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LE REBELLE CUBAIN ERNESTO CHE GUEVARA (À GAUCHE) EN ENTRETIEN AVEC QUELQU'UN. LA HAVANE 1959. PHOTO JOSEPH SCHERSCHEL
Ma rencontre avec Che Guevara, à La Havane, lui, très différente. Il était près d'une heure du matin quand je réussis à le voir, invité par lui dans son bureau du ministère des Finances ou de l'Économie, je ne sais plus très bien. Nous avions rendez-vous à minuit mais j'étais en retard, ayant dû assister à une cérémonie officielle où, de surcroît, j'étais assis a la présidence.
Le Che portait des bottes, un uniforme de campagne, et des pistolets à la ceinture. Sa tenue avait quelque chose d'insolite dans le cadre bancaire de l'endroit.
Il était brun et parlait lentement, avec un fort accent argentin. Il semblait fait pour bavarder tranquillement, dans la pampa, entre deux matés. Ses phrases, courtes, s'achevaient sur un sourire, comme s'il laissait en suspens le commentaire.
Je fus flatté par ce qu'il me dit du Chant général, Il avait pris l'habitude de le lire le soir à ses guérilleros, dans la sierra Maestra. Maintenant que les ans ont passé, je frémis en pensant que mes poèmes l'ont accompagné aussi dans la mort. J'ai su par Régis Debray que dans les montagnes de Bolivie il avait gardé jusqu'à la fin deux livres dans sa musette : un manuel d'arithmétique et mon Chant général.
Cette nuit-là, le Che me dit une chose qui me déconcerta mais qui explique peut-être en partie son destin. Son regard allait de mes yeux à la fenêtre noire du bureau. Nous parlions d'une invasion possible, nord-américaine. J'avais vu dans les rues de La Havane des sacs de sable disséminés aux endroits stratégiques. Et soudain le Che déclara :
- La guerre... La guerre... Nous sommes toujours contre la guerre, mais quand nous l'avons faite nous ne pouvons vivre sans elle. À tout instant nous voulons y retourner.
Il réfléchissait à voix haute, et pour moi. Je l'écoutai avec une stupeur sincère. Je vois dans la guerre une menace et non un destin.
Nous nous quittâmes et je n'eus plus l'occasion de le rencontrer. Il y eut ensuite son combat dans la forêt bolivienne et sa mort tragique. Pourtant, je continue à voir dans le Che Guevara cet homme méditatif qui, durant ses batailles héroïques, réserva toujours, près de ses armes, une place pour la poésie.
En Amérique latine, « espérance » est un mot que nous chérissons. Nous aimons être appelés « le continent de l'espérance ». Les candidats à la députation, au sénat, à la présidence, se proclament « candidats de l'espérance ».
Dans la réalité, cette espérance est un peu comme le ciel promis, une promesse de paiement sans cesse retardée. On la reporte à la prochaine période législative, à l'année suivante, au siècle suivant.
Avec la révolution cubaine, des millions de Sud-Américains ont eu un réveil brutal. Ils n'en croyaient pas leurs oreilles. Cela ne figurait pas dans les livres d'un continent qui vivait désespérément en pensant à l'espérance.
Et voilà que tout à coup Fidel Castro, un Cubain que personne ne connaissait auparavant, attrapait l'espérance par les cheveux ou par les pieds et, au lieu de la laisser voler, l'asseyait à sa table, c'est-à-dire à la table et au foyer des peuples d'Amérique.
Depuis, nous avons beaucoup avancé dans ce chemin de l'espérance devenue réalité. Mais nous vivons sur une corde raide. Un pays voisin, très puissant et très impérialiste, veut écraser Cuba et l'espérance et tout le reste. Les masses d'Amérique lisent tous les matins le journal, et tous les soirs écoutent la radio, en soupirant avec satisfaction. Cuba existe. Un jour de plus. Une année de plus. Un lustre de plus. Notre espérance n'a pas été décapitée. Elle ne sera pas décapitée.
Pablo Neruda, « J'avoue que j'ai vécu », La poésie est un métier, p 476. Editions Gallimard, 1975, Traduction de Claude Couffont
Le Che portait des bottes, un uniforme de campagne, et des pistolets à la ceinture. Sa tenue avait quelque chose d'insolite dans le cadre bancaire de l'endroit.
Il était brun et parlait lentement, avec un fort accent argentin. Il semblait fait pour bavarder tranquillement, dans la pampa, entre deux matés. Ses phrases, courtes, s'achevaient sur un sourire, comme s'il laissait en suspens le commentaire.
Je fus flatté par ce qu'il me dit du Chant général, Il avait pris l'habitude de le lire le soir à ses guérilleros, dans la sierra Maestra. Maintenant que les ans ont passé, je frémis en pensant que mes poèmes l'ont accompagné aussi dans la mort. J'ai su par Régis Debray que dans les montagnes de Bolivie il avait gardé jusqu'à la fin deux livres dans sa musette : un manuel d'arithmétique et mon Chant général.
Cette nuit-là, le Che me dit une chose qui me déconcerta mais qui explique peut-être en partie son destin. Son regard allait de mes yeux à la fenêtre noire du bureau. Nous parlions d'une invasion possible, nord-américaine. J'avais vu dans les rues de La Havane des sacs de sable disséminés aux endroits stratégiques. Et soudain le Che déclara :
- La guerre... La guerre... Nous sommes toujours contre la guerre, mais quand nous l'avons faite nous ne pouvons vivre sans elle. À tout instant nous voulons y retourner.
Il réfléchissait à voix haute, et pour moi. Je l'écoutai avec une stupeur sincère. Je vois dans la guerre une menace et non un destin.
Nous nous quittâmes et je n'eus plus l'occasion de le rencontrer. Il y eut ensuite son combat dans la forêt bolivienne et sa mort tragique. Pourtant, je continue à voir dans le Che Guevara cet homme méditatif qui, durant ses batailles héroïques, réserva toujours, près de ses armes, une place pour la poésie.
En Amérique latine, « espérance » est un mot que nous chérissons. Nous aimons être appelés « le continent de l'espérance ». Les candidats à la députation, au sénat, à la présidence, se proclament « candidats de l'espérance ».
Dans la réalité, cette espérance est un peu comme le ciel promis, une promesse de paiement sans cesse retardée. On la reporte à la prochaine période législative, à l'année suivante, au siècle suivant.
Avec la révolution cubaine, des millions de Sud-Américains ont eu un réveil brutal. Ils n'en croyaient pas leurs oreilles. Cela ne figurait pas dans les livres d'un continent qui vivait désespérément en pensant à l'espérance.
Et voilà que tout à coup Fidel Castro, un Cubain que personne ne connaissait auparavant, attrapait l'espérance par les cheveux ou par les pieds et, au lieu de la laisser voler, l'asseyait à sa table, c'est-à-dire à la table et au foyer des peuples d'Amérique.
Depuis, nous avons beaucoup avancé dans ce chemin de l'espérance devenue réalité. Mais nous vivons sur une corde raide. Un pays voisin, très puissant et très impérialiste, veut écraser Cuba et l'espérance et tout le reste. Les masses d'Amérique lisent tous les matins le journal, et tous les soirs écoutent la radio, en soupirant avec satisfaction. Cuba existe. Un jour de plus. Une année de plus. Un lustre de plus. Notre espérance n'a pas été décapitée. Elle ne sera pas décapitée.
Pablo Neruda, « J'avoue que j'ai vécu », La poésie est un métier, p 476. Editions Gallimard, 1975, Traduction de Claude Couffont
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