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TRINIDAD CANDIA MALVERDE. 1927 |
La Ma Nounou
La Ma Nounou s’avance
dans ses sabots de bois. Au soir d’hier
le vent du Pôle a soufflé, les toits
se sont brisés, les murs
et les ponts se sont effondrés,
toute la nuit a hurlé avec ses pumas,
et maintenant, en ce matin
de soleil glacé, la voici
la Ma Nounou donã
Trinidad Marverde,
douce comme la timide fraîcheur
du soleil dans les pays de tempête,
lampe
menue et s’éteignant,
se rallumant
pour que tous voient bien le chemin.
O douce Ma Nounou
- je n’ai jamais pu
t’appeler belle-mère -
maintenant
ma bouche tremble pour te définir,
j’étais à peine
à l’âge où l’on comprend
que je voyais déjà la bonté habillée de pauvres nippes noires,
la sainteté la plus utile :
celle de l’eau, celle de la farine ;
tu fus cela : la vie te pétrit, tu fus pain
que nous mangions là-bas,
de l’hiver long à l’hiver désolé
où notre toit gouttait
à l’intérieur de la maison
et ton humilité partout présente
égrenant
l’âpre
céréale de la pauvreté
comme si tu avais
réparti
une rivière de diamants.
Aïe ! maman, comment ai-je pu
vivre sans t’évoquer
à chacune de mes minutes ?
Ce n’est pas possible. Je porte
dans mon sang ton Marverde,
le nom
du pain qu’on se partage,
de ces
douces mains
qui dans le sac à farine taillèrent
les caleçons de mon enfance,
le nom de celle qui cuisina, repassa, lava,
sema, calma ma fièvre
et qui, lorsque tout fut fini
et que
je pouvais bien me tenir ferme sur mes jambes,
s’en alla, obscure et parfaite,
vers le petit cercueil
où pour la première fois elle n’eut plus rien à faire
sous la pluie dure de Temuco.
Traduit de l’espagnol par Claude Couffon
In, Pablo Neruda : « Mémorial de l’Isle-Noire »
Editions Gallimard, 1970
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