LE CONGRÈS DE LA PAIX dans la stratégie communiste
Les organisateurs du congrès mondial des partisans de la paix ont, à la dernière minute, cherché, suivant les mots de M. Laurent Casanova, « à élargir les bases du congrès et invité à une prise de contact plusieurs personnalités connues pour leur action en faveur de la paix : MM. Emmanuel Monnier, Claude Bourdet, Jean Hous, Robert Sarrazac, David Rousset et Paul Froisse. »
Par René FOCH.
ARCHIVES de Le Monde Publié le 21 avril 1949
RENÉ FOCH RÉDACTEUR AU «MONDE» |
Au cours du dialogue M. Laurent Casanova fut amené à faire aux questions précises de MM. David Rousset, Jean Rous et Sarrazac des réponses qui délimitent fort exactement le genre de liberté d'expression dont jouiront au congrès de la paix les voix non communistes.
Désireux de ne pas rompre complètement les ponts, M. David Rousset a cependant demandé aux organisateurs de recevoir au congrès de la paix une délégation du comité qui prépare pour le samedi 30 avril une « journée de résistance à la dictature et à la guerre ». Ce congrès, à son tour, accueillerait les représentants du congrès de la paix.
Cette offre sera-t-elle acceptée et le congrès de la paix laissera-t-il place au dialogue ou sera-t-il une simple manœuvre? C'est la question qui se pose.
Quelle gue soit la réponse il serait injuste d'assimiler purement et simplement ce congrès à un grossier stratagème comparable au dernier congrès de Nuremberg réuni lui aussi sous la même invocation. Le parti communiste, qui lors des élections cantonales avait déjà axé sa campagne électorale sur le thème de la paix, a affirmé au cours de sa récente conférence nationale sa volonté de conserver cette orientation et de multiplier ses efforts pour un vaste rassemblement des forces pacifiques, communistes ou non.
Le thème répond à cet immense besoin de paix dont les manifestations de l'hiver dernier autour de Garry Davis ont montré la force. De paix et aussi d'unité. L'aspiration à l'union est aussi importante et peut-être plus constructive qu'un simple désir de tranquillité.
Le Parti communiste se trouve donc en face d'un énorme courant que, conformément à ses théories, il cherche à capter en l'élevant « de la spontanéité à la conscience ». Et, soyons-en sûrs, son action lui vaudra des alliés dans bien des milieux que la propagande purement marxiste ne toucherait guère.
« Faire la guerre pour le renversement de la bourgeoisie internationale, écrivait Lénine, et renoncer... à passer des accords et des compromis avec des alliés possibles, fussent-ils temporaires, peu sûrs, chancelants, conditionnels, ne serait-ce pas d'un ridicule achevé ? »
Les voix les plus diverses reprennent cet appel, utilisant, comme l'abbé Boulier, cet argument-massue: « Il est indubitable que de nombreux communistes seront présents, qu'ils ont pris une grande part à l'organisation du congrès. Est-ce une raison pour être absent ? Je ne le crois pas. »
Nous avions eu le congrès des intellectuels à Wroclaw en Pologne où d'autres furent victimes déjà des mêmes illusions, le congrès féminin en décembre 1948 à Budapest, mais le lieu même de leurs réunions constituait pour ces manifestations un signe trop visible de leur origine et en limitait les résonances. Nous avons eu tout récemment un congrès similaire à New-York, mais l'éloignement, les difficultés de change et de visa et plus encore la massive indifférence du peuple américain en ont singulièrement limité la portée.
Aussi le choix de Paris s'imposait-il dans cette Europe occidentale qu'il s'agit de conquérir, te nom même de Paris, capitale d'un grand pays pacifique, vieille ville révolutionnaire, centre culturel, représente un précieux capital affectif qui augmentait les chances d'un appel.
Si le congrès de la paix a été préparé par d'autres similaires il est à rapprocher aussi des « offensives de paix » qui se succèdent depuis quelque temps, de la réponse de Staline à Wallace, de sa sensationnelle interview, des mystérieux contacts pris à Washington. Il serait vain de se demander si le congrès de la paix est appelé à appuyer les avances soviétiques ou si celles-ci sont destinées à donner au monde des gages de la bonne foi soviétique. Il est beaucoup plus important de se demander quel est l'objectif réel de ce congrès de la paix : créer sous le noble prétexte de défendre la paix une masse de manœuvre antiaméricaine ou défendre au prix de n'importe quelle alliance l'actuel équilibre des forces baptisé paix pour la circonstance ? Quel est le mot qui compte dans ce congrès de la paix, le rassemblement créé au nom de la paix ou cette paix des démocrates populaires qu'il faut sauver à tout prix ?
Les communistes qui ont aperçu les premiers les germes du pacte atlantique dans le plan Marshall, qui voient peser sur le rideau de fer une pression politique et économique chaque jour plus forte sont persuadés qu'une pression militaire va bientôt s'y ajouter, et leur habileté consiste affaire croire qu'elle entraînera un conflit général.
La peur a changé de camp : nouveaux apprentis sorciers ils ne savent plus comment stopper l'énorme machine qu'ils ont mise en branle. Ils se rendent compte que le partage de l'Europe réalisé à la faveur de la démobilisation américaine est remis en question par le réarmement occidental. Bien loin de penser à de nouvelles conquêtes ils sont réduits à la défensive et s'efforcent de sauvegarder le statu quo actuel comme si consacré par un traité et consolidé par les ans il méritait le nom d'une paix véritable. En termes marxistes ils se rendent compte qu'ils sont en période de reflux révolutionnaire et adoptent une stratégie de retraite.
Dans un tel cas, écrit Staline, dans ses Principes du léninisme, il convient de « manœuvrer avec ses réserves de façon à se replier en bon ordre, lorsque l'ennemi est fort, que la retraite est inévitable, qu'il est notoirement dangereux d'accepter la bataille que l'adversaire veut imposer, et que la retraite vu le rapport des forces en présence devient l'unique moyen de soustraire l'avant-garde au coup qui la menace et de lui conserver ses réserves...
Le but d'une telle stratégie est de gagner du temps, de démoraliser l'adversaire et d'accumuler des forces pour ensuite passer à l'offensive. »
On ne saurait rêver commentaire plus lumineux du congrès mondial des partisans de la paix.
René FOCH.