Citation de Pablo Neruda

jeudi 23 février 2023

ERNEST PIGNON-ERNEST : PAS DE MOTS DEVANT L'INTOLÉRABLE


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CHILI RÉSISTANCE 1977
ERNEST PIGNON-ERNEST 
Le plasticien Ernest Pignon-Ernest s'est rendu au Chili au début des années quatre-vingt. Repère : la figure de Pablo Neruda, le poète mort du fascisme. Il explique à l'Humanité sa colère devant l'incroyable décision des autorités britanniques et évoque son travail sur place avec les artistes chiliens, menacés par Pinochet et ses sbires.

Quelle est votre réaction devant l'attitude du gouvernement britannique?
PABLO NERUDA,
ERNEST PIGNON-ERNEST 1981
L'intolérable se mesure par rapport à nos propres repères. Regardez tout ce qui s'est passé avec Papon, qui était, si l'on peut dire, un " petit " dans le processus mis en place par les nazis. C'est un peu comme si on disait que Hitler où Pétain pouvaient être libérés. Il y a des responsabilités. Lorsque l'on pense à l'émotion qui a saisi - à juste titre - l'opinion française lors de l'affaire Papon, on se dit que c'est intolérable et insupportable. On se demande quelles sont les pressions qui ont pu être exercées.

Je songe à mon séjour au Chili, au début des années quatre-vingt, alors que Pinochet était en place : c'était la terreur, la crainte, la peur permanente. Et puis, aussi, ce désespoir permanent des gens qui avaient des proches ou des amis disparus. C'est insupportable. Je ne trouve pas les mots pour dire combien je trouve cela scandaleux.

Ne pensez-vous pas que le gouvernement français devrait réagir ?

Oui. Le gouvernement devrait réagir. Il y a aussi des Français qui sont morts ou qui ont disparu au Chili. De toute manière, ça dépasse les questions de frontières. On parle à tout le temps du droit d'ingérence, on y est !

Vous étiez au Chili au début des années quatre-vingt. Comment s'est passée votre intervention là-bas ?

J'y suis allé à la demande d'amis chiliens, en exil en France. Ils avaient le sentiment, en appelant leurs camarades au Chili qu'il y avait un grand désarroi. Tout était désorganisé, les collectifs ne fonctionnaient plus. Ceux qui étaient sur place se sentaient perdus, isolés. Jose Balmes m'a alors suggéré de me rendre dans le pays et de prendre contact avec un certain nombre d'artistes qui s'étaient séparés parce que le fascisme crée une suspicion terrible. On pense aux pièces de Brecht. Les gens avaient peur les uns des autres. J'ai alors esquissé l'idée de réaliser, collectivement, une image, celle de l'image du Chili à ce moment-là. Il n'y avait pas de graffitis dans les rues, pas plus que d'affiches. Le dénominateur commun, c'était une évidence, était Neruda, qui incarnait le Chili. J'ai alors travaillé sur une image du poète. C'était de la sérigraphie et on a ainsi pu réunir des gens et impulser une dynamique assez extraordinaire. Près de cinquante artistes sont passés dans l'atelier mais il y avait tout de même des méfiances. Brunioli me disait toujours : " c'est évident qu'il y a un flic dans le groupe ", mais on n'arrivait jamais à savoir qui c'était. Il y avait tout le temps cette pression, cette peur permanente, quand on sortait. C'est ce que j'ai senti de plus terrible.

On a don fait cette image de Pablo Neruda. L'idée était de le faire comme un drapeau, une incarnation du Chili. On l'a représenté avec un poncho, l'habit populaire, qui permettait de faire une grande surface sur le corps de Neruda. Chacun intervenait alors sur ce poncho : des paysages du Chili, des manifestations, des poèmes. Il incarnait vraiment la résistance, le pays en lutte. À travers l'image que j'avais réalisée, il y avait une rencontre. On en a imprimé près de 500, envoyées à tous les groupes d'artistes, aux quatre coins du Chili.

