Citation de Pablo Neruda

mercredi 28 janvier 2009

PARLANT EN PROSE SUR CUBA

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PABLO NERUDA LORS D'UN RECITAL 
DE POESIE A VALPARAISO EN 1971


Nous parlerons en prose sur Cuba. Nous parlerons donc de la rupture des rapports diplomatiques et de ces promesses des chrétiens–démocrates qui ne se concrétisent jamais. Apparemment parce qu’il semblerait que le souci principal de l’actuel gouvernement est d’appauvrir les chiliens afin que les nord-américains deviennent plus riches encore. 

Le gouvernement actuel a adopté vis-à-vis de Cuba une politique pleine des mystères et de contradictions. C’est la politique des gens qui souhaiteraient se tromper eux-mêmes, mais aussi, et surtout , tromper les autres.

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JOSÉ JULIÁN MARTÍ Y PÉREZ (28 JANVIER 1853 À LA HAVANE - 19 MAI 1895 À DOS RÍOS, CUBA) HOMME POLITIQUE, PHILOSOPHE, PENSEUR, JOURNALISTE,  POÈTE ET HÉROS NATIONAL CUBAIN, CONSIDÉRÉ COMME L'APÔTRE DE LA LUTTE POUR L'INDÉPENDANCE. PHOTO WIKIPÉDIA


Dans l’enceinte des Nations Unies Monsieur Bernstein prononça quelques mots positifs concernant nos relations avec l’Ile Héroïque. Malheureusement Monsieur Valdés, dans sa qualité de ministre des Affaires Etrangères, ne les a pas confirmés. En outre il a émis des propos qui vont plutôt dans le sens contraire.

En conséquence l’image que le gouvernement donne de lui-même est plutôt chaotique.

La conduite de ce gouvernement peut se résumer par les mots d’ordre suivants : «je voudrais, mais je ne peux point». En ce moment, en abandonnant la totalité de notre cuivre aux pirates nord-américains, il autorise un saccage historique colossal. Cela ne l’empêche pas pour autant de faire résonner les cloches annonçant la « chilenisation » de notre cuivre.

Monsieur Bernstein, mandaté par Monsieur Valdés, a fait un geste positif vers Cuba , mais ce dernier, dans sa qualité de ministre d’Affaires Etrangères, en a fait un autre en direction du Département d’Etat . Cette danse contradictoire n’éclaircit rien. Sauf le fait que les chrétiens démocrates ont une grande capacité pour obscurcir les choses qui auparavant étaient claires, tout en éclaircissant celles qui étaient obscures. Heureusement le peuple chilien n’est pas dupe et voit de plus en plus clair les aspects ambigus et mensongers de leur politique.


PORTRAIT DE GABRIEL VALDÉS SUBERCASEAUX, MINISTRE DES 
AFFAIRES ÉTRANGÈRES  DU CHILI DE 1964 À 1970  VERS 1950.
PHOTO JORGE OPAZO GALINDO


Lorsqu’il parla devant le Sénat Monsieur Valdés prit le soin d’envelopper ses opinions d’un couche d’une soi -disant philosophie politique. Très probablement lui-même, il n’en est guère convaincu.

Selon Monsieur Valdés la révolution cubaine n’est ni originelle ni autonome. Je voudrais savoir ce qu’il pense de la révolution latino-américaine de 1810 ? Est- ce que pour lui celle-ci était originelle et autonome ? Est ce qu’il sait- que pour la mener à bien Bolivar, San Martin et O’higginss s’inspirèrent des idées de l’Europe révolutionnaire ?

Jadis les idées de libération partirent de la France. Aujourd’hui le vent du socialisme souffle d’un autre coté du monde. Tout comme les idées communistes qui prônent l’émancipation du prolétariat mondial.

Monsieur le ministre a dit que « Cuba fait partie d’un système étranger à l’Amérique Latine ».

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« O'HIGGINS ET SAN MARTÍN LORS DE L’ACCOLADE DU MAIPÚ »
TABLEAU DE PEDRO SUBERCASEAUX , 1908. PHOTO WIKIPÉDIA


LE 5 AVRIL 1818, LES FORCES CHILIENNES ET ARGENTINES COMMANDÉES PAR JOSÉ DE SAN MARTIN AFFRONTENT LES TROUPES ROYALISTES DE MARIANO OSORIO LORS DE LA BATAILLE DE MAIPU. O’HIGGINS ARRIVA SUR LE CHAMP DE BATAILLE BLESSÉ.

Je demande à Monsieur le ministre : Ses idées sont-elles celles qui ordonnent le système (politique et social) de l’Amérique Latine? Ou bien l’évolution, ou les révolutions, de nos peuples ?

