Citation de Pablo Neruda

lundi 7 juillet 2008

DES POÈMES INÉDITS DE PABLO NERUDA DÉCOUVERTS AU CHILI

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Dans tes rêves
naissent les
ailes azur
que je garde
dans
ce
livre
perdu
Je collectionne
tes
larmes.
Intitulé "Album de Isla Negra", ce recueil date de 1969 et est dédié à Alicia Urrutia, une nièce de l'épouse du poète Matilde Urrutia, qui vivait et aidait à l'époque dans la maison du couple dans la station balnéaire d'Isla Negra, sur la côte centrale du Chili.

Les poèmes sont écrits avec l'encre verte typique que Neruda utilisait pour ses textes, ce qui exclut toute possibilité de falsification, a affirmé au Mercurio l'avocat Nurieldin Hermosilla qui possède déjà une vaste collection des oeuvres du poète chilien et dit avoir acquis le recueil inédit à travers un libraire.
En outre, le P de Pablo est très particulier dans les manuscrits de Neruda et "très difficile" à imiter, explique le collectionneur. Celui du recueil "correspond en tout" à la signature du poète, ajoute-t-il.

Cet album est "une preuve directe et définitive, par la plume du poète, de son amour pour Alicia", affirme encore M. Hermosilla qui dit avoir payé pour le recueil "une très grande somme", sans vouloir la préciser.

Des biographes de Neruda ont déjà signalé qu'Alicia Urrutia était la maîtresse du poète pendant les dernières années de sa vie. Selon El Mercurio, elle vit toujours et réside à Arica, ville de l'extrême nord du pays.

Le prix Nobel de littérature 1971 est mort à l'âge de 69 ans en septembre 1973, quelques jours après le coup d'Etat du général Augusto Pinochet. Ses restes reposent à Isla Negra.

L'"Album de Isla Negra" ne fait peut-être pas partie des chefs-d'oeuvre du poète mais il a une tonalité "douce, suave, et parfois tragiquement triste", note M. Hermosilla.

DES POÈMES INÉDITS DE PABLO NERUDA DÉCOUVERTS AU CHILI

L'avocat Nurieldin Hermosilla
Un recueil de brefs poèmes inédits du prix Nobel de littérature chilien Pablo Neruda a été découvert récemment au Chili par un collectionneur, a rapporté dimanche le quotidien chilien El Mercurio.

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Dans tes rêves
naissent les
ailes azur
que je garde
dans
ce
livre
perdu
Je collectionne
tes
larmes.
Intitulé "Album de Isla Negra", ce recueil date de 1969 et est dédié à Alicia Urrutia, une nièce de l'épouse du poète Matilde Urrutia, qui vivait et aidait à l'époque dans la maison du couple dans la station balnéaire d'Isla Negra, sur la côte centrale du Chili.

Les poèmes sont écrits avec l'encre verte typique que Neruda utilisait pour ses textes, ce qui exclut toute possibilité de falsification, a affirmé au Mercurio l'avocat Nurieldin Hermosilla qui possède déjà une vaste collection des oeuvres du poète chilien et dit avoir acquis le recueil inédit à travers un libraire.

En outre, le P de Pablo est très particulier dans les manuscrits de Neruda et "très difficile" à imiter, explique le collectionneur. Celui du recueil "correspond en tout" à la signature du poète, ajoute-t-il.

Cet album est "une preuve directe et définitive, par la plume du poète, de son amour pour Alicia", affirme encore M. Hermosilla qui dit avoir payé pour le recueil "une très grande somme", sans vouloir la préciser.

Des biographes de Neruda ont déjà signalé qu'Alicia Urrutia était la maîtresse du poète pendant les dernières années de sa vie. Selon El Mercurio, elle vit toujours et réside à Arica, ville de l'extrême nord du pays.

Le prix Nobel de littérature 1971 est mort à l'âge de 69 ans en septembre 1973, quelques jours après le coup d'Etat du général Augusto Pinochet. Ses restes reposent à Isla Negra.

