lundi 1 novembre 2010

René Crevel (1900-1935)

Le romancier, poète et essayiste français René Crevel vers 1930. Photo Roger Viollet
« Je sais à quoi m'en tenir et que je suis affligé non du classique complexe d'Œdipe, mais du simplexe anti-Œdipe [...]. Malheur à l'homme qui n'a pas voulu coucher avec sa mère ! » (Êtes-vous fous ? 1929). René Crevel a quatorze ans lorsque son père, imprimeur de musique, se pend, et « ce suicide, écrit Crevel, pour ma formation et ma déformation, fit plus que tout essai postérieur d'amour ou de haine » (lettre publiée dans les Cahiers du Sud, no 337, consacré à Crevel). Revient dans chaque œuvre avec des moyens différents d'y faire face, depuis les premiers Détours (1924) jusqu'aux ultimes Les Pieds dans le plat (1933), la haine d'une mère qui garde « la tradition des housses sur les fauteuils et de l'ennui », Espéranza, qui, « de même qu'elle avait réussi à métamorphoser l'enfant séduisant en Rub dub dub, ainsi est arrivée à faire de Rub dub dub un gringalet ». La psychanalyse - mais non les « certains doigts » du psychanalyste qui le soigna à la mort de sa mère en 1926, au contact desquels « les rares occasions de bonds révolutionnaires tournent en eau de boudin » (Le Clavecin de Diderot, 1932) -, d'accord avec Crevel, voit dans « les tortueuses tortures de ce tuteur têtu » l'origine de son homosexualité, ou, comme il dit dans Le Clavecin de Diderot, du goût pour « cet asile étroit des plaisirs chers à Sade et qui seul convient à mes modestes proportions de gringalet ». Crevel le révolté « hurle à grands cris d'écarlate » (Êtes-vous fous ?) contre tous les morts-vivants, bourgeoisie, femmes de bien, tous ceux qui se confinent « au sein d'une petite réalité exploitable ». Aussi s'engage-t-il avec la « responsabilité, merveilleuse responsabilité des poètes » (L'Esprit contre la Raison, 1928) dans « l'entreprise de salut public » qu'est en 1921 le mouvement dada, puis, après une gifle mémorable d'Éluard un soir de 1923, dans le surréalisme aux côtés de Breton, dont il reste « solidaire en tous points » après le Second Manifeste. Cet esprit poétique doit comme celui des encyclopédistes, pour être digne de son étymologie, « faire » quelque chose, politiquement, contre « les grosses molles républiques » (post-scriptum du Clavecin de Diderot) : engagement difficile pourtant, puisque Crevel signe en 1932 le tract Paillasse contre Aragon, puis La mobilisation contre la guerre n'est pas la paix, qui le fait momentanément exclure du Parti communiste, mais il collabore en 1934 à Commune, organe de l'Association des écrivains et artistes révolutionnaires, qui éditera à titre posthume son dernier discours, où il déclare avoir cessé d'appartenir au groupe surréaliste pour consacrer toute son attention à « l'actualité immédiate [...] catégoriquement révolutionnaire de 1935 ». Avant de l'avoir prononcé, le 18 juin de cette année-là, se suicide celui qui, au travers d'une parole, « faute de mieux », chaotiquement et intarissablement lucide, ne voulait « ni du sable ni de l'eau, mais une vérité indéniable comme un œuf. La vérité » (Mon corps et moi, 1925). « Et ne demeure qu'un trou plus blanc dans le blanc, plus noir dans le noir » (La Mort difficile, 1926).

Barbara CASSIN

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