Citation de Pablo Neruda

dimanche 8 janvier 2017

ELEGÍA PARA CANTAR


I



¡Ay, qué manera de caer hacia arriba
y de ser sempiterna, esta mujer!

De cielo en cielo corre o nada o canta
la violeta terrestre:
la que fue, sigue siendo,
pero esta mujer sola
en su ascensión no sube solitaria:
la acompaña la luz del toronjil,
del oro ensortijado de la cebolla frita,
la acompañan los pájaros mejores,
la acompaña Chillán en movimiento.

¡Santa de greda pura!

Te alabo, amiga mía, compañera:
de cuerda en cuerda llegas
al firme firmamento,
y, nocturna, en el cielo, tu fulgor
es la constelación de una guitarra.

De cantar a lo humano y lo divino,
voluntariosa, hiciste tu silencio
sin otra enfermedad que la tristeza.


II


Pero antes, antes, antes,
ay, señora, qué amor a manos llenas
recogías por los caminos:
sacabas cantos de las humaredas,
fuego de los velorios,
participabas en la misma tierra,
eras rural como los pajaritos
y a veces atacabas con relámpagos.

Cuando naciste fuiste bautizada
como Violeta Parra:
el sacerdote levantó las uvas
sobre tu vida y dijo
« Parra eres 
y en vino triste te convertirás ».

En vino alegre, en pícara alegría,
en barro popular, en canto llano,
Santa Violeta, tú te convertiste,
en guitarra con hojas que relucen
al brillo de la luna,
en ciruela salvaje
transformada,
en pueblo verdadero,
en paloma del campo, en alcancía.


III


Bueno, Violeta Parra, me despido,
me voy a mis deberes.

¿Y qué hora es? La hora de cantar.

Cantas.
            Canto.
                      Cantemos.





PABLO NERUDA

Enero 19, en automóvil entre Isla Negra y Casablanca.
Poema-prólogo a Violeta Parra, Décimas, Santiago, Pomaire,  1970.
Pablo Neruda, « Elegía para cantar » , dans Nerudiana dispersa II, 1922-1973, (Obras completas, tomo V) pages 304-305 Edición de Hernán Loyola. Galaxia Gutemberg, Primera edición : Barcelona, 2002.

« NERUDA » DE PABLO LARRAIN, TOUT SAUF UN BIOPIC ?


EN IMAGES 

Chili, 1948 : le sénateur et écrivain Pablo Neruda, fervent communiste, est traqué pour ses idées politiques. Dans son sixième film, le réalisateur Pablo Larrain prend le genre de la biographie filmée, le « biopic », à contre-pied. 
Le réalisateur surprend en choisissant de se 
LUIS GNECCO DANS «NERUDA»
focaliser sur cette période très courte de la vie du grand poète. Il choisit aussi d’insérer à cette course-poursuite des passages oniriques qui rappellent que le chef-d’œuvre poétique de Neruda, le Chant général, était en germe à ce moment précis. Il déjoue enfin les attentes du spectateur en adoptant le point de vue de l’antagoniste de son personnage principal, un inspecteur méticuleux à la solde du pouvoir chilien. L’avis des critiques du Monde. 

vendredi 6 janvier 2017

NERUDA : N'EST PAS UN BIOPIC MAIS «UN JEU D'ILLUSION»


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NERUDA : PHOTO LUIS GNECCO 
[INTERVIEW] Quatre ans après No, Pablo Larrain revisite à nouveau l'histoire du Chili en compagnie de Luis Gnecco et Gael Garcia Bernal. Soient, respectivement, le poète Pablo Neruda et Oscar Peluchonneau, le policier obsédé par sa capture dans ce long métrage remarqué à la Quinzaine des Réalisateurs du dernier Festival de Cannes pour sa manière de nous offrir un biopic qui n'en est pas vraiment un. Rencontre avec l'équipe de ce film « nerudien  » plus que sur Neruda.

 « NERUDA » BANDE-ANNONCE VO  



Pablo Larrain :
Neruda est une figure clé de la culture chilienne. Mais je ne pense pas qu'il s'agisse ici d'un film sur lui mais plutôt sur ce qu'il créé chez nous qui le faisons, aussi bien le scénariste et les acteurs que moi. C'est plus un film nérudien qu'un film sur Neruda. Je trouvais intéressant de retourner à cette époque, car leurs rêves étaient différents. Nous, nous savons ce qu'il s'est passé donc il me semblait intéressant de l'aborder avec notre regard contemporain.