L'"Album de Isla Negra" ne fait peut-être pas partie des chefs-d'oeuvre du poète mais il a une tonalité "douce, suave, et parfois tragiquement triste", note M. Hermosilla.

samedi 24 mai 2008

TOROS

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LIVRE « TOROS » 
POÈMES DE PABLO NERUDA,
TRADUIT PAR JEAN MARCENAC,
ILLUSTRÉ PAR PABLO PICASSO




I
Entre les eaux, les eaux du Nord, les eaux du Sud,
l’Espagne était sèche.
Assoiffée, dévorée, tendue comme un tambour,
sèche comme la lune était l’Espagne,
et vite, qu’on arrose avant que cela brûle.
Tout était ocre par avance,
d’un ocre vieux et piétiné,
tout par avance était de terre,
les yeux même manquaient de larme pour pleurer,
(bientôt viendra le temps des pleurs).
De toute éternité pas une goutte de temps.
Mille ans déjà, mille ans sans pluie
et la terre se fissurait
et là, dans les fissures, les morts :
chaque fissure avait sa mort
et il ne pleuvait pas,
pas plus qu’il ne pleuvait.

II

Alors ce fut le sacrifice du taureau.
D’un coup jaillit une lumière rouge
ainsi qu’un couteau d’assassin,
la lumière éparse depuis Alicante,
et qui s’acharnait à Somosierra.
Les coupoles étaient comme des géraniums.
Tous regardaient, tous attendaient.
Qu’y a-t-il donc? Demandaient-ils.
Et au milieu de la peur
entre murmure et silence
quelqu’un a dit :
« Je sais. C’est la lumière du taureau. »

III

Ils ont habillé un paysan pâle
de bleu et de feu, des cendres de l’ambre,
de langues d’argent, de nuée vermeilles,
et d’yeux d’émeraude, de queues de saphir.
L’être pâle va contre la colère.
Il avance, le pauvre habillé de riche, pour tuer,
habillé d’éclairs, pour mourir

IV

Et voilà qu’est tombé la première gouttes de sang
et qu’elle a fleuri:
la terre a reçu le sang et l’a digéré
comme une bête terrible et secrète impossible à rassasier.
Ce n’est plus l’eau qu’elle réclame,
la soif a changé de nom
et tout s’est teinté de rouge
et s’incendient les cathédrale
et scintillent les rubis dans Gongora.
Arènes d’un rouge d’œillet,
en silence et furieux s’y multiplie le rite.
Le sang court, renversé, remontant vers sa source.
Ainsi en est-il, ainsi en est-il du cérémonial :
l’homme pâle, l’ombre écrasante
de la bête et le jeu
Entre la mort et la vie sans la lumière sanglante.

V

C’est entre tous qu’on l’a élu, le massif,
la pureté bouclée de vagues de fraîcheur,
la bestiale pureté, le taureau d’herbe,
familier de l’âpre rosée
et la lune l’a désigné dans la manade.
Comme on choisit un lent cacique il fut choisi.
Le voici, montagneux, essentiel et ses yeux
sous la demi-lune des cornes aiguës
ne savent pas, ne savent pas si le nouveau silence
qui le couvre est un manteau génital de délices
ou bien ombre éternelle et bouche de la catastrophe.
Mais voici à la fin de lumière
qui s’ouvre comme une porte.
Il pénètre un éclat plus dur que la douleur,
un bruit nouveau comme des sacs de pierre que l’on traîne,
dans l’arène infinie aux yeux sacerdotaux
un condamné à mort vêtu pour la rencontre
de son propre frisson de peur et de turquoise,
Un habit d’arc-en-ciel et une pauvre épée.