Ce système est –il : la dictature paraguayenne, la répression vénézolienne et le militarisme brésilien. Est-ce qu’il inclut- aussi : le caudillisme militaire équatorien, la manière brutale de gouverner qu’ont les militaires boliviens , le gouvernement ensanglanté du Saint Domingue. Ainsi que la dynastie corrompue des Somoza au Nicaragua et colonialisme qui vassalise le Puerto Rico?

Tous ces « systèmes » ont le droit de voter à l’OEA. Pas Cuba. A cet endroit là elle n’a ni le droit de s’exprimer ni le droit de voter.

Votre système latino américain, monsieur le ministre, inclut-il aussi les gouvernements imposés par les Etats-Unis à Guatemala et au Salvador ? Ainsi que le dénouement, l’arriération et la misère féodale existant dans la quasi totalité de nos pays ?

Grâce à la révolution à Cuba tous ces fléaux ont disparus.

Notre ministre des Affaires Etrangères veut nous faire croire que le soi -disant Système latino-américain qu’il défend est le nôtre. Par voie de conséquence, nous autres, latino américains nous devrions l’accepter. En outre nous devrions aussi être solidaires avec cet étrange système.

Mais en fait en quoi consiste-t-il exactement ce fameux système ? Qui a eu cette idée saugrenue ? Qui veut encadrer la façon comme les peuples pensent et agissent ?

Existe-t-il un système européen ? Est-ce que par hasard quelqu’un a entendu parler d’un système asiatique de gouvernement ?

En fait Monsieur le Ministre le système latino-américain que vous évoquez ne serait-ce autre chose qu’une pittoresque réunion de satrapes qui au sein de l’OEA ne savent dire que « yes »

Devant le Sénat Monsieur le Ministre a prononcé aussi la phrase suivante : Dans la mesure où Cuba reviendrait au sens premier de sa révolution; le Chili est prêt a agir activement afin qu’elle soit réintégrée dans la famille latino américaine . Quel que soit son système économique et social.

Si jusque là la confusion était confuse, monsieur le ministre arrive dans ce paragraphe à faire mieux encore. Il arrive à confondre la confusion.

En fait, Qu’est ce le sens originel de la révolution cubaine ? Quel est le droit qui nous autoriserait à dire que celle-ci doit revenir à ce sens originel ?

D’ailleurs qui a établi et consolidé les contours de ce supposé sens originel ? Pour quelle raison Monsieur le ministre voudrait-il que Cuba revienne à celui-ci ?   Ce sens originel de la révolution cubaine ne serait-ce pas plutôt une invention du Département d’Etat. ?

Lorsque Monsieur le ministre dit « quel que soit son régime économique et social il ne va pas jusqu’au bout de sa logique. En réalité il aurait dû dire «quel que soit son régime à condition qu’il soit capitaliste ».
Dans ses efforts pour coloniser l’Amérique Latine, les Etats-Unis voudraient que celle-ci appartienne au «monde libre ». C’est à dire au système capitaliste. Ils
voudraient , aussi , que les nations latino-américaines, avec leur système capitaliste, restent sous leur emprise politique , et économique .

En rejetant ce fouet Cuba a eu le courage de ne pas accepter les dictats impérialistes Elle a désobéi à l’impérialisme nord-américain. Cet exemple de souveraineté sera toujours une source de lumière pour nos peuples. Quels qu’ils soient les événements qui pourraient survenir par la suite.

Je précise que quels que soient les événements qui pourraient survenir en Amérique car j’ai l’intuition que nos ennemis n’arriveront jamais à écraser la indépendance de la révolution cubaine.

Les agences de presse mentent tous les jours. Elles qualifient de castro communistes tous les mouvements de libération de nos peuples. Même quand elles dorment les polices de nos satrapes latino américains voient des castro communistes. Cette obsession à voir des castro -communistes partout est un bon alibi pour celles ci. Elle leur permet de perpétuer leurs brutales pratiques répressives.

Les gouvernements d’Amérique Latine collaborent avec le blocus que le gouvernement américain impose à Cuba.. Afin d’empêcher que ses industries travaillent ils refusent à Cuba l’acier et le pétrole. Ils veulent aussi que l’ensemble de la population cubaine n’arrive plus à manger correctement.

Les bateaux ne peuvent pas leur amener de la nourriture parce qu’on veut que les hommes, mais aussi les femmes et les enfants, meurent de faim.

Devant une telle situation notre gouvernement, qui se déclare lui-même : démocrate et chrétien, préfère se taire.






Discours de Pablo Neruda au Théâtre Imperio à Valparaiso, le 10 janvier 1965, publié dans le journal El Siglo à Santiago du Chili, le 12  janvier 1965.
Publié dans Nerudiana dispersa, le Sang à Saint-Domingue, pages 50-53, Pablo Neruda Œuvres complètes tome V, chez Galaxie Gutemberg, Cercle de Lecteurs, Barcelone 2002 

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