Citation de Pablo Neruda

lundi 21 octobre 2013

LE PRIX NOBEL EN 1971

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PABLO NERUDA REÇOIT LE PRIX NOBEL DE LITTERATURE 1971 DES MAINS DU ROI DE SUEDE  

Finalement, comme on le sait, on m'attribua le Prix Nobel. En 1971, je venais d'arriver à Paris comme ambassadeur du Chili, quand on vit mon nom à nouveau cité dans les journaux. Mathilde et moi fronçâmes les sourcils. Habitués à la déception annuelle, nos peaux s'étaient durcies à la nouvelle. Un soir d'octobre, Jorge Edwards, écrivain et conseiller de notre ambassade, entra dans la salle à manger. Avec la parcimonie qui le caractérise, il me proposa un pari très simple. Si on me décernait cette année le Prix, je l'inviterais lui et sa femme dans le meilleur restaurant de Paris. Dans le cas contraire, il paierait mon repas et celui de Mathilde. 

- D'accord! lui dis-je. Nous allons manger merveilleusement et à tes frais! 

Une partie du secret de Jorge Edwards et de son hasardeux pari s'éclaircit le lendemain. J'appris qu'une de ses amies, journaliste et écrivain, lui avait téléphoné de Stockholm pour lui dire que Pablo Neruda avait cette fois toutes les chances d'obtenir le Prix Nobel. 

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PABLO NERUDA AVEC LES LAUREATS DU PRIX NOBEL 12 DECEMBRE 1971 A STOCKHOLM PHOTO BETTMANN-CORBIS

Les journalistes commencèrent à m'appeler de très loin, de Buenos Aires, de Mexico, et surtout d'Espagne. 

En Espagne, c'était un fait acquis. Naturellement, je me refusai à toute déclaration, mais mes doutes réapparurent. 

Ce soir-là, Arthur Lundkvist, le seul ami écrivain que j'eusse en Suède, vint me rendre visite. Lundkvist était académicien depuis trois ou quatre ans. Il arrivait de Son pays et se rendait dans le midi de la France. Au café, je lui fis part de mes difficultés pour répondre aux journalistes qui, sur des téléphones internationaux, m'interrogeaient à propos du prix qu'ils m'attribuaient sans plus attendre.

 - Je voudrais te demander une chose, Arthur, lui dis-je. Si c'est la vérité, j'aimerais beaucoup le savoir avant la presse. Je voudrais l'annoncer en priorité à Salvador Allende, avec qui j'ai tant lutté. Il sera très heureux d'être le premier à recevoir la nouvelle. 


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PABLO NERUDA ET SON PRIX NOBEL DE LITTERATURE 1971

Les yeux suédois du poète académicien Lundkvist me regardèrent gravement, très gravement: 

- Je ne peux rien te dire. S'il y a du nouveau, le roi de Suède ou notre ambassadeur à Paris te le communiqueront par un télégramme. 

Ceci se passait le 19 ou le 20 octobre. Le 21, au matin, les salons de l'ambassade commencèrent à se remplir de journalistes. Les opérateurs des télévisions suédoises, allemandes, françaises et latino-américaines montraient une impatience qui menaçait de se transformer en émeute devant mon mutisme, dû simplement au manque d'information. À onze heures et demie, l'ambassadeur de Suède m'appela pour me demander de le recevoir, sans autres précisions, ce qui ne contribua pas à calmer les esprits, puisque notre entrevue devait avoir lieu deux heures plus tard. Les téléphones, eux, continuaient de sonner hystériquement. 

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PABLO NERUDA REÇOIT LE PRIX NOBEL DE LITTERATURE 1971 DES MAINS DU ROI DE SUEDE  

Au même instant, une radio de Paris lança un flash, une nouvelle de dernière minute annonçant que le Prix Nobel 1971 venait d'être décerné « au poète chilien Pablo Neruda ». Je descendis aussitôt affronter la tumultueuse assemblée des organismes d'information. 

Heureusement, je vis apparaître alors mes vieux amis Jean Marcenac et Aragon. Marcenac, grand poète et qui est comme mon frère en France, poussait des cris de joie. Aragon, de son côté, paraissait plus heureux que moi de la nouvelle. Tous deux m'aidèrent dans cette difficile corrida avec les journalistes. 

Je venais d'être opéré, j'étais encore très faible et marchais avec peine, j'avais assez peu envie de me mouvoir.

Extrait de J'avoue que j'ai vécu de Pablo Neruda. Traduit par Claude Couffon. Éditions Gallimard, collection "Folio" pages 451 et 452