VI

Une pauvre petite épée avec son habit,
une pauvre petite mort avec son homme,
en pleine arène, sous l’orange implacable
du soleil, face aux yeux qui ne regardent pas.
Dans l’arène, égaré comme qui vient de naître,
il prépare sa longue danse, sa géométrie.
Et puis comme l’ombre et comme la mer
se déchaînent les pas et la colère du taureau
(car il le sait, il n’est plus rien, sinon sa force)
et le pâle pantin se transforme en raison,
sans sa parure d’or l’intelligence cherche
comment danser, comment blesser.
Il faut qu’il la danse sa mort, le soldat de soie.
S’il y échappe on l’invitera au Palais.
Levant la coupe, il se souvient de son épée.
La nuit de peur brille à nouveau de ses étoiles.
La coupe est vide comme l’arène dans la nuit.
Et les seigneurs veulent toucher cette agonie.

VII

Lisse et la féminine comme le satin d’une amende
elle est faite de chair, faite d’or et de poil,
le corail et le miel concourent à son nu,
d’un bond l’homme et la faim vont dévorer la rose.
Oh fleur! La chair monte dans une vague,
la blancheur descend en cascades
et dans ce combat blanc le cavalier rendant les armes,
tombe à la fin couvert de chasteté fleurie.

VIII

Le cheval échappé du feu,
cheval de fumée,
il entre aux arènes, il va comme une ombre.
Comme une ombre attend le taureau,
Et le chevalier, lourd
insecte obscur,
dresse l’aiguillon sur le cheval noir
- luit la lance noire – il attaque,
saute,
il est ligoté par l’ombre et le sang.

IX

De l’ombre bestiale, suaves, sonnent les cornes.
En un rêve vide elles reviennent au pâturage amer.
Une goutte seule pénétra l’arène,
une goutte de taureau, une semence épaisse
et un autre sang, le sang du soldat pâle.
Une splendeur sans soie a traversé le crépuscule,
la nuit, le froid métallique de l’aube.
Tout était ordonné. Et tout est consumé.
D’un rouge d’incendie sont les tours de l’Espagne.

Poème de Pablo Neruda
Traduit par Jean Marcenac
 Au vent d'Arles,
Paris, 28 octobre 1960.


lundi 5 mai 2008

À MIGUEL HERNANDEZ, ASSASSINÉ DANS LES PRISONS DE D'ESPAGNE






Tu vins à moi. Tu arrivais droit du Levant.



Tu m'apportais,

ô chevrier, ton innocence pleine de rides,

la scolastique de vieilles pages, un doux relent

Fray Luis*, d'orangers en fleur, de fumier

brûlé sur les collines, et sur ton masque

la céréale aspérité de l'avoine fauchée,

un miel qui mesurait la terre avec les yeux.



Et ta bouche apportait aussi le rossignol.



Un rossignol taché d'oranges, le filet

d'un chant incorruptible, d'une force effeuillée.



Hélas ! dans la clarté on vit surgir la poudre et

l'on te vit porter rossignol et fusil sous la lune

et sous le soleil de la bataille.



Tu sais, Miguel, tout ce que j'ai pu faire, tu sais bien

que de toute la poésie tu étais pour moi le feu bleu.



Aujourd'hui contre terre je colle mon visage et j'écoute,

je t'écoute, musique, sang, rayon de ruche agonisant.



Je n'ai vu race plus éblouissante que la tienne,

ni racines plus dures, ni mains plus dures de soldat,

je n'ai rien vu de plus vivant que ton coeur quand

il brûla dans la pourpre de mon propre drapeau.



Jeune éternel, tu vis, comunero * d'antan,

inondé de germes de blé et de printemps,

plissé, obscur comme le métal né,

en attendant l'instant de lever ton armure.



Non, je ne suis pas seul depuis que tu es mort.



Je suis avec ceux qui te cherchent.



Avec ceux qui un jour arriveront pour te venger.



Tu reconnaîtras mes pas au milieu des pas qui, déferlant sur la poitrine de l'Espagne, écraseront Caïn pour qu'il nous rende les visages enterrés.



Que ceux qui t'ont tué sachent bien qu'ils le paieront avec leur sang.



