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PHOTO PABLO NERUDA ET ANDERS ÖSTERLING
Les prix et distinctions littéraires sont-ils compatibles avec toutes les convictions politiques ? En 1971, les membres de l'Académie suédoise, institution qui décerne le Prix Nobel de littérature, se posaient déjà la question. À l'idée de remettre la récompense au Chilien Pablo Neruda, un des membres évoquait, comme un obstacle, « la tendance communiste de plus en plus prégnante dans sa poésie ».
L'entrée de Mario Vargas Llosa sous la Coupole, après son élection à l'Académie française, avait soulevé des interrogations : un soutien déclaré de candidats réactionnaires et d'extrême droite — doublé de soupçons d'évasion fiscale — pouvait-il « défendre la langue française » ?
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L'habituelle question — faut-il séparer l'homme de l'œuvre ? – revient lorsque l'on évoque Roman Polanski ou Louis-Ferdinand Céline. Des membres de l'Académie suédoise se la posaient déjà au début des années 1970. Chargés de décerner le Prix Nobel de Littérature, qui consacre l'Œuvre d'un auteur, ils hésitaient en 1971 entre plusieurs personnalités : WH Auden, James Baldwin, Philip Larkin, Jorge Luis Borges, André Malraux — et une seule femme, Marie Under.
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Les engagements et opinions politiques de Neruda y sont longuement évoqués, notamment par l'écrivain suédois Anders Österling (1884-1981), entré à l'Académie suédoise en 1919.
Les “hymnes à Staline” de Neruda
Österling salue ainsi le « pouvoir naturel de la poésie [de Neruda] ainsi que sa dynamique vitalité », mais s'inquiète de savoir si « la tendance communiste de plus en plus prégnante dans sa poésie est compatible avec l'esprit du Prix Nobel ».
Selon le testament du chimiste Alfred Nobel (1833-1896), à l'origine des récompenses qui portent son nom, les Prix Nobel sont décernés à des personnalités qui ont « fait la preuve d'un puissant idéal ». L'idéal communiste n'était visiblement pas du goût d'Österling, qui s'était aussi, par le passé, opposé au nihilisme de Samuel Beckett.
Dès 1963, plusieurs années avant le débat autour de l'élection de 1971, Österling avait manifesté des réserves vis-à-vis du candidat Neruda, notamment en raison de textes dédiés à Staline. « La pensée d'un écrivain — qu'il soit marxiste, syndicaliste, anarchiste ou autre — relève de sa liberté. Toutefois, Neruda est totalement engagé politiquement, que ce soit par ses hymnes à Staline ou ces autres travaux de propagande. Considérant ceci, j'ai des réserves sur sa candidature, sans toutefois la rejeter par avance », soulignait-il.
Chant à Stalingrad (1942) ou Nouveau chant d’amour à Stalingrad (1943) constituent des exemples de textes tournés vers Staline, qui jouit alors d'un prestige international en raison de la contribution de l'URSS à la défaite de l'Allemagne nazie, suite à la rupture du pacte germano-soviétique en 1941.
Soutien de Salvador Allende, président du Chili à partir de 1970 et jusqu'au coup d'État fasciste d'Augusto Pinochet, en 1973, Neruda avait trouvé la mort peu après cet événement, dans des circonstances encore floues. En 2017, il avait été révélé que son certificat de décès, qui mentionnait un cancer, était un faux, relançant les hypothèses autour d'un assassinat de l'auteur en raison de son soutien à Allende.
En 1971, Österling fut finalement convaincu par ses collègues, puisque Neruda devient cette année-là le second auteur chilien récompensé, après l'autrice Gabriela Mistral, en 1945.
Photographie : à gauche, Pablo Neruda en 1963, à droite, Anders Österling au début du XXème siècle.
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