bagues et des duchesses,

des bandits avec des moines noirs pour bénir

tombaient du ciel pour tuer des enfants,

et à travers les rues le sang des enfants

coulait simplement, comme du sang d'enfants.


Chacals que le chacal repousserait,

pierres que le dur chardon mordrait en crachant,

vipères que les vipères détesteraient!


Face à vous j'ai vu le sang

de l'Espagne se lever

pour vous noyer dans une seule vague

d'orgueil et de couteaux!


Généraux

de trahison :

regardez ma maison morte,

regardez l'Espagne brisée :

mais de chaque maison morte surgit un métal ardent

au lieu de fleurs,

mais de chaque brèche d'Espagne

surgit l'Espagne,

mais de chaque enfant mort surgit un fusil avec des yeux,

mais de chaque crime naissent des balles

qui trouveront un jour l'endroit

de votre coeur.


Vous allez demander pourquoi sa poésie

ne parle-t-elle pas du rêve, des feuilles,

des grands volcans de son pays natal ?


Venez voir le sang dans les rues,

venez voir

le sang dans les rues,

venez voir le sang

dans les rues !


Pablo Neruda Traduction : Guy Suarès

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