Que ceux qui t'ont torturé sachent bien qu'un jour ils me verront.



Que ces maudits qui aujourd'hui incluent ton nom

dans leurs livres, les Damasos*, les Gerardos*, les fils

de chienne, silencieux complices du bourreau,

sachent bien qu'on n'effacera pas ton martyre, et

que ta mort

sur toute leur lune de lâches s'abattra.



Quant à ceux qui t'ont refusé sous leur laurier

pourri,

en terre américaine, l'espace que tu couvres

avec ta couronne fluviale d'éclair exsangue,

laisse-moi les plonger au dédain de l'oubli,

moi qu'ils ont voulu mutiler par ton absence.



Miguel, loin de la prison d'Osuna,

loin de la cruauté, Mao Tsé-toung dirige

ta poésie déchiquetée dans le combat

vers la victoire.



Et Prague qui s'affaire

construit la douce ruche que tu as chantée.



La verte Hongrie nettoie ses greniers

et danse au bord du fleuve éveillé de ses rêves.



De Varsovie monte, nue, la sirène

qui bâtit en montrant son épée cristalline.



Et au-delà, la terre se fait gigantesque,

la terre que ton chant

visita, et l'acier

qui défendit ta patrie sont bien à l'abri,

accrus grâce à la fermeté de Staline et des siens.



La lumière bientôt

abordera ton seuil.



Miguel d'Espagne, étoile

de terres dévastées, je ne t'oublie pas, non,

mon fils, je ne t'oublie pas ! Mais

la vie je l'ai apprise

avec ta mort : mes yeux se sont voilés à peine,

et au lieu du sanglot j'ai découvert en moi les

armes

inexorables !



Attends-les ! Attends-moi !

Pablo Neruda
Du Chant général, XII, Les Fleuves du Chant
Chant général, Traduction Claude Couffon
Gallimard, 2007


Notes :
* Fray Luis de León (1528-1591)* ComuneroOn entend par comunero toute personne ayant participé de façon plus ou moins active à la révolte des Communautés de Castille dans les années 1520-1521.Le mot comunero dérive du terme Comunidades (Communautés en castillan) qui apparaît pour la première fois dans une protestation écrite adressée au roi Charles Quint en raison du détournement des impôts de Castille par ce dernier.
* Dámaso Alonso (1898, Madrid-1990) est un poète espagnol de la Génération de 27.
* Gerardo Diego (1896, Santander - 8 juillet 1987, Madrid) est un poète espagnol. Il se rallia au franquisme.
MIGUEL HERNÁNDEZ À ORIHUELA 
(PROVINCE D'ALICANTE)




vendredi 18 avril 2008

MIGUEL HERNANDEZ PAR PABLO NERUDA

MIGUEL HERNANDEZ « EN ESPADRILLES ET PANTALON DE VELOURS CÔTELÉ DE PAYSAN DE SES TERRES D'ORIHUELA » DANS LA SIERRA DE ORIHUELA EN 1934. PHOTO ARCHIVE 


Je ne restai pas longtemps consul à Buenos Aires. Au début de l'année 1934, je fus nommé dans les mêmes fonctions à Barcelone. J'avais pour chef le consul général du Chili en Espagne, don Tulio Maqueira. Ce fut sans aucun doute le fonctionnaire le plus parfait du service consulaire chilien que j'aie connu. Un homme très strict et que l'on prétendait bourru, mais qui se montra à mon égard extraordinairement généreux, compréhensif et cordial.

