Citation de Pablo Neruda

jeudi 2 novembre 2023

LA MA NOUNOU

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TRINIDAD CANDIA MALVERDE.
 1927

La Ma Nounou


La Ma Nounou s’avance

dans ses sabots de bois. Au soir d’hier

le vent du Pôle a soufflé, les toits

se sont brisés, les murs

et les ponts se sont effondrés,

toute la nuit a hurlé avec ses pumas,

et maintenant, en ce matin

de soleil glacé, la voici

la Ma Nounou donã

Trinidad Marverde,

douce comme la timide fraîcheur

du soleil dans les pays de tempête,

lampe

menue et s’éteignant,

se rallumant

pour que tous voient bien le chemin.


O douce Ma Nounou

- je n’ai jamais pu

t’appeler belle-mère -

maintenant

ma bouche tremble pour te définir,

j’étais à peine

à l’âge où l’on comprend

que je voyais déjà la bonté habillée de pauvres nippes noires,

la sainteté la plus utile :

celle de l’eau, celle de la farine ;

tu fus cela : la vie te pétrit, tu fus pain

que nous mangions là-bas,

de l’hiver long à l’hiver désolé

où notre toit gouttait

à l’intérieur de la maison

et ton humilité partout présente

égrenant

l’âpre

céréale de la pauvreté

comme si tu avais

réparti

une rivière de diamants. 


Aïe ! maman, comment ai-je pu

vivre sans t’évoquer

à chacune de mes minutes ?

Ce n’est pas possible. Je porte

dans mon sang ton Marverde,

le nom

du pain qu’on se partage,

de ces

douces mains

qui dans le sac à farine taillèrent

les caleçons de mon enfance,

le nom de celle qui cuisina, repassa, lava,

sema, calma ma fièvre

et qui, lorsque tout fut fini

et que

je pouvais bien me tenir ferme sur mes jambes,

s’en alla, obscure et parfaite,

vers le petit cercueil

où pour la première fois elle n’eut plus rien à faire

sous la pluie dure de Temuco.


Traduit de l’espagnol par Claude Couffon

In, Pablo Neruda : « Mémorial de l’Isle-Noire »

Editions Gallimard, 1970

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