Citation de Pablo Neruda

vendredi 17 août 2018

« LORCA EST LE DISPARU LE PLUS REGRETTÉ DU MONDE »

Publié le 16 Août 2018. « Lorca es el desaparecido más llorado del mundo  » ,(Lorca est le disparu le plus regretté du monde »
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« TÊTES COUPÉES DE FEDERCO GARCÍA LORCA
ET PABLO NERUDA », BUENOS AIRES 1934

 DESSIN DE FEDERICO GARCÍA LORCA 

Ian Gibson né le 21 avril 1939 à Dublin, est un auteur et hispaniste irlandais, connu pour ses biographies d'Antonio Machado, Salvador Dalí, Henry Spencer Ashbee, et surtout pour ses livres sur Federico García Lorca, pour lesquels il a reçu plusieurs prix comme le Prix James Tait Black Memorial en 1989. Son livre La represión nacionalista de Granada en 1936 y la muerte de Federico García Lorca (La répression nationaliste de Grenade en 1936 et la mort de Federico García Lorca) fut censuré en Espagne sous Franco.

ENTRETIEN

IAN GIBSON AUTEUR ET 
HISPANISTE IRLANDAIS
PHOTO EMILIA GUTIÉRREZ

Il y a 82 ans aujourd'hui, Lorca était arrêté.
À cinq heures de l'après-midi.

Où ?
Au centre de Grenade, dans la maison des Rosales, où il fut abrité, protégé des agressions.

Quelles agressions?
Des matons avaient pénétré par effraction dans la maison familiale des García Lorca, la Huerta de San Vicente, et l'ont maltraité ...

Qui étaient les voyous?
Des escouades qui, chaque jour, assassinaient des dizaines de Grenadiens soupçonnés d’être républicains, sous la protection du gouverneur putschiste José Valdés depuis le 20 juillet.

Pourquoi Lorca n'a-t-il pas fui Grenade ?
Il craignait que s'il fuyait ils attaqueraient son père. La famille Rosales était des amis, et c'est là-bas qu'il s'est réfugié.

Pourquoi a-t-il cru que c'était un lieu sûr ?
Le père de famille Rosales était quelqu'un de très respecté. Et ses enfants étaient des phalangistes éminents, et faisaient partie des vainqueurs du coup d’état. L'un d'entre eux était Luis, âgé de 26 ans, poète, disciple et ami de Federico.

Et qui a osé aller l'arrêter dans cette maison ?
C’est Raymond Ruiz Alonso, un ex député ambitieux cediste : il détestait les Rosales pour l’avoir empêché de rejoindre la Phalange. Il a dénoncé Lorca en le faisant passer pour un espion russe !

Calomnie !
La mère Rosales lui a tenu tête et a appelé l'un de ses fils, Miguel, qui a accompagné Lorca.

Et on n'en a jamais plus entendu parler
José et Luis Rosales sont allés le secourir au gouvernement civil. Il y eût une forte altercation, mais Valdés n'était pas là, et ils n'ont pas libéré Lorca.

Où était Lorca ?
Il a passé la nuit sur place. Le lendemain, José est revenu le chercher, et Valdés lui a dit : « Ils l'ont emmené ». Il a menti, Lorca était là !

Comment le savez-vous ?
Angelina, la bonne des García Lorca, a porté ce matin un panier de nourriture et a pu le voir : elle me l'a raconté en 1966 et elle ne me mentait pas !

N'y avait il pas une manière de sauver Lorca ?
Manuel de Falla est allé le chercher, et Valdés l'a mis dehors. Et ils ont failli fusiller Luis Rosales pour avoir protégé un rouge ! Le père a payé une grosse somme et l'a libéré.

Et si le père de Lorca avait payé?
Ils le voulaient mort ! Pour avoir été le protégé du socialiste Fernando de los Ríos. Pour des vers contre la Garde Civile. Pour avoir fait du théâtre pour les pauvres. Parce qu’il était homo  ! Et pour avoir dit que « à Grenade, s'agite la pire bourgeoisie d'Espagne »

Et c'était vrai!
Certaines familles bourgeoises de la Vega enviaient la famille García Lorca, libérale et couronnée de succès.

Quand et comment fut le crime? 
À l'aube du 17 au 18 août, sur la route de Víznar à Alfacar. Et ils l'ont torturé.

C'est une hypothèse ...
Je sais qu'ils voulaient le voir souffrir. Le Cediste Trescastro s'est vanté dans un bar : « Le poète à la grosse tête, je viens de lui mettre deux coups dans le cul à ce pédé ». Et c’est là qu’ils l’ont enterré.

Est-ce que Lorca avait peur de ce qui allait lui arriver?
Lorca avait tout compris.

Comment pouvez-vous le savoir?
« Allez-vous beaucoup pleurer s'ils me tuent ? » demandait-il quelques jours avant aux bonnes à la Huerta... Il était obsédé par sa mort. Jeune, déjà il faisait semblant d'être mort : ça effrayait Dalí ! 