Don Tulio Maqueira eut tôt fait de découvrir que je soustrayais et multipliais avec une grande fantaisie, et que je ne savais pas diviser (une opération que je n'ai jamais pu apprendre). Alors il me dit

- Pablo, vous devez aller vivre à Madrid. C'est là qu'est la poésie. Ici, à Barcelone, il y a ces terribles divisions et multiplications qui ne vous aiment pas. J'en ferai mon affaire.
À peine arrivé à Madrid, et devenu comme par enchantement consul du Chili dans la capitale espagnole, je connus tous les amis de Garcia Lorca et de Rafael Alberti. Ils étaient nombreux. Quelques jours plus tard, j'étais un poète de plus parmi les poètes espagnols. Ce qui ne nous empêchait pas, Espagnols et Américain, d'être différents. Cette différence, naturelle, entre nous, les uns l'affichent avec orgueil et les autres, par erreur.


Les Espagnols de ma génération étaient plus fraternels, plus solidaires et plus gais que mes compagnons d'Amérique latine. Pourtant, je pus constater en même temps que nous étions plus universels, plus au courant des langages et des cultures. Peu d'Espagnols parlaient une autre langue que la leur. Lorsque Desnos et Crevel vinrent à Madrid, je dus leur servir d'interprète pour qu'ils se comprennent avec les écrivains espagnols.

L'un des amis de Federico et de Rafael était le jeune poète Miguel Hernandez. Quand nous fîmes connaissance il arrivait en espadrilles et pantalon de velours côtelé de paysan de ses terres d'Orihuela, où il avait gardé les chèvres. Je publiai ses vers dans ma revue Cheval Vert; le scintillement et le brio de son abondante poésie m'enthousiasmaient.

Miguel Hernandez en Milicien

Miguel était si campagnard qu'il se déplaçait entouré d'un halo de terre. Il avait un visage de motte de glaise ou de pomme de terre qu'on arrache d'entre les racines et qui conserve une fraîcheur de sous-sol. Il vivait et écrivait chez moi. Ma poésie américaine, avec ses horizons nouveaux, ses plaines différentes, l'impressionna et le transforma.

Il me racontait des fables terrestres d'animaux et d'oiseaux. Cet écrivain sorti de la nature était comme une pierre intacte, avec une virginité de forêt, une force et une vitalité irrésistibles. Il m'expliquait combien il était impressionnant de coller son oreille contre le entre des chèvres endormies. On entendait ainsi le bruit du lait qui arrivait aux mamelles, la rumeur secrète que personne d'autre que lui, le poète-chevrier, n'avait pu surprendre.

D'autres fois il me parlait du chant du rossignol. Le Levant espagnol, son pays d'origine, était rempli d'orangers en fleur et de rossignols. Comme au Chili ce chahuteur sublime n'existe pas, ce fou de Miguel voulait recréer pour moi dans sa vie même l'harmonie de son c ri et son pouvoir. Il grimpait à un arbre de la rue et, du plus haut des branches, sifflait ou gazouillait comme ses chers oiseaux natals.

Il n'avait pas de ressources et je lui cherchai un emploi. Un poète avait du mal à trouver du travail en Espagne. Finalement un vicomte, haut fonctionnaire du ministère des Affaires étrangères, s'intéressa à son cas et me répondit positivement; il était d'accord, il avait lu ses vers, il l'admirait, Miguel devait lui indiquer le poste qu'il désirait et il procéderait aussitôt à sa nomination. Tout joyeux, je dis au poète :

-Miguel, tu as enfin un destin. Le vicomte te case. Tu seras cadre supérieur. Dis-moi quel travail tu veux faire pour qu'on te signe ta nomination ?

Miguel resta pensif. Son visage aux grandes rides prématurées se couvrit d'un voile de cogitation. Les heures passèrent et sa réponse ne me parvint que dans l'après-midi. 
Ses yeux brillaient comme s'il avait trouvé la solution de sa vie :

-Le vicomte ne pourrait-il pas me confier un troupeau de chèvres, ici, près de Madrid?

Le souvenir de Miguel Hernandez ne peut se détacher des racines de mon cœur. Le chant des rossignols d'Orihuela, leurs tours sonores érigées dans la nuit parmi les fleurs d'oranger, étaient pour lui une présence obsédante et constituaient une part du matériel de son sang, de sa poésie terrestre et rustique, dans laquelle se fondaient tous les excès de la couleur, du parfum et de la voix du Levant espagnol, avec l'abondance et la bonne odeur d'une jeunesse puissante et virile.

