Poète espagnol appartenant à la génération dite de 1936, Miguel Hernández, chevrier de son état jusqu'à l'âge d'homme, fut d'abord un autodidacte passionné de littérature et surtout de poésie. Ébloui par les formes les plus hermétiques de la poésie espagnole, et notamment par l'œuvre de Góngora, il se forgea un langage personnel à travers imitations et fréquentations, et parvint à la création métaphorique véritable, pure transposition d'une vie quotidienne violemment charnelle, où s'affrontent douleur et joie, amour et solitude, espoir et désespoir. Il combattit, les armes à la main, dans les rangs de l'armée républicaine, et sa poésie est étroitement liée à cet engagement qui le conduisit à l'emprisonnement, puis à la mort. Essentiellement attaché à la terre dont il pétrit littéralement chacune de ses images, Miguel Hernández est un poète venu du peuple qui écrit pour le seul peuple, mais avec la rigueur du grand artiste pour qui le langage est l'objet d'une quête perpétuelle.
Si je naquis de la terre, Si je suis né d'un ventre humain malheureux et pauvre, ce ne fut que pour devenir le rossignol des malheurs...
Miguel Hernández avec sa mère Concepción Gilabert Giner,
son frère Vicente de quatre ans son aîné, sa soeur cadet Incarnation.
1. Du chevrier au poète
Miguel Hernández naît le 30 octobre 1910 à Orihuela (province d'Alicante), d'une famille de pauvres chevriers. Il fréquente le collège entre neuf et treize ans et demi, puis devient berger à son tour, sans cesser pour autant de se nourrir de poésie espagnole (saint Jean de la Croix, Garcilaso, Góngora, Antonio Machado...) ou française (Verlaine, Paul Valéry...). Miguel commence à écrire des poèmes vers l'âge de seize ans. Il imite ses grands prédécesseurs (1928-1933) et participe à des cercles poétiques, notamment avec les frères Sijé, jeunes catholiques épris de littérature moderne et soucieux de lutter contre le conformisme et l'étouffement de la vie provinciale. Miguel découvre l'œuvre de Rafael Alberti et celle de Federico García Lorca. Il chante essentiellement les paysages de son terroir dans un langage fortement teinté de gongorisme.
Poussé par le désir de devenir poète à part entière, Miguel Hernández gagne Madrid (1931). Il y a froid et faim et rentre déçu à Orihuela. Il compose alors son premier recueil, qui paraît à Murcie en 1933 : Expert en lunes (Perito en lunas). La critique se montre sévère pour ce livre écrit en hendécasyllabes, où transparaît, à travers le néo-gongorisme des métaphores savantes et subtiles, l'originalité d'un lyrique en quête d'une écriture plus brève, plus synthétique, qui ne sacrifierait en rien l'épaisseur du vécu quotidien.
En 1934, Miguel publie dans Cruz y Ruya une pièce de théâtre : Qui t'a vu et qui te voit et ombre de ce que tu es (Quien te ha visto y quien te ve y sombra de lo que eres). Cet auto-sacramental, empreint de la marque de Calderón, évoque la perte de la grâce par l'homme puis la rédemption par l'Eucharistie. Le poète a su donner relief aux paysages et prêter chair aux allégories. L'écriture dramatique entraîne un approfondissement de la quête intérieure du Moi. Après cette œuvre, Miguel Hernández s'éloigne de la foi et abandonne le contenu théologique de ses symboles, cela malgré sa participation à la revue de Ramón Sijé, El Gallo crisis (1934-1935).
Le poète Miguel Hernández et sa femme Josefina Manresa
2. Madrid. «Éclair qui n'a de cesse»
C'est en 1933 que Miguel rencontre le grand amour de sa vie, Josefina Manresa, couturière, fille d'un garde civil. En mars 1934 il retourne à Madrid où il travaille à l'encyclopédie taurine de José María de Cossío. Il devient l'ami de Pablo Neruda et de García Lorca, et de plusieurs autres écrivains célèbres. Le séjour madrilène, décisif sur le plan poétique, est marqué de déchirements et de remises en question. À la suite de difficultés financières, Miguel rentre à Orihuela. En février 1936 paraît Éclair qui n'a de cesse (El Rayo que no cesa). Ce recueil, qui est le fruit d'une longue gestation, chante un amour sensuel et douloureux, à travers des images somptueuses, qui, partant de l'éclair initial, abordent tous les aspects de la matière. L'élégance, le raffinement des sonnets n'entravent point la sourde et violente tension lyrique :
Comme le taureau je suis né pour le deuil et la douleur, comme le taureau je suis marqué par un feu infernal au côté, et comme mâle à l'aine par un fruit. (XXXIII)
Le poète se définit comme terre,
Je m'appelle Miguel mais je m'appelle argile. Argile est ma profession et ma destinée qui de sa langue tache tout ce qu'elle lèche... (XV)
ultime image de l'amour auquel il se voue totalement.
3. La guerre
Jamais les bœufs n'ont fait souche dans les plaines d'Espagne...
mais qui est décimé par la lutte fratricide,
Sang, sang sur les arbres et les pavés, sang sur les eaux, sang sur les murs et crainte que l'Espagne s'écroule sous le poids du sang qui suinte en ses trames jusqu'à mouiller le pain qui se mange.
