Citation de Pablo Neruda

jeudi 28 juin 2018

HOMMAGE À PABLO NERUDA

« HOMMAGE À PABLO NERUDA, PRIX NOBEL UNE LITTÉRATURE.
AU STADE NATIONAL DE SANTIAGO DU CHILI, LE 5 DÉCEMBRE 1972.»
[ Cliquez sur la flèche pour voir la vidéo ] 

    lundi 18 juin 2018

    «PABLO NERUDA, ODE À L’AMOUR»


    [ Cliquez sur l'image pour l'agrandir ]

    ILLUSTRATION LE TEMPS
    Chaque semaine, un écrivain d’ici présente l’auteur classique qui l’inspire et le nourrit. José-Flore Tappy a choisi d'évoquer le Chilien Pablo Neruda
    VINGT POÈMES D’AMOUR ET
    UNE CHANSON DÉSESPÉRÉE
    Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée, publiés pour la première fois à Santiago en 1924, marquent le début d’une œuvre passionnée, politique, amoureuse des femmes et du Chili, solidaire d’un peuple et de tous les opprimés. Neruda a 20 ans. Traduits pour la première fois en français en 1970 par André Bonhomme et Jean Marcenac pour les Editeurs français réunis, maison fondée par Aragon après la guerre, ces 21 poèmes ne m’ont jamais quittée. Je préfère cette traduction à celle, ultérieure, de Claude Couffon et Christian Rinderknecht. Elle est plus directe, plus concrète, sans effets.

    Un objet d’abord, un format: presque carré (13,5 x 10), un peu comme une boîte de cigares, la jolie boîte de ces «Petit Nobel» que j’ai longtemps fumés avec délice durant les longues soirées d’été. Sous sa couverture toilée bleu turquoise, le livre détonne sur les rayons de ma bibliothèque où se côtoient les éditions blanches, rectangulaires, légères comme des stèles, certains volumes revêtus de pergamine. Trop petit, trop criard, inclassable. Le jour où j’ai déniché chez un libraire un second volume de cette même collection: Papiers du poète grec Yannis Ritsos, sous couverture rouge vif, le rouge écarlate du pavot, il a trouvé sa place: Neruda et Ritsos… mes compagnons de route. Quand on ouvre le recueil, son papier couleur tabac clair sent la terre mouillée après la pluie, et c’est l’océan qui s’engouffre! Chez Neruda, le désir amoureux est inséparable du paysage, du monde, de la collectivité humaine. Romantique? non, juvénile et magnétique, où les adresses à l’aimée disent les émois d’un cœur passionné: «Volume de baisers englouti et brisé/que le vent de l’été vient combattre à la porte», «tourne mon cœur, et c’est un volant fou».

    Vieux de presque un siècle, ce livre est d’une fraîcheur inaltérée. Rien d’éthéré, aucune effusion tremblante. La femme aimée (ou rêvée, ou seulement regrettée) est physique, charnelle, presque géographique: «Accueillante, pareille à un ancien chemin.» Tout jeune, Neruda a déjà le verbe affirmé. Il parle franc, sans détours: «Ici je t’aime.» Il pose sur la table l’évidence, et la répète: «Seul. […] La mer au loin sonne et résonne./Voici un port./Ici je t’aime.» Difficile de choisir un poème en particulier, une strophe plutôt qu’une autre… j’aime le mouvement qui fait tourner les pages, le glissement des vers sur ce papier bistre, tel le ressac effaçant sur le sable les empreintes mouillées des mots d’avant.

    L’amour est partout chez Neruda, aussi bien dans le sombre Résidence sur la terre que dans L’Espagne au cœur, écrits sous le choc du franquisme et de l’assassinat de Garcia Lorca, et même dans Hauteurs de Machu Picchu, chant de fraternité pour les bâtisseurs incas. Redoutable force révolutionnaire, l’amour traverse l’effroi, balaie le découragement, transcende la colère. Plus tard encore et plus conquérant, Neruda fera sonner les mots pour l’amante clandestine devenue sa compagne. Erotisme et passion, tendresse et rage, le poète ne cache pas ses désirs sous une feuille de vigne. Ce sont les très beaux poèmes de La Centaine d’amour dédiés à Matilde Urrutia, précédés de ces lignes qu’il lui adresse, en octobre 1959: «J’ai construit par la hache, le couteau, le canif, ces charpentes d’amour et bâti de petites maisons de quatorze planches pour qu’en elles vivent tes yeux que j’adore et que je chante.»

    Par leur sensualité, par une intensité presque douloureuse dans la douceur, les poèmes de Neruda n’ont d’égal à mes yeux que les poèmes d’amour chez Eluard, et peut-être certains vers de Michaux d’une brusquerie aérienne – entre tous, celui-ci: «Emportez-moi sans me briser, dans les baisers» (Mes propriétés). Plus latin, avec une fougue autrement plus violente mais toujours tendre dans ses adresses, Neruda me rappelle, à chaque moment de doute ou de fatigue, que les mots sont des appuis, qu’ils nous protègent et nous font avancer: «Incliné sur les soirs je jette un filet triste/sur tes yeux d’océan./Là, brûle écartelée sur le plus haut bûcher,/ma solitude aux bras battants comme un noyé».