Son visage était le visage de l'Espagne. Taillé par la lumière, ridé comme un champ labouré, avec ce petit côté de franche rudesse du pain et de la terre. Ses yeux brûlants, flambant sur cette surface grillée et durcie par le vent, étaient deux éclairs de force et de tendresse.

Et je vis sortir de ses paroles les éléments mêmes de la poésie, mais modifiés alors par une nouvelle grandeur, par un éclat sauvage, par le miracle du vieux sang transformé en descendance. J'affirme que dans ma vie de poète, et de poète errant, il ne m'a jamais été donné d'observer un phénomène semblable de vocation et d'électrique savoir verbal.


MIGUEL HERNANDEZ, page 176, J'avoue que j'ai vécu



Neruda en barque








mercredi 16 avril 2008

Miguel Hernández

Miguel HERNÁNDEZ 1910-1942

Poète espagnol appartenant à la génération dite de 1936, Miguel Hernández, chevrier de son état jusqu'à l'âge d'homme, fut d'abord un autodidacte passionné de littérature et surtout de poésie. Ébloui par les formes les plus hermétiques de la poésie espagnole, et notamment par l'œuvre de Góngora, il se forgea un langage personnel à travers imitations et fréquentations, et parvint à la création métaphorique véritable, pure transposition d'une vie quotidienne violemment charnelle, où s'affrontent douleur et joie, amour et solitude, espoir et désespoir. Il combattit, les armes à la main, dans les rangs de l'armée républicaine, et sa poésie est étroitement liée à cet engagement qui le conduisit à l'emprisonnement, puis à la mort. Essentiellement attaché à la terre dont il pétrit littéralement chacune de ses images, Miguel Hernández est un poète venu du peuple qui écrit pour le seul peuple, mais avec la rigueur du grand artiste pour qui le langage est l'objet d'une quête perpétuelle.

Si je naquis de la terre, Si je suis né d'un ventre humain malheureux et pauvre, ce ne fut que pour devenir le rossignol des malheurs...

Miguel Hernández avec sa mère Concepción Gilabert Giner,
son frère Vicente de quatre ans son aîné, sa soeur cadet Incarnation.

1. Du chevrier au poète

Miguel Hernández naît le 30 octobre 1910 à Orihuela (province d'Alicante), d'une famille de pauvres chevriers. Il fréquente le collège entre neuf et treize ans et demi, puis devient berger à son tour, sans cesser pour autant de se nourrir de poésie espagnole (saint Jean de la Croix, Garcilaso, Góngora, Antonio Machado...) ou française (Verlaine, Paul Valéry...). Miguel commence à écrire des poèmes vers l'âge de seize ans. Il imite ses grands prédécesseurs (1928-1933) et participe à des cercles poétiques, notamment avec les frères Sijé, jeunes catholiques épris de littérature moderne et soucieux de lutter contre le conformisme et l'étouffement de la vie provinciale. Miguel découvre l'œuvre de Rafael Alberti et celle de Federico García Lorca. Il chante essentiellement les paysages de son terroir dans un langage fortement teinté de gongorisme.

Le poète Miguel Hernández à 14 ans

Poussé par le désir de devenir poète à part entière, Miguel Hernández gagne Madrid (1931). Il y a froid et faim et rentre déçu à Orihuela. Il compose alors son premier recueil, qui paraît à Murcie en 1933 : Expert en lunes (Perito en lunas). La critique se montre sévère pour ce livre écrit en hendécasyllabes, où transparaît, à travers le néo-gongorisme des métaphores savantes et subtiles, l'originalité d'un lyrique en quête d'une écriture plus brève, plus synthétique, qui ne sacrifierait en rien l'épaisseur du vécu quotidien.