Dalí a dit "olé!" après avoir su sa mort.
Ce fut son élégie à son ami. Il reconnaissait dans cette mort la dimension poétique, comme Lorca l'avait exprimé dans son élégie à la mort dans l’Arène du torero Ignacio Sánchez Mejías.

Dalí n’était pas en train de se réjouir.
Non! Pour Dalí, Lorca a été le meilleur ami qu’il avait eu dans sa vie! J'ai rendu visite à Dalí déjà intubé, et j’ai juste entendu « Lorca » ... et il a pleuré!

Où sont les ossements de Lorca ?
En 1966 c'est Manuel Castillo Blanco le Communiste, son fossoyeur qui me l'a révélé : « Près de cet olivier ».

Pensez-vous qu'ils y sont toujours?
Durant les travaux du parc García Lorca, en 1986, des ossements sont sortis. Et, sans rien dire, ils les ont mis dans un sac et ils ont été réenterrés dans un autre coin du parc!  

Où ?
Sous le creux du goudron de cette énorme fontaine qu’ils ont faite là. Le géoradar de l'expert Luis Avial a révélé où ils sont!

Cela ne coûterait rien de les déterrer 
Certains d’entre nous en avons fait la demande: nous attendons la permission de la Junta de Andalucía.

Qui a fait taire ce transfert des ossements de Lorca?
La Députation de Grenade, du PSOE, a voulu inaugurer rapidement le parc García Lorca, et mettre ce sujet sur la table…aurait reporté l'inauguration.

Quel désastre, les politiciens. 
Antonio Ernesto Molina Linares l’a avoué alors qu'il était encore deuxième vice-président de la Députation.

Et pourquoi la famille du poète s'oppose-t-elle toujours à l'exhumation de Lorca ?
Personne ne comprend. Je crois qu'il y a eu en 1953 un accord avec Franco : ne rien remuer et ne pas critiquer publiquement le régime ... en échange de pouvoir éditer les œuvres Lorca en Espagne, vivre ici et toucher des droits d'auteur.

Quelles explications donnait Franco au sujet de la mort de Federico García Lorca?
Que ce fut un accident fortuit de la guerre.

Et maintenant, nous allons déterrer Franco ...
Le plus grand assassin espagnol de tous les temps, il n’est pas mort au combat : hors de ce mausolée, maintenant ! Quelle honte pour l'Espagne : Lorca est le disparu le plus célèbre au monde! Le plus aimé et pleuré de tous les disparus ... Quelle honte pour l'Espagne !

vendredi 3 août 2018

EN 1939, UN « BATEAU DE L’ESPOIR » PARTI DE PAUILLAC A MIS À L’ABRI 2500 MIGRANTS ESPAGNOLS


Le 4 août 1939, le poète Pablo Neruda a organisé depuis le port de Pauillac l’évacuation par bateau de 2500 réfugiés espagnols vers le Chili. Cet épisode méconnu de l’histoire française revêt un caractère particulier avec l’actualité des migrants, de l’asile, et de l’immigration.
PABLO NERUDA REND VISITE AUX ESPAGNOLS RÉPUBLICAINS
RÉFUGIÉS À BORD  DU WINNIPEG, BORDEAUX 1939 

PHOTO IONE ROBINSON
C’est un anniversaire quelconque, même pas  rond. Mais par les temps qui courent, l’histoire de ce bateau parti de Gironde il y a 79 ans avec des migrants espagnols à bord, qui seront accueillis en héros à leur port d’arrivée, fait écho avec une cruelle actualité. La loi sur l’asile et l’immigration est définitivement adoptée à l’Assemblée depuis ce 1er août et 108 migrants viennent d’être ramenés par un bateau commercial italien jusqu’en Libye alors qu’il était censé les secourir, sans revenir sur les mésaventures de l’Aquarius, bateau de SOS Méditerranée.

Nous sommes en 1939, la guerre civile espagnole vient de prendre fin. Une dictature s’installe au pouvoir jetant sur les routes de l’exil vers la France près de 400 000 républicains. Accueillis dans des camps d’internement et dans l’impossibilité de retourner en Espagne, 2500 d’entre eux trouvent leur salut grâce à un bateau qui les conduira en Chili : Le Winnipeg, affrété par le poète chilien Pablo Neruda, Ricardo Eliécer Neftalí Reyes Basoalto de son vrai nom.

Le Winnipeg

En 1935, Pablo Neruda est consul en Espagne où il entretient des relations amicales avec Federico García Lorca, poète et dramaturge espagnol. Après le putsch de Franco du 18 juillet 1936, l’assassinat de García Lorca bouleverse son ami Neruda qui choisit le camp de la République espagnole. Il est révoqué comme consul et quitte Madrid pour Paris.

La France, tout comme l’Europe, est alors à la veille d’une deuxième guerre mondiale. L’Amérique latine devient une terre d’espoir et d’exil. Pablo Neruda œuvre pour convaincre le président du Chili, Pedro Aguirre Cerda, d’accueillir des républicains espagnols. Il est nommé consul spécial pour l’immigration espagnole à Paris et est chargé d’organiser l’expédition.

