lundi 27 septembre 2010

BIBLIOTHÈQUE PABLO NERUDA À SAIGE

En Conseil municipal, Maria Fuentes n'avait pas eu la force de lire la délibération : elle prévoyait de rebaptiser la bibliothèque de Saige, du nom du célèbre poète Pablo Neruda. Trop d'émotion. Car derrière cette décision si banale d'apparence, ressurgit le douloureux passé de la communauté chilienne, fortement représentée dans ce quartier.

C'est un certain 11 septembre, mais de 1973, qui a fait basculer la vie de Maria Fuentes : « J'avais 18 ans, quand Pinochet a fait son coup d'état, avec l'aide des États-Unis. Pendant les moins de 3 ans où Salvador Allende avait été au pouvoir, il y avait eu une effervescence politique dans le pays. Tout en faisant des études de coiffure et d'esthétique dans un lycée professionnel, je militais au Parti communiste.»

Torture institutionnalisée

Mais c'est son frère aîné qui va payer le plus lourd tribut à la dictature du général : « Il travaillait au ministère de l'éducation et faisait partie de l'entourage de d'Allende. Il a été d'abord parqué plusieurs mois dans le stade de Santiago. Les conditions étaient épouvantables : promiscuité, rien pour dormir, aucun contact avec l'extérieur, sévices. Et on mélangeait de la pierre broyée à leur nourriture, pour qu'ils n'aient pas envie d'aller aux toilettes. Une étude a prouvé par la suite que ça donnait le cancer du colon. C'est de ça qu'il est mort quelques années plus tard. Il a aussi connu le terrible camp de Chacabuco, au nord du Chili. »

Interrogatoires et tortures institutionnalisées… Il a goûté aux tristes méthodes de la junte : « Une fois libéré, il était impossible de parler de ça avec lui.»

Maria a eu plus de chance. Elle a réussi à obtenir un visa et à venir en France avec son fils de 6 ans. « Je ne parlais pas un mot de français. Mais j'ai été accueilli par un oncle et des Chiliens qui m'avaient précédés.»

Après un passage à Mérignac, elle s'installe à Saige. Tout en faisant des ménages, elle s'investit dans son nouvel environnement. Elle sera notamment présidente du centre social pendant dix ans. Aujourd'hui, elle est conseillère municipale, chargée de la vie sociale des quartiers.

L'empreinte chilienne se matérialise déjà à Saige par une immense fresque. Le nom de Pablo Neruda donné à la bibliothèque, sera un symbole fort, même si le nombre d'ouvrages chiliens est limité : « Car il y a peu de traductions en français », précise la directrice, Isabelle Berthonnaud. « En comptant nos dernières acquisitions, cela fait un fond d'une vingtaine de livres. » La présence de ceux de Pablo Neruda est particulièrement émouvante. Le prix Nobel de littérature est mort d'un cancer quelques jours après le coup d'État. Sa maison avait été saccagée et ses livres brûlés.

Un quart d'heure avant l'inauguration, qui aura lieu samedi à 17 heures, les Chiliens de Saige se regrouperont devant la fresque, puis ils se dirigeront vers la bibliothèque en cortège, drapeaux en tête. « Pourtant, j'ai toujours un sentiment d'apatride », note Maria. « Ici, le Chili me manque. Là-bas, je pense à ici. »

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