Vous avez montré ce dessin à la veuve de Neruda ?

J'ai montré le dessin à Matilde. Une beauté grave, un peu comme Irène Papas. Je vais dans leur maison, chargée d'histoire, pillée au moment du coup d'État. Je déroule dessin sur une grande table. Elle reste silencieuse et me dit : " Pablo n'était jamais comme ça ". J'étais gêné. Elle se tait et ajoute : " Mais, vous avez raison. Maintenant il serait comme ça, grave et résolu. Avant il riait toujours. Même quand il a été expulsé de France, nous sommes montés dans le bateau à Cannes et il a offert du champagne pour tout le monde. Dans tout il voyait ce qu'il y avait de positif."

Entretien réalisé par


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ANNIVERSAIRE DE LA NAISSANCE
D'ERNEST PIGNON-ERNEST
1942 - 23 février - 2023



mercredi 22 février 2023

RAÚL ZURITA ESCRIBE SOBRE «UN MILAGRO» LLAMADO PABLO NERUDA

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EL POETA CHILENO, RAÚL ZURITA, EN 2018. FOTO AGENCE OPALE / ALAMY

Raúl Zurita escribe sobre «un milagro» llamado Pablo Neruda / El autor chileno, uno de los más influentes de la poesía viva en español, celebra en un nuevo prólogo la maestría de su compatriota y premio Nobel en ‘Residencia en la tierra’

Son imágenes, alas soledades. Neruda: el último cabo de las palabras

Entre plumas que asustan, entre noches,

entre magnolias, entre telegramas,

entre el viento del Sur y el Oeste marino,

vienes volando.

(Alberto Rojas Giménez viene volando)

Es uno de los más prodigiosos poemas jamás escritos y el solo hecho de que él y el libro que lo contiene existan es un milagro. Más atrás, está la alucinante visión de un comienzo:

Como cenizas, como mares poblándose,

en la sumergida lentitud, en lo informe,

o como se oyen desde el alto de los caminos

cruzar las campanadas en cruz...


RAÚL ZURITA

PORTADA DE
 «RESIDENCIA EN LA TIERRA»

Es el inicio de “Galope muerto”, el primer poema de Residencia en la tierra, y el efecto es inmediato: alcanzamos a vislumbrar las trazas de un nuevo génesis: el tono, la textura de la imagen, su blancor, su inmensidad, y nuestra experiencia es nuevamente la de estar frente a un monumento imposible: nada de Residencia en la tierra estaba predicho. A diferencia de Borges, por ejemplo, cuya obra, superlativa sin duda, está de una u otra forma contenida dentro del horizonte especulativo de un mundo que ha creado la teoría de la relatividad y las geometrías multidimensionales, por lo que no es inverosímil deducir, borgeanamente, que si este no hubiese escrito “Las ruinas circulares” o “El Aleph”, alguien, otro Borges, lo habría hecho; nada, absolutamente nada había en una cultura ni en una historia ni en una lengua que hiciese presagiar que ese conjunto de poemas que van desde “Galope muerto” hasta “Josie Bliss”, que cierra el segundo volumen de Residencia, pudiera ser escrito, pero fue escrito. Es decir, fue escrita la letanía inmortal de Alberto Rojas, fue escrito como un naufragio hacia adentro nos morimos, de “Solo la muerte”, fue escrita el agua de origen y cenizas de “Walking around”. Fue escrita la luminosidad instantánea de un nuevo nacimiento junto a la oscuridad informe e incancelable de una nueva muerte.

Como se sabe, los poemas de las dos Residencias fueron compuestos entre 1925 y 1935, y fundamentalmente mientras Neruda se desempeñaba como cónsul en el oriente, en Rangoon primero, luego en Colombo y en Batavia, la actual Yakarta, período que todos sus estudiosos coinciden en señalar como clave para su obra y su vida. La afirmación es indiscutible y al mismo tiempo vacía; las circunstancias biográficas informan de un punto blanco de la escritura, pero no dan cuenta de su sombra, esa rectificación central de los datos que ejecuta el arte sobre la vida y que es exactamente lo que llamamos Rimbaud, Whitman, Borges, Neruda. Pero incluso más allá de ello, hay algo que sucede específicamente con la poesía, algo que no ha sido aún formulado y que la hace profundamente refractaria al vicio de las interpretaciones. Paralelos al mundo, los grandes poemas representan el último límite del lenguaje, no hay nada más allá, y por ende son en sí la interpretación final, el último cabo de las palabras.