Miguel écrit plusieurs œuvres pour le théâtre, entre autres Le Laboureur de plus grand air (El Labrador de más aire, 1937). Son premier fils meurt en 1937. Dans L'Homme aux aguets (El Hombre acecha, 1939), qu'il dédie à Neruda, il s'identifie à tous les amputés, à toutes les victimes, puis il interpelle les poètes, proclamant son indéfectible espoir en une fonction militante de la poésie.
Un homme attend au fond d'un puits irrémédiable, tendu, troublé, l'oreille au guet. Un peuple a crié liberté ! le ciel s'envole. Et les prisons s'envolent.
En route vers le Portugal, Miguel Hernández est arrêté par la police de ce pays et remis entre les mains de la garde civile espagnole. Libéré à la suite de plusieurs interventions, il se rend à Orihuela, mais il est de nouveau arrêté, puis transféré à Madrid. Condamné à mort à l'issue d'un procès sommaire (1940), il voit sa peine commuée en trente années d'emprisonnement. Entre 1938 et 1940 il écrit Cancionero et romancero d'absences (Cancionero y romancero de ausencias, 1958), où il dit la douleur de la solitude, dans de brefs poèmes en vers courts, avec fort peu d'images et d'adjectifs, suivant des rythmes populaires qui créent une grande tension dramatique.
Que veut-il donc encor le vent chaque fois, oui, plus irrité ? Nous séparer.
Miguel Hernández est transféré de Palencia à Ocaña puis à Alicante. Les conditions déplorables de l'internement ont raison de sa santé. Le poète meurt de tuberculose pulmonaire le 28 mars 1942. Parmi les poèmes écrits en prison se trouvent la fameuse Berceuse de l'oignon (Nanas de la cebolla, 1939) écrite pour son deuxième fils, né en 1939,
L'oignon est un givre dur et pauvre. Givre de tes jours et de mes nuits. Faim et oignon froid noir et givre immense et rond...
et la Casida de l'assoiffé (Casida del sediento, mai 1941) :
Je suis le sable du désert : désert de soif. Ta bouche est l'oasis où je ne dois pas boire. [...] Corps : ô puits interdit à celui que la soif et le soleil ont calciné.
Poète singulier de par sa formation face à une génération nourrie dès l'enfance de la plus haute culture, Miguel Hernández traduit dans un langage universel les événements d'un destin personnel ; il communique aux métaphores les plus audacieuses la saveur immédiate des choses quotidiennes. Explorant les mêmes mots, pain, vent, terre, prison, il redécouvre et réinvente d'autres sens, selon une démarche ascétique qui le conduit à la nudité et à la transparence :
Seulement l'ombre. Sans astre. Sans ciel. Êtres. Volumes. Corps qu'on peut toucher à l'intérieur de l'air qui ne peut s'envoler dans l'intérieur de l'arbre aux choses impossibles.
Marie-Claire ZIMMERMANN
Œuvres de Miguel Hernández
Obras completas, Losada, Buenos Aires, 1960 ; L'Enfant laboureur (El Rayo que no cesa, 1934-1935 ; Viento del pueblo, 1937), trad. A. Gascar, Seghers, 1952 ; «Anthologie poétique», trad. C. Couffon, R. Marrast et F. Martorell, in Europe, sept.-oct. 1962 ; Cet éclair qui ne cesse pas, trad. S. et C. Pradal, Brocéliande, Paris, 1989.
Études
V. ALEIXANDRE, «Evocación de Miguel Hernández», in Los Encuentros, Guadarrama, Madrid, 1958
J. CANO BALLESTA, La Poesía de Miguel Hernández, Gredos, Madrid, 1962
M. CHEVALLIER, L'Homme, ses œuvres et son destin dans la poésie de Miguel Hernández, Éditions hispaniques, Paris, 1974
C. COUFFON, Orihuela et Miguel Hernández, Centre de recherches de l'Institut d'études hispaniques, Paris, 1963
J. L. GUEREÑA, Miguel Hernández, coll. Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 1964
«Miguel Hernández», no spéc. Europe, sept.-oct. 1962
D. PUCCINI, Miguel Hernández, Vita e poesia, V. Mursia, Milan, 1966 ; trad. esp. A. Dabini, Vida y poesía, Losada, Buenos Aires, 1970
E. ROMERO, Miguel Hernández, Destino y poesía, Losada, Buenos Aires, 1958
S. SALAÜN, «Miguel Hernández. Pages retrouvées : cinq poèmes, une lettre et une chronique» in Mélanges de la Casa de Velázquez, t. VII, pp. 347-376, Paris, 1971
G. SOBEJANO, «Un análisis estilístico de la poesía de Miguel Hernández», in Revista hispánica moderna, t. XXIX, no 3-4, New York, juill.-oct. 1963
A. SOREL, Miguel Hernández, escritor y poeta de la revolución, coll. Lee y discute, no 68, ZYX, Madrid, 1977
C. ZARDOYA, «Miguel Hernández. Vida y obra. Bibliografía. Antología», in Revista Hispánica moderna, vol. XXI, no 3-4, New York, juill.-oct. 1955 ; Poesía española contemporánea. Estudios temáticos y estilísticos, Guadarrama, Madrid, 1961.
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