Dans la capitale française, Pablo Neruda organise des entretiens pour effectuer une sélection parmi les réfugiés en vue d’un voyage pour Valparaison à bord du Winnipeg.

Appartenant à France navigation, une compagnie créée par le Parti communiste français, Le Winnipeg est un ancien cargo français de 9 000 tonnes. Habituellement utilisé pour transporter de la marchandise et une centaine de passagers entre le port de Marseille et l’Afrique du Nord, il est réaménagé pour recevoir plus de 2500 personnes : les cales accueillent des matelas pour faire dormir les réfugiés et une cale sert de cantine. Le bateau est fin prêt début août 1939.

« Interdiction de rester en France »

La sélection est annoncée dans les journaux français. Le Point relate l’histoire de Victor Pey qui a « traversé les Pyrénées avec une boussole, en hiver ». Arrivé à Paris, le réfugié espagnol se rend au consulat chilien pour un entretien avec Pablo Neruda qui « n’a pas été très chaleureux » : « Mais au bout de dix jours j’ai reçu un avis nous demandant d’embarquer immédiatement sur le Winnipeg, à Trompeloup. »

Le témoignage de Mercedes Corbato est également recueilli. Elle parle d’une interdiction de vivre en France et d’une « peur d’être déportés ». Elle fera elle aussi partie du voyage.

Sur la page Wikipedia du navire, un contributeur rapporte que le poète chilien privilégie les communistes staliniens et empêche les troskistes et les anarchistes d’embarquer. Il cite l’historien allemand David Schidlowsky : « 86% des demandes des réfugiés anarchistes furent refusées » et « les anarchistes qui arrivent finalement au Chili représentent 0,9 % de l’ensemble ».

Sur la page Wikipedia du poète, on peut lire que Pablo Neruda se « verra reprocher d’avoir délivré un visa chilien à David Alfaro Siqueiros, organisateur de la première tentative d’assassinat de Trotsky du 24 mai 1940 ».

« Accueillis en héros »

Sur le site de Radio France international (RFI), Julio Galvez, auteur d’un livre sur le Winnipeg, est repris pour souligner les différences idéologiques qui ont opposé certains passagers :

« Quand on perd une guerre, il faut toujours chercher des coupables. Et dans ce bateau, où il y avait des représentants des différentes tendances politiques qui avaient participé à la guerre civile, on cherchait aussi des coupables. Les anarchistes blâmaient les communistes, les socialistes blâmaient les deux autres… Donc la traversée a été compliquée. Mais tout cela a changé en arrivant au Chili, où l’accueil a été spectaculaire. Les républicains espagnols n’en croyaient pas leurs yeux. Ils ne comprenaient pas pourquoi ils ont été accueillis en héros, alors qu’ils avaient perdu la guerre. C’est à ce moment-là que leur perception sur l’exil a changé. »

« Nous sommes arrivés à la tombée de la nuit au port de Valparaiso » et « la première chose que l’on a vue, c’était très joli, les collines de Valparaiso toutes illuminées », raconte Victor Pey. Le jour suivant, la plupart des voyageurs se rend en train à la capitale, Santiago, où « une foule de gens nous a reçus avec beaucoup de tendresse ».

« La droite chilienne s’opposait fermement à l’arrivée des républicains espagnols, explique Julio Galvez. Elle affirmait que si des ouvriers d’autres pays arrivaient, ils allaient piquer le travail des Chiliens. Mais après l’arrivée, il a été évident que cette accusation était infondée, que les républicains s’intégraient parfaitement au Chili, et qu’ils apportaient une contribution extraordinaire. »

Le président chilien avait expressément demandé à Pablo Neruda « des milliers de républicains en tenant compte des nécessités de l’industrie chilienne ». Cependant, RFI rappelle la présence sur le bateau de la famille de la peintre Roser Bru qui avait 16 ans à l’époque.

Une opération humanitaire oubliée

Le voyage dure exactement 30 jours et le Winnipeg touche terre le 3 septembre 1939. Il reviendra en Europe et continuera à naviguer jusqu’en 1942, avant d’être détruit par un sous-marin allemand alors qu’il traversait l’Atlantique de Liverpool au Canada.

La petite fille de Roser Bru, qui fait partie des 20 000 descendants des passagers de ce bateau, parle d’un « bateau de l’espoir ». Même si, après le coup d’Etat d’Augusto Pinochet en septembre 1973, plusieurs réfugiés espagnols pro Salvador Allende, ont dû fuir à nouveau. Elle rappelle l’importance de Neruda qui « a eu l’intelligence de mélanger non seulement des professionnels techniciens qualifiés, mais aussi des intellectuels. C’est un bateau extrêmement symbolique, […] il ramène aussi au Chili un groupe de personne qui va faire beaucoup de bien au développement culturel, industriel, politique et social au Chili. »

Pour ces raisons, l’histoire du Winnipeg est célébrée en Amérique latine, alors qu’elle est très peu connue et reconnue en Europe, en France, voire à Pauillac où, à l’occasion d’une discrète cérémonie en 2017 (la seule et la première) hommage a été rendu à cette unique opération humanitaire.

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CONÇU PAR  MAURICIO AMSTER