jeudi 6 décembre 2007

FIDEL CASTRO


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 FIDEL CASTRO ET PABLO NERUDA 
DANS L'AULA MAGNA DE LA UNIVERSITÉ 
CENTRALE DE VENEZUELA, 1959.
Deux semaines après son entrée victorieuse à La Havane, Fidel Castro arriva à Caracas pour une courte visite. Il venait remercier publiquement le gouvernement et le peuple du Venezuela pour l'aide qu'ils lui avaient apportée. Celle-ci avait consisté en armes pour les soldats. et, bien entendu, ce n'était pas Betancourt (élu depuis peu président) qui les avait fournies, mais son prédécesseur, l'amiral Wolfgang Larrazabal. Larrazabal était l'ami de la gauche vénézuélienne, communistes compris, et il avait approuvé l'acte de solidarité avec Cuba demandé par ces derniers.



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WOLFGANG LARRAZABAL ET FIDEL CASTRO
 DANS L'AULA MAGNA DE LA UNIVERSITÉ
 CENTRALE DE VENEZUELA, 1959.
J'ai vu peu d'accueils politiques plus fervents que celui que les Vénézuéliens réservèrent au jeune vainqueur de la révolution cubaine. Fidel parla quatre heures durant sur la grande place de El Silencio, coeur de Caracas. J'étais l'une de ces deux cent mille personnes qui écoutaient debout et sans broncher ce long discours. Pour moi, comme pour beaucoup, les discours de Fidel ont été une révélation. En l'entendant parler devant cette foule, je compris qu'une époque nouvelle avait commencé pour l'Amérique latine. La nouveauté de son langage me plut. Les meilleurs dirigeants ouvriers et politiques utilisent d'ordinaire des formules dont le contenu peut être valable mais dont les mots sont usés et affaiblis à force d'être répétés. Ces formules, Fidel les ignorait. Ses phrases étaient naturelles et didactiques. Et lui-même semblait tirer au fur et à mesure la leçon de ce qu'il disait.

Le président Betancourt n'était pas là. L'idée d'affronter la ville de Caracas, où il n'a jamais été populaire, l'effrayait. Chaque fois que Fidel Castro le nommait dans son discours, on entendait aussitôt des sifflets et des huées que les mains de l'orateur tentaient, d'interrompre. Je crois que ce jour-là une inimitié définitive se créa entre Betancourt et le révolutionnaire cubain. Fidel n'était alors ni marxiste ni cummuniste et ses paroles le prouvaient. J'ai dans l'idée que ce discours, la personnalité fougueuse et brillante de Fidel, l'enthousiasme populaire qu'il suscitait, la passion avec laquelle le peuple de Caracas l'écoutait, chagrinèrent Betancourt, politicien à l'ancienne, adepte de la rhétorique, des comités et des conciliabules. Depuis, Betancourt a poursuivi de sa hargne tout ce qui, de près ou de loin, est lié à Fidel Castro ou à la révolution cubaine.

Le lendemain du meeting, comme je me trouvais sur le terrain du pique-nique dominical, un groupe de motocyclistes vint m'apporter une invitation de l'ambassade de Cuba. On m'avait cherché toute la journée. La réception était pour le soir même. Mathilde et moi partîmes directement pour l'ambassade. Les invités étaient si nombreux qu'ils débordaient hors des salons et des jardins. La foule se pressait autour de la résidence et il était difficile de se frayer un passage dans les rues avoisinantes.

Nous traversâmes des salons pleins d'invités, une tranchée de bras qui levaient des coupes de cocktail. Quelqu'un nous conduisit à travers des couloirs et des escaliers jusqu'à un autre étage. Dans un endroit retiré, Celia, l'amie et la secrétaire privée de Fidel, nous attendait. Mathilde resta avec elle, tandis qu'on m'introduisait dans la pièce voisine. C'était une chambre de service, peut-être celle du jardinier ou du chauffeur. Il n'y avait là qu'un lit, d'où quelqu'un s'était levé précipitamment, laissant des draps en désordre et un oreiller sur le sol ; dans un coin, un guéridon, rien d'autre. Je pensai qu'on me ferait passer dans un autre salon plus convenable, pour y rencontrer le Commandant. II n'en fut rien. Soudain la porte s'ouvrit et Fidel remplit de sa stature tout son espace.

Il me dépassait d'une tête. Il se dirigea vers moi d'un pas rapide :

- Holà, Pablo! me dit-il, et il m'étreignit avec force.
Sa voix fluette, presque enfantine, me surprit. Quelque chose, dans son physique, concordait avec le ton de sa voix. Fidel ne donnait pas l'impression d'un homme de grande taille, mais plutôt d'un grand enfant dont les jambes auraient poussé d'un coup sans qu'il perde son visage juvénile et sa barbe d'adolescent.

Soudain, il coupa court à notre embrassade et resta comme galvanisé. Il fit demi-tour et se dirigea, décidé, vers un coin de la pièce. Sans que je m'en aperçoive, un journaliste photographe était entré et, de ce coin, braquait sur nous son objectif. Fidel, d'un bond, l'avait rejoint; l'ayant attrapé à la gorge, il le secouait. L'appareil tomba sur le sol. Je m'approchai de Fidel et lui agrippai le bras, effrayé par la vision du petit photographe qui se débattait sans résultat. Finalement, d'une poussée, Fidel l'expédia vers la porte et l'obligea à disparaître. Puis il se retourna vers moi en souriant, ramassa l'appareil et le jeta sur le lit.

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FIDEL CASTRO ET PABLO NERUDA  DANS
L'AULA MAGNA DE L'UNIVERSITÉ
CENTRALE DE VENEZUELA
Nous ne parlâmes plus de l'incident mais des possibilités de créer une agence de presse pour toute l'Amérique. Il me semble que de cette conversation naquit Prensa Latina. Après quoi, chacun par notre porte, nous retournâmes à la réception.

Une heure plus tard, en rentrant de l'ambassade en compagnie de Mathilde, je revis la tête terrorisée du photographe et la rapidité instinctive avec laquelle le chef guérillero avait deviné l'arrivée silencieuse de l'intrus dans son dos.

Telle fut ma première rencontre avec Fidel Castro. Pourquoi repoussa-t-il si violemment la photographie? Son geste cachait-il un petit mystère politique? Jusqu'à maintenant je n'ai pas réussi à comprendre pour quelle raison notre entrevue devait rester aussi secrète.



J'avoue que j'ai vécu, p 474. Editions Gallimard, 1975, Traduction de Claude Couffon




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