« No es inverosímil deducir, borgeanamente, que si Borges no hubiese escrito “Las ruinas circulares” o “El Aleph”, alguien, otro Borges, lo habría hecho; nada, absolutamente nada había que hiciese presagiar que ese conjunto de poemas que van desde “Galope muerto” hasta “Josie Bliss” pudiera ser escrito »

No hay otro diálogo con la poesía que no sea el de la emoción y la inferencia (pero esa emoción y esa inferencia han levantado naciones, han creado pueblos, han anunciado los interminables Apocalipsis). Podemos imaginar entonces los paisajes y los escenarios de las Residencias; esas cenizas, esos mares poblándose y frente a ellos a un ser aún sin nombre que en un instante, al ver las rompientes barrer una y otra vez la playa desierta, comprende de golpe que ellas continuarán estando allí, levantándose y cayendo interminablemente, pero que hay un amanecer en que él ya no las verá y hace el más trascendental de los descubrimientos, aquel que está inserto en cada partícula de lo que somos (en estos dedos que teclean dificultosamente, en las canciones que pongo en la madrugada para evitar la angustia, en mi escepticismo, en tu sed María): descubre la muerte, e inmediatamente después descubre el lenguaje, que es, antes que nada, el conjuro que los seres humanos lanzan frente al hecho absoluto, incomprensible, aterrorizante, de que debemos morir. El primero de esos conjuros es lo que llamamos el poema.

Es el hecho poético central y la aparente extrañeza de la geografía nerudiana, sus catres que flotan, sus tiendas de ortopedias, son los conjuros que el lenguaje le arroja a la muerte para posponerla y en ese enfrentamiento radical, irrecusable, se movilizan todas las esferas de la existencia. Somos hijos de esa confrontación, somos hijos de la muerte y del poema. Tendidos entonces entre la muerte y la vida, los poemas de las Residencias nos hacen ver que en esa lucha titánica, devastadora, inacabable que libran entre ellos esos dos hermanos gemelos, el lenguaje y la muerte, la historia de la poesía es la historia eternamente derrotada y eternamente renovada de los conjuros con que el lenguaje trata de posponer el deber de morir.

PABLO NERUDA, PREMIO NOBEL DE LITERATURA EN 1971,
EN PRAGA, EN UNA FOTOGRAFÍA CIRCA 1949.
FOTO CTK / ALAMY

Los poemas de Residencia en la tierra, en su pasmosa particularidad, en su registro único, en su fidelidad a los sonidos que efectivamente Neruda escuchaba, se funden con las palabras de nuestra vida, dándole a la lengua que hablamos, a aquella lengua para nosotros datada, la posibilidad simbólica de un nuevo inicio. De una nueva alternancia donde los seres y sombras que hablan en estos poemas, en sus jergas de muertos, en sus campanas sin sonido, en sus océanos de origen y cenizas, son a su vez los miles y millones de fragmentos de experiencias, de fracasos, de erotizaciones, de mujeres orinando y de funcionarios menores que transitan por las calles de Rangoon y otros que deambulan entre sastrerías y ropas tendidas, herméticos como un cisne de fieltro, los que sumándose uno a uno van conformando la humanidad que habita en las Residencias. No es una voz, es ese compendio gelatinoso, casi infinito, de sangre, nervios, cultura, sueños, recuerdos, inesperados heroísmos, defecaciones y esperanzas que desaguan en el lenguaje, lo que comparece en esta síntesis que señala a la vez los límites infranqueables de un vacío. Neruda es Neruda porque es la humanidad entera, la humanidad entera es la humanidad entera porque es un vacío, Neruda es la humanidad entera porque es el vacío que la muerte va dejando en las palabras:

Pero la muerte va también por el mundo vestida de escoba,

lame el suelo buscando difuntos,

la muerte está en la escoba,

es la lengua de la muerte buscando muertos,

es la aguja de la muerte buscando hilo.