Luis Gnecco : C'est très important et un gros défi pour moi que d'incarner Neruda. J'étais même effrayé à l'idée de le faire au début, à tel point...
Gael Garcia Bernal : ... qu'il fallait tout le temps aller le chercher aux toilettes (rires)
Luis Gnecco : (rires) C'est faux. Représenter Neruda au Chili n'est pas quelque chose de simple. Mais je ne pouvais pas avoir peur tout le temps, et l'idée était de ne pas jouer tout le personnage. On ne peut pas incarner toute la vie d'une personne, c'est impossible. Surtout lorsque l'on parle d'un écrivain et d'un poète aussi énorme que Neruda, qui est une grande personnalité au Chili.

Heureusement, le film ne couvre qu'une partie de sa vie et Pablo Larrain m'a immédiatement dit qu'il ne cherchait pas à faire une biographie de Neruda car ça n'est ni intéressant, ni amusant. Nous avons mis en scène un personnage qui invente son destin, son éternité. A l'époque du film, Neruda était quelqu'un de très important, sur le plan littéraire et politique, mais il fallait qu'une partie de sa vie soit un mythe. Et le scénario joue sur cette idée. C'est ce qui m'a permis de me plonger dans le personnage.
Neruda et Oscar représentent un seul et même personnage
Diriez-vous que Neruda a également inventé sa némésis ? Même si Oscar a bel et bien existé, une scène du film le suggère et son personnage est très cinématographique.

Luis Gnecco : Il y a un jeu entre eux, oui. Mais Oscar a vraiment existé.
Gael Garcia Bernal : Bien sûr. Beaucoup de policiers ont persécuté Neruda, mais je ne vois pas Oscar comme une création magique ou un vrai alter ego, mais comme une transmutation car un policier est l'exact opposé d'un poète. Un policier peut réfléchir sur son existence mais, en même temps, son travail l'oblige à se taire et attendre dans la rue jusqu'à ce que quelque chose se passe. C'est un travail de ville.

À côté, le poète est libre. Cette idée de transmutation est donc excitante et ce qu'il y a de mieux dans le film de Pablo, c'est la manière dont les deux personnages se rejoignent pour n'en former qu'un, de façon très touchante lorsque le policier lit le poème de Neruda et que ce dernier l'encourage à le réciter comme si c'était la première fois que quelqu'un le faisait.

On peut voir Oscar et Pablo comme les deux faces d'une même pièce.

Luis Gnecco : C'est ainsi que Pablo Larrain nous les a présentés, et c'était une grande nouvelle pour nous, car il nous a dit que nous étions le même personnage. Et c'est le cas. Chacun de nous incarne une des facettes.

Pablo Larrain : Pour moi il y a un personnage principal, qui est Neruda. Et un autre personnage principal, le policier qui le pourchasse. Mais pour moi, ce sont les mêmes. Ils représentent un seul et même personnage. Ça créé une absurdité qui peut être drôle et étrange. Il y a une idée de némésis, de dualité entre deux personnages - surtout quand ils sont aussi différents que peuvent l’être un policier et un poète - mais ils finissent par se ressembler à un moment et c’est en cela que je trouve le film existentialiste.

Neruda créé sa propre légende, il écrit l’une de ses œuvres les plus connues, « El Canto Général »", alors que le policier essaye de se comprendre lui-même. Chacun cherche à se connaître alors que le film avance, mais moi-même je ne sais pas qui ils sont. C’est au public de Neruda d’essayer de le comprendre, mais c’est plus comme un rêve dont on se réveille avec quelques souvenirs mais pas l’intégralité. Je préfère voir le cinéma ainsi.

Pourquoi avoir choisi de se focaliser sur la fuite de Neruda ?

Pablo Larrain : En 1947 au Chili, le président a déclaré le Parti communiste illégal. Donc tous les communistes ont été chassés, et Neruda était l'un d'eux. Il a donc été en fuite pendant deux ans, et notre film est aussi un road movie. Et il me semblait intéressant de se focaliser sur Neruda à cette époque précise, car il créé un jeu imaginaire. Quand vous avez un personnage qui joue avec tout, votre film peut devenir joyeux et joueur aussi. Il y a une combinaison d'éléments qui envahissent le film, du film noir au western, en passant par des références à certains réalisateurs et films ou la poésie de Neruda.