En 1934, Miguel publie dans Cruz y Ruya une pièce de théâtre : Qui t'a vu et qui te voit et ombre de ce que tu es (Quien te ha visto y quien te ve y sombra de lo que eres). Cet auto-sacramental, empreint de la marque de Calderón, évoque la perte de la grâce par l'homme puis la rédemption par l'Eucharistie. Le poète a su donner relief aux paysages et prêter chair aux allégories. L'écriture dramatique entraîne un approfondissement de la quête intérieure du Moi. Après cette œuvre, Miguel Hernández s'éloigne de la foi et abandonne le contenu théologique de ses symboles, cela malgré sa participation à la revue de Ramón Sijé, El Gallo crisis (1934-1935).

Le poète Miguel Hernández et sa femme Josefina Manresa

2. Madrid. «Éclair qui n'a de cesse»

C'est en 1933 que Miguel rencontre le grand amour de sa vie, Josefina Manresa, couturière, fille d'un garde civil. En mars 1934 il retourne à Madrid où il travaille à l'encyclopédie taurine de José María de Cossío. Il devient l'ami de Pablo Neruda et de García Lorca, et de plusieurs autres écrivains célèbres. Le séjour madrilène, décisif sur le plan poétique, est marqué de déchirements et de remises en question. À la suite de difficultés financières, Miguel rentre à Orihuela. En février 1936 paraît Éclair qui n'a de cesse (El Rayo que no cesa). Ce recueil, qui est le fruit d'une longue gestation, chante un amour sensuel et douloureux, à travers des images somptueuses, qui, partant de l'éclair initial, abordent tous les aspects de la matière. L'élégance, le raffinement des sonnets n'entravent point la sourde et violente tension lyrique :

Comme le taureau je suis né pour le deuil et la douleur, comme le taureau je suis marqué par un feu infernal au côté, et comme mâle à l'aine par un fruit. (XXXIII)

Le poète se définit comme terre,

Je m'appelle Miguel mais je m'appelle argile. Argile est ma profession et ma destinée qui de sa langue tache tout ce qu'elle lèche... (XV)

ultime image de l'amour auquel il se voue totalement.

Le poète Miguel Hernández au Front

3. La guerre

Dès 1936 Miguel Hernández s'engage comme volontaire dans l'armée républicaine. Il épouse civilement Josefina Manresa, et voyage en U.R.S.S. (1937). Un livre naît de la guerre : Vent du peuple (Viento del pueblo, 1937), qui exprime les rêves et les espoirs du poète soldat, au nom d'un peuple qui a refusé l'asservissement,

Jamais les bœufs n'ont fait souche dans les plaines d'Espagne...

mais qui est décimé par la lutte fratricide,

Sang, sang sur les arbres et les pavés, sang sur les eaux, sang sur les murs et crainte que l'Espagne s'écroule sous le poids du sang qui suinte en ses trames jusqu'à mouiller le pain qui se mange.

Miguel écrit plusieurs œuvres pour le théâtre, entre autres Le Laboureur de plus grand air (El Labrador de más aire, 1937). Son premier fils meurt en 1937. Dans L'Homme aux aguets (El Hombre acecha, 1939), qu'il dédie à Neruda, il s'identifie à tous les amputés, à toutes les victimes, puis il interpelle les poètes, proclamant son indéfectible espoir en une fonction militante de la poésie.

Un homme attend au fond d'un puits irrémédiable, tendu, troublé, l'oreille au guet. Un peuple a crié liberté ! le ciel s'envole. Et les prisons s'envolent.

4. L'emprisonnement : 1939

En route vers le Portugal, Miguel Hernández est arrêté par la police de ce pays et remis entre les mains de la garde civile espagnole. Libéré à la suite de plusieurs interventions, il se rend à Orihuela, mais il est de nouveau arrêté, puis transféré à Madrid. Condamné à mort à l'issue d'un procès sommaire (1940), il voit sa peine commuée en trente années d'emprisonnement. Entre 1938 et 1940 il écrit Cancionero et romancero d'absences (Cancionero y romancero de ausencias, 1958), où il dit la douleur de la solitude, dans de brefs poèmes en vers courts, avec fort peu d'images et d'adjectifs, suivant des rythmes populaires qui créent une grande tension dramatique.