Instalado en el corazón de la lengua solo Pablo Neruda, vale decir, solo esa cifra, ese tiempo que llamamos hoy Pablo Neruda, pudo escribir Residencia en la tierra, pero pudo hacerlo porque sus lectores son seres heridos, sangrantes, que van siguiendo en las líneas de estos poemas las estaciones de su sangre y de su muerte. Residimos en la tierra, vale decir, residimos en la verdad desnuda de esta escritura, no en su retórica, sino en ese laconismo esencial que tiene lo irremediable: somos seres muertos prestados por un segundo a la vida, vivimos, morimos, y es esa condición extrema y paradojal lo que nos reiteran una y otra vez las obras cumbres: la Comedia de Dante, el Quijote, Shakespeare, Dostoievski, Whitman, Rimbaud, los Cantares de Pound, la Residencia en la tierra, el Canto general de Neruda. En otras palabras, lo que estas obras nos muestran es que no somos habitados solo por nuestros sueños, tal como no somos castigados solo por nuestros crímenes.

En un mundo que ha multiplicado al infinito el presente de Troya, y que tiene al planeta al borde del colapso, lo real, lo pavorosamente real es el vacío que dejan las palabras una vez pronunciadas

Detrás de “Solo la muerte” no hay nada más que la muerte. Condenados a no olvidar (la destrucción de Troya no sucedió, está sucediendo y Homero no es sino la ondulación de su devenir), hurgamos en ese pasado sin tiempo donde la inmensa fantasmagoría que sobrevuela Alberto Rojas Giménez, esos “mares sin nadie”, esos “solo entre muertos”, esos “para siempre solo”, vienen volando sin sombra y sin nombre, sin azúcar, sin boca, sin rosales. Más aún, es como si esos entes abstractos, muertos, transformados en conceptos en ese presente perpetuo que constituye la poesía, hicieran que ella sea la última interpretación, mostrándonos de paso que lo humano (insisto en llamar así a ese mar, a ese desborde) no solo no es el dueño de la lengua que habla, sino que, al contrario, está apresado en una invención de las palabras. En un mundo que ha multiplicado al infinito el presente de Troya, y que tiene al planeta al borde del colapso, lo real, lo pavorosamente real es el vacío que dejan las palabras una vez pronunciadas, el manchón negro que dejan las palabras una vez escritas, el ruido infernal de los bombardeos, de las masacres, de los millones de emigrantes muriéndose en las fronteras que dejan las palabras una vez escuchadas...

Entendemos entonces que la poesía no es el confesionario del yo, es el confesionario de los otros.

Alberto Rojas Giménez viene volando. Son imágenes, alas, soledades…

Allí está el mar. Bajo de noche y te oigo

venir volando bajo el mar sin nadie,

bajo el mar que me habita, oscurecido:

vienes volando.

Oigo tus alas y tu lento vuelo,

y el agua de los muertos me golpea

como palomas ciegas y mojadas:

vienes volando.

Vienes volando, solo, solitario,

solo entre muertos, para siempre solo,

vienes volando sin sombra y sin nombre,

sin azúcar, sin boca, sin rosales,

vienes volando.

Son imágenes. Es un tono, un timbre, un temblor. Anclado en un tiempo indiscernible, un ser aún sin nombre comprende que las estrellas que había visto hace un instante son la máxima refutación del tiempo y de la historia.

Raúl Zurita. Ospedale Maggiore, Milán, 16 de julio de 2019.

Este texto es el prólogo a la nueva edición de ‘Residencia en la tierra’ que la editorial Lumen publica este jueves.


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