Mais, par-dessus tout, Neruda est pour moi un jeu d'illusion. C'est ce que j'aime avec le cinéma : rien n'est vraiment réel. Et c'est pour cette raison que nous n'avons pas la prétention de faire un portrait de Pablo Neruda. Nous avons lu sa poésie et son autobiographie, et nous les avons absorbées pour en tirer un long métrage sur le monde de Neruda. C'est un film sur son espace, son imagination. C'était quelqu'un de très spécial et sophistiqué. Un érudit, comme vous diriez en France. Mais un érudit aussi insaisissable que l'eau, et qui vous laisse les mains mouillées. C'est ce qui fait le sel d'un bon personnage. Si vous pouvez le comprendre entièrement, ça ne m'intéresse pas.

Peut-on voir « Neruda  »comme un portrait de vous-même, en creux, au vu de toutes les influences à l’écran ?

Pablo Larrain : C’est difficile à dire, mais il y a toujours un peu de vous dans les films que vous faites. Je n’y pense toutefois pas. C’est dans mes tripes et je mets en scène ce qui me semble bien. Il n’y a pas vraiment de logique derrière ça.
Il y a toujours un peu de vous dans les films que vous faites
Des westerns et films noirs particuliers vous ont-ils inspiré au moment de faire ce film ?

Pablo Larrain : Je n’aime pas le « name dropping », mais il y a des films de Godard que j’ai vraiment aimés et auxquels j’ai pensé en faisant le film, même si l’on n’en retrouve pas vraiment de trace. Il y a aussi John Ford et l’absurdité qu’il y avait dans les films faits dans les années 80, avec cette idée de quelqu’un chassant quelque chose d’impossible. Je trouve ça très beau et tous ces réalisateurs laissaient porte et fenêtre ouvertes afin que le public puisse entrer et sortir quand il le voulait. Je n’aime pas ces films dans lesquels tout est dit et clos. Je crois vraiment en l’intelligence du public, et je veux travailler avec cette intelligence et avec cette sensibilité car nous pouvons ainsi jouer avec les spectateurs.

Je veux créer une mécanique entre eux et moi plutôt que de mettre en scène quelque chose d’entièrement élaboré. Godard disait justement que la plupart des réalisateurs se considéraient comme des aéroports ou des gares, mais qu’il préférait se voir comme un train ou un avion, à cause de cette idée de mouvement et de transition. C’est pour moi une très belle façon de décrire le cinéma, qui est quelque chose qui devrait aller d’un lieu à l’autre sans jamais vraiment arriver ni vraiment partir de quelque part, mais juste faire figure de transition.

Pablo Larrain vous a-t-il encouragés à voir les films qu'il avait en tête au sujet de l'aspect visuel de « Neruda » , Gael et Luis ?

Gael Garcia Bernal : Oui, nous en avons parlé et j'ai regardé beaucoup de films noirs ou dans lesquels il y avait des policiers, et qui étaient fantastiques, comme Le Cercle rouge. Des films dans lesquels il y a de longs moments au cours desquels les policiers prennent leur travail au sérieux, avec quand même de la comédie.



Nous avons joué sur cette idée mais, dans le même temps, mon personnage semblait en-dehors du contexte, même à cette époque. Il se prend très au sérieux et ses coéquipiers ne le comprennent pas vraiment. Il joue à son propre jeu, au même titre que Pablo Neruda créé lui-même son personnage. Il a choisi son père, son surnom et même son identité, comme si Neruda la lui avait donnée. Et c'est là que la figure du policier typique du film noir disparaît pour devenir plus réfléchie, plus existentialiste.

Luis Gnecco : Nous sommes en 2016 [l'interview a été réalisée en mai, ndlr], donc nous ne pouvons pas faire un vrai film noir. Un hommage au genre ou reproduire son style, oui. Mais comme Gael l'a dit, si vous jouiez ces personnages aujourd'hui, alors que d'autres gens l'ont déjà fait pendant les années 40, 50 ou 60, ça serait ridicule. Et le film joue justement avec cette notion de ridicule, aussi bien avec Oscar que le reste des personnages. Neruda ne se prend jamais au sérieux ici, car il joue tout le temps. Sa femme aussi joue. Tout le monde le fait, donc nous avons un contexte de film noir, sans pour autant se plier au style avec lequel on le faisait à l'époque.