Que veut-il donc encor le vent chaque fois, oui, plus irrité ? Nous séparer.

Miguel Hernández est transféré de Palencia à Ocaña puis à Alicante. Les conditions déplorables de l'internement ont raison de sa santé. Le poète meurt de tuberculose pulmonaire le 28 mars 1942. Parmi les poèmes écrits en prison se trouvent la fameuse Berceuse de l'oignon (Nanas de la cebolla, 1939) écrite pour son deuxième fils, né en 1939,

L'oignon est un givre dur et pauvre. Givre de tes jours et de mes nuits. Faim et oignon froid noir et givre immense et rond...

et la Casida de l'assoiffé (Casida del sediento, mai 1941) :

Je suis le sable du désert : désert de soif. Ta bouche est l'oasis où je ne dois pas boire. [...] Corps : ô puits interdit à celui que la soif et le soleil ont calciné.

Poète singulier de par sa formation face à une génération nourrie dès l'enfance de la plus haute culture, Miguel Hernández traduit dans un langage universel les événements d'un destin personnel ; il communique aux métaphores les plus audacieuses la saveur immédiate des choses quotidiennes. Explorant les mêmes mots, pain, vent, terre, prison, il redécouvre et réinvente d'autres sens, selon une démarche ascétique qui le conduit à la nudité et à la transparence :

Seulement l'ombre. Sans astre. Sans ciel. Êtres. Volumes. Corps qu'on peut toucher à l'intérieur de l'air qui ne peut s'envoler dans l'intérieur de l'arbre aux choses impossibles.

Marie-Claire ZIMMERMANN

Œuvres de Miguel Hernández

Obras completas, Losada, Buenos Aires, 1960 ; L'Enfant laboureur (El Rayo que no cesa, 1934-1935 ; Viento del pueblo, 1937), trad. A. Gascar, Seghers, 1952 ; «Anthologie poétique», trad. C. Couffon, R. Marrast et F. Martorell, in Europe, sept.-oct. 1962 ; Cet éclair qui ne cesse pas, trad. S. et C. Pradal, Brocéliande, Paris, 1989.

Études

V. ALEIXANDRE, «Evocación de Miguel Hernández», in Los Encuentros, Guadarrama, Madrid, 1958

J. CANO BALLESTA, La Poesía de Miguel Hernández, Gredos, Madrid, 1962

M. CHEVALLIER, L'Homme, ses œuvres et son destin dans la poésie de Miguel Hernández, Éditions hispaniques, Paris, 1974

C. COUFFON, Orihuela et Miguel Hernández, Centre de recherches de l'Institut d'études hispaniques, Paris, 1963

J. L. GUEREÑA, Miguel Hernández, coll. Poètes d'aujourd'hui, Seghers, 1964

«Miguel Hernández», no spéc. Europe, sept.-oct. 1962

D. PUCCINI, Miguel Hernández, Vita e poesia, V. Mursia, Milan, 1966 ; trad. esp. A. Dabini, Vida y poesía, Losada, Buenos Aires, 1970

E. ROMERO, Miguel Hernández, Destino y poesía, Losada, Buenos Aires, 1958

S. SALAÜN, «Miguel Hernández. Pages retrouvées : cinq poèmes, une lettre et une chronique» in Mélanges de la Casa de Velázquez, t. VII, pp. 347-376, Paris, 1971

G. SOBEJANO, «Un análisis estilístico de la poesía de Miguel Hernández», in Revista hispánica moderna, t. XXIX, no 3-4, New York, juill.-oct. 1963

A. SOREL, Miguel Hernández, escritor y poeta de la revolución, coll. Lee y discute, no 68, ZYX, Madrid, 1977

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