    Entier et jusqu’au fond du désespoir, Neruda prend le monde à bras-le-corps. J’aime cet emportement qui s’émerveille, prolifique et généreux. Rien n’est dérisoire, et de la femme aimée aux choses les plus modestes, tout sera célébré avec le même lyrisme, celui des Odes élémentaires: Ode à Valparaíso, Ode à la tomate, Ode à une montre dans la nuit, Ode à l’artichaut, Ode à l’espoir, Ode à une châtaigne tombée… Ode à l’amour.

    Profil
    JOSÉ-FLORE TAPPY.
    PHOTO YVONNE BOEHLER
    José-Flore Tappy est l’auteure de plusieurs recueils de poèmes, parmi lesquels Pierre à feu, Terre battue, Hangars, Lunaires. Le dernier, Trás-os-Montes, porte le nom d’une province portugaise à la beauté âcre et sèche. Elle a traduit des poètes de langue espagnole, dont le Costaricien Laureano Albán, et avec Marion Graf la poésie d’Anna Akhmatova.

    1954 Naissance à Lausanne.

    1983 Prix de poésie C.F. Ramuz pour «Errer mortelle» (Payot).

    1997 Traduction pour la scène du «Pierrot lunaire» de Schönberg, interprété en français au Festival de la Bâtie de Genève et au Théâtre de Vidy à Lausanne par Yvette Théraulaz (mise en scène François Rochaix).

    2006 «Hangars» sous couverture peinte par Pierre Oulevay (Empreintes).

    2011 Anna Akhmatova, «L’Eglantier fleurit», traduction avec Marion Graf (La Dogana).

    2013 «Tombeau», avec des dessins de Juan Martinez (Empreintes).

    2018 «Trás-os-Montes», poèmes (La Dogana). Laureano Albán, «Psaumes pour conjurer la guerre» traduction (Calligrammes, Rennes). 



    mardi 5 juin 2018

    À MON PARTI

    PABLO NERUDA DANS LA PLACE D'ARMES
    D'ARAUCO CIRCA 1963 - 1964
    PHOTO SÉLIM MOHOR
    Tu m'as donné la fraternité envers celui que je ne connais pas.

    Tu as ajouté à mon corps la force de tous ceux qui vivent.

    Tu m'as redonné la patrie comme par une autre naissance.

    Tu m'as donné la liberté que ne possède pas le solitaire.

    Tu m'as appris à allumer, comme un feu, la bonté.

    Tu m'as donné la rectitude qu'il faut à l'arbre.

    Tu m'as appris à voir l'unité et la variété de l'homme.

    Tu m'as montré comment la douleur de l'individu meurt avec la victoire de tous.

    Tu m'as appris à dormir dans les durs lits de mes frères.

    Tu m'as fait bâtir sur la réalité comme on construit sur une roche.

    Tu m'as fait l'adversaire du méchant, tu m'as fait mur contre le frénétique.

    Tu m'as fait voir la clarté du monde et la possibilité de la joie.

    Tu m'as rendu indestructible car grâce à toi je ne finis plus avec moi.

    Canto General, Pablo Néruda


    LE CRIME A EU LIEU À GRENADE

    FEDERICO GARCÍA LORCA
    À   NEW YORK EN 1929
    «Tout commença pour moi le soir du 19 juillet 1936. Un Chilien sympathique et aventureux, Bobby Deglané, était imprésario de ‘catch as catch can’ au cirque Prince de Madrid. Je lui avais exposé mes doutes au sujet de ce "sport" et de son sérieux, et il m’avait convaincu d’aller sur place, avec Garcia Lorca, vérifier l’authenticité du spectacle. Federico ayant accepté, nous avions décidé de nous retrouver à la porte du cirque à une heure convenue. Nous passerions un bon moment à regarder les truculences du Troglodyte Masqué, de l’Étrangleur Abyssin et de l’Orang-Outang Sinistre.

    Federico ne vint pas au rendez-vous. Il avait pris le chemin de sa mort. Nous ne nous revîmes plus. Il avait rendez-vous avec d’autres étrangleurs. C’est ainsi que la guerre d’Espagne, qui allait transformer ma poésie, commença pour moi par la disparition d’un poète.

    Et quel poète ! Je n’ai jamais vu réuni comme en sa personne la grâce et le génie, le cœur ailé et la cascade cristalline. Federico Garcia Lorca était le farfadet dissipateur, la joie centrifuge qui recueillait dans son sein le bonheur de vivre et l’irradiait comme une planète. Ingénu et comédien, cosmique et provincial, musicien étonnant, mime parfait, ombrageux et superstitieux, rayonnant et bon garçon, il résumait en quelque sorte les âges de l’Espagne, la floraison populaire ; c’était un produit andalou-arabe qui illuminait et parfumait comme un buisson de jasmins la scène entière de cette Espagne hélas ! disparue.

    (…) Federico Garcia Lorca n’a pas été fusillé ; on l’a assassiné. Naturellement, personne n’imaginait qu’on le tuerait un jour. De tous les poètes d’Espagne il était le plus aimé, le plus choyé, et le plus ‘enfant’ par sa merveilleuse allégresse. Qui aurait pu croire qu’il y aurait sur la terre, et sur sa terre, des monstres capables d’un forfait aussi inexplicable ? »

    (extrait de : « J’avoue que j’ai vécu », 1974 / traduction de Claude Couffon, Éditions Gallimard) pages 183-187