Etait-ce frustrant de ne jamais être dans le même plan pendant tout le film ?

Gael Garcia Bernal : C'est amusant car dans le dernier film que nous avons fait ensemble, No, nous avions beaucoup de scènes ensemble. Et cette fois-ci, lorsque nous arrivions sur le plateau, nous tournions chacun notre tour alors que nous étions dans le même lieu. C'était une façon de travailler différente et Luis m'a manqué.

Luis Gnecco : Moi aussi tu m'as manqué (rires) Et pourtant, nos deux personnages se rencontrent dans une scène qui n'est finalement pas dans le film. Nous étions pourtant contents de la tourner car c'était la seule qui nous réunissait, mais elle n'est pas dans le montage final.

Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 13 mai 2016

mercredi 4 janvier 2017

CINÉMA: «NERUDA», LE FILM DU CHILIEN PABLO LARRAIN

AFFICHE DU FILM
[ Pour écouter, double-cliquer sur la flèche ] 


RADIO FRANCE INTERNATIONALE, (RFI), EXTRAIT DU PROGRAMME  RENDEZ-VOUS CULTURE , 
«CINÉMA: «NERUDA», LE FILM DU CHILIEN PABLO LARRAIN»,  ELISABETH LEQUERET 
DIFFUSION : LE  MERCREDI 4 JANVIER 2017  
 DURÉE : 00:05:08
RFI
Dans notre Rendez-vous culture de ce mercredi 4 janvier 2017, nous parlons cinéma avec la sortie de Neruda, de Pablo Larrain, réalisateur, producteur et scénariste chilien. Neruda, retrace la vie du grand poète et prix Nobel de littérature chilien, Pablo Neruda.

« NERUDA », UN ANTI-BIOPIC ENGAGÉ, ÉPIQUE, ET VISUELLEMENT ÉBLOUISSANT

AFFICHE DU FILM
Neruda se déguise et déclame des vers dans une soirée mondaine. Neruda se moque d'un adversaire politique dans une pissotière. Neruda s'échappe de sa cachette pour une nuit dans un bordel... C'est le comédien Luis Gnecco qui habite ce rôle écrasant, avec une légèreté, une rondeur et un charisme étonnants.

Dans cet anti-biopic éblouissant, le cinéaste détricote tout et, d'abord, la figure du grand homme. Il s'agit moins de montrer les faits que les effets : l'imaginaire de Neruda, son impact sur tout un peuple, sa puissance créatrice s'échappent, débordent, truquent le réel, dévient la narration. Le film devient vaste et vibrant comme le Chant général, que Pablo Neruda est alors en train d'écrire. A la poursuite de l'artiste, le film lance un drôle de flic. Raide comme la mort, d'une sinistre drôlerie, Gael García Bernal rend à la fois pathétique et inquiétant ce personnage, presque un méchant de roman policier, pareil à ceux que Neruda adorait lire. L'individu s'appelle Oscar Peluchonneau et il commente en voix off l'étrange jeu de cache-cache — des coulisses du pouvoir de Santiago aux espaces infiniment blancs de la cordillère des Andes. Partout, ce poignant Dupont sud-américain arrive trop tard, échoue dans sa tentative d'enfermer mais aussi de comprendre sa proie. Partout, Neruda laisse son sillage de magie et de fascination, et aussi un livre : des miettes de mots pour narguer son poursuivant...



De Santiago 73, post mortem à El Club, en passant par No, on connaissait la noire dérision de Pablo Larraín, son goût pour les tranches d'humanité découpées au scalpel. S'il garde toute son ironie, s'il s'amuse, par moments, à déguiser son film en polar à l'ancienne, il se laisse aussi emporter comme jamais, enivré par le souffle épique du sujet. Là où la plupart de ses autres récits se tapissaient dans le froid et la pénombre, celui-ci est inondé de lumière rousse, vibre d'une chaleur romanesque. Sur ce tableau fantasque et libre d'une époque où les poètes étaient plus grands que la vie, où ils promettaient, avec une confiance effrontée, des lendemains fraternels, plane aussi l'ombre de la dictature. Quelque part, un certain Pinochet, que l'on aperçoit un instant à la tête d'un camp de prisonniers, attend son heure. Celle de tuer la poésie.