vendredi 22 janvier 2010

DE VALPARAISO À VICUÑA, SUR LES PAS DE PABLO NERUDA ET DE GABRIELA MISTRAL


FILM ADHEMAR ORELLANA RIOJA

L'extraordinaire situation de "La Sebastiana", la demeure où Pablo Neruda (1904-1973) s'installa dans les années 1960, laisse penser que quiconque vivant ici quelque temps pourrait être saisi d'une inspiration comparable à celle du poète. Las, la maison n'est pas à louer et il est même interdit de s'allonger sur le lit ou de s'asseoir devant le bureau.

Faute de mieux, La Sebastiana peut tout de même se visiter, puisqu'elle est devenue un musée. On peut la parcourir, avec dévotion, amusement ou curiosité. S'extasier devant le bar, si petit que l'on se demande comment ce ventripotent poète pouvait passer derrière, tant le passage est étroit. Toujours est-il que c'est là qu'il préparait le coqueleton, un cocktail de son invention composé de parts égales de cognac et de champagne, et de quelques gouttes de Cointreau et de jus d'orange.

En attendant de confectionner soi-même ce breuvage, force est de méditer devant la vieille enseigne qui trône au-dessus du bar. "Au coeur couronné percé d'une flèche", est-il inscrit. Où Neruda a-t-il bien pu trouver cet objet qui porte le nom de l'auberge parisienne devant laquelle le bon roi Henri IV fut poignardé par le dénommé Ravaillac ? La maison regorge d'objets aussi étranges qu'hétéroclites, autant de souvenirs rapportés de tous les bouts du monde.

"Port fou", "toujours surpris par la vie", "extravagant", Valparaiso est aussi, sous la plume de Neruda, la "fiancée de l'océan", "lumineuse et nue, feu et brouillard", "reine de toutes les côtes du monde". Erigée sur une quarantaine de collines dessinant un immense amphithéâtre face à l'océan, la ville peut conduire le promeneur au diable vauvert s'il n'y prend garde, ce qui serait dommage : "Ces collines portent des noms profonds. Voyager parmi ces noms est un voyage sans fin, parce que le voyage, à Valparaiso, ne prend fin ni sur la terre ni dans les mots", assure celui qui reçut le prix Nobel de littérature en 1971.

Heureusement, les fameux funiculaires de Valparaiso, appelés "ascensores", fonctionnent à merveille. Celui de La Concepción grimpe du bas de la ville à la place Gervasoni. A l'entrée, grilles et tourniquet métalliques d'un autre âge. Une cabine sommaire, pour sept personnes, un petit banc de bois, et on comprend vite le pourquoi du terme ascenseur. "Vous venez de gravir 44,5 mètres en 34 secondes environ, détaille Juan Riquelme, le machiniste. Des problèmes ? Il n'y en a jamais, sauf quand il y a des pannes d'électricité. Les pompiers viennent récupérer les passagers et ça repart comme en 1883", s'amuse-t-il.

A l'origine, en 1883 donc, ce funiculaire fonctionnait grâce à un système de contrepoids. Dans le réduit où Juan Riquelme dirige les manoeuvres, rien ne semble avoir changé : la vitesse se règle avec une étrange manivelle, l'arrêt est assuré grâce à un énorme frein métallique, la porte de la cabine s'ouvre par l'étonnante action d'un imposant levier. "Aujourd'hui, nous sommes une quarantaine à assurer le fonctionnement des quinze ascenseurs de la ville, explique le machiniste, mais nous étions soixante-huit il y a encore trois ou quatre ans."

Loin des folies de Valparaiso, à 500 kilomètres environ vers le nord, et loin des fumées toxiques du rallye Dakar - qui a sévi dans les parages -, se trouve la ville natale de l'autre Chilienne à avoir été honorée par le prix Nobel, en 1945. Gabriela Mistral (1889-1957) est née à Vicuña, une bourgade de 20 000 habitants, située dans la vallée d'Elqui aux magnifiques paysages et dont les collines sont hérissées d'innombrables copaos, des cactus parfois immenses, propres à cette région. "La vallée d'Elqui, ceinte de cent montagnes ou peut-être plus qui, comme des offrandes ou des tributs, s'embrasent en rouge et safran", chantait la poétesse.

Vicuña, également connue pour ses vignes et la production de pisco - boisson apéritive -, abrite un musée consacré à Gabriela. Malgré son nom, qu'elle emprunta à Frédéric Mistral, auquel elle vouait une grande admiration, Gabriela ne jouit pas d'une grande reconnaissance en France : peu de ses poèmes ont été traduits et les rares recueils édités sont épuisés depuis longtemps. Elle est pourtant vénérée au Chili. "Te voici, Gabriela, fille aimée de ces plantes, de ces pierres, de ce vent gigantesque. Nous t'accueillons avec bonheur. Personne n'oubliera tes chants aux épines, aux neiges du Chili. Tu es chilienne. Tu es du peuple. Personne n'oubliera tes strophes aux pieds nus de nos enfants...", écrivait Pablo Neruda.

Bien qu'aucune constellation ne porte le nom de Mistral, un détour par l'observatoire astronomique de Mamalluca, à moins de dix kilomètres de Vicuña, s'impose. Une fois la nuit noire venue - elle est particulièrement intense dans cette région où ont pris place plusieurs observatoires professionnels - on pourra contempler à loisir l'étoile du Sud, puis on ira de surprises en ébahissements grâce aux guides qui font visiter le firmament. "Vous allez pouvoir surprendre Vénus toute nue, avertit l'un d'eux avant d'ajouter, feignant une grande désolation : quel manque de chance, on n'en voit que la moitié aujourd'hui, une autre planète jalouse lui fait de l'ombre."


Jean-Louis Aragon

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