Chapeau si nécessaire
Ricardo Neftali Reyes Basoalto naît à Parral le 12 juillet 1904, fils de Jose Reyes Morales, cheminot et de Rosa Neftali Basoalto Opazo, institutrice, qui meurt deux mois après sa naissance. Son enfance se passe dans la petite ville de Temuco, dans la province éloignée d’Araucanie. Il sera durablement marqué, à la fois par la forte culture indienne de la région, et par l’omniprésence de la nature, par l’ampleur de l’espace. Ses premiers poèmes connus datent de ses quatorze ans. À seize, il prépare deux livres de poèmes signés Neruda, non publiés. En 1921, il s’installe à Santiago pour y étudier le français, il écrit, dit-il, un poème par jour et reçoit le prix de l’association des étudiants. Par ailleurs, il s’associe aux manifestations des ouvriers en grève. Après Crépusculaire, une plaquette publiée à compte d’auteur, il compose, à vingt ans, son premier chef-d’ouvre : Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée. Les lecteurs français, qui le connurent bien plus tard, ont toujours eu du mal à détacher ce livre du Neruda de la maturité : c’est que le jeune homme, avec sa mélancolie traversée d’accès d’une vitalité pleine de sève, est resté, malgré l’usure de la vie et de ses combats, malgré la monumentalité de l’ouvre qui suivit, le même.
Très tôt reconnu, il abandonne ses études pour se consacrer à la littérature, avec un penchant marqué pour l’avant-garde de l’époque, André Breton et ses précurseurs " voyants " : William Blake, Rimbaud, Lautréamont. Ne bénéficiant pas des revenus qui lui permettraient, comme tout littérateur qui se respecte, de vivre en rentier, il entre dans la " carrière ", comme on dit encore à cette époque où la langue internationale est le français, où Neruda excelle. Le voici à vingt-trois ans consul à Rangoon. Il y compose, dans une solitude absolue, la première Résidence sur la terre. La puissance de la nature d’Asie, le mal du pays, la vanité de ses amours avec Josie Bliss, une jeune birmane " anglicisée " font de ce premier recueil un moment attachant de l’ouvre nérudienne, où les thèmes les plus personnels se tressent aux fils d’un hymne à la beauté du monde et de ses peuples. Après Colombo, Batavia, où il se marie avec une jeune hollandaise connue dans ses poèmes sous le nom de " Maruca ", il poursuit sa carrière par Buenos Aires où il fait en 1933 la rencontre " la plus importante de sa vie ", celle de Federico Garcia Lorca.
Avec Lorca, à travers lui, Neruda établit un pont avec toute la jeune poésie espagnole. Un poste à Barcelone en 1934 puis à Madrid en 1935, le lient durablement avec cette génération. Il reçoit " l’hommage des poètes espagnols ", fonde la revue de poésie Caballo Verde, qui publie des poètes des deux continents. Bonheur et amitié : il rencontre Délia, sa deuxième femme, et Rafael Alberti leur trouve à Madrid la fameuse " maison des fleurs ", celles dont il refusera de parler à cause du " sang dans les rues ". La guerre civile éclate, en effet, l’année suivante. Sa vie bascule. Lorca est assassiné. Neruda écrit alors le fameux J’explique certaines choses et le Chant aux mères des miliciens morts, qui figureront dans Espagne au cour, recueil qui sera une des parties de la troisième et dernière Résidence sur la terre. Bien entendu, ce n’est pas très diplomatique, et il est renvoyé. Il s’installe à Paris, où il fonde avec Cesar Vallejo le groupe hispano-américain d’aide à l’Espagne. Il se lie avec tous les artistes antifranquistes, notamment Aragon. Puis il rentre au Chili, d’où il anime la lutte pour l’Espagne républicaine. À la mort de son père, il entreprend ce qui deviendra le Chant général, après dix ans d’écriture. Il achète alors à un ancien officier de marine un îlot non loin de Valparaiso : l’Île noire. Épuisé, il n’arrive plus à écrire, d’autant que le nouveau gouvernement de Frente Popular chilien lui demande d’assurer l’accueil de réfugiés républicains au Chili. Deux mille d’entre eux passeront ainsi de France au Chili à bord du Winnipeg. Il est alors nommé consul général au Mexique, qui vit aussi une expérience de gauche. Il fréquente Orozco, Siqueiros, Rivera, les grands peintres muralistes et son ouvre, notamment le Chant général, connaît une nouvelle impulsion et gagne en ampleur.
Retour au pays : élu en 1945 sénateur des provinces minières du Nord, il reçoit le prix national de Littérature et adhère au Parti communiste. Mais Gabriel Gonzalez, élu avec les voix communistes, renverse ses alliances et persécute ses anciens soutiens. Neruda est condamné à la prison pour " trahison de la patrie ", vit dans la clandestinité plus d’un an, puis traverse la Cordillère à cheval vers l’Argentine. Il devient l’homme public international que nous connaissons : congrès mondial de la Paix à Paris en 1949, prix mondial de la Paix à Varsovie (avec Picasso et Paul Robeson), en 1950.
De passage en Italie, il est assigné à résidence dans une des îles tyrrhéniennes, ce qui nous vaudra plus tard le Facteur, le beau film de Michael Radford. En 1952, le proscrit peut rentrer chez lui. La veine cosmique du Chant général s’intériorise dans les Odes élémentaires qui feront l’essentiel de son ouvre de 1954 à 1957, et après, depuis les Raisins et le Vent, jusqu’à Vaguedivague en 1958. Son inspiration fait ensuite retour sur l’autobiographie, avec les cent sonnets de la Centaine d’amour et évidemment le chef-d’ouvre que constitue le Mémorial de l’Île noire, publié pour ses soixante-dix ans, le douze juillet 1964. Mais ni sa vie ni son ouvre ne s’arrêtent là. Candidat communiste, il s’efface pour que se constitue l’Unité populaire. Il en sera l’ambassadeur à Paris. Son ouvre se partage entre le chant de la beauté du monde, en une approche plus secrète comme dans les Pierres du Chili, et une poésie de combat telle que l’Incitation au Nixonicide et éloge de la révolution chilienne, écrit quelques mois avant sa mort.
Connue par quelques poèmes jalons, l’ouvre de Neruda mérite mieux que les clichés hâtifs ressassés par ceux qui ne supportent le poète qu’incompris et illisible. Question de pays ou d’époque ? Neruda fut de son temps, de son espace, mais un peu de curiosité le rend instantanément à ce qui est de tout temps, de toute langue, de tout pays : la poésie.
Tout l’ouvre de Pablo Neruda traduit est disponible chez Gallimard, à l’exception des Cahiers de Temuco, aux éditions du Temps des Cerises. Hauteurs de Machu-Pichu aux éditions Seghers.
Ricardo Neftali Reyes Basoalto naît à Parral le 12 juillet 1904, fils de Jose Reyes Morales, cheminot et de Rosa Neftali Basoalto Opazo, institutrice, qui meurt deux mois après sa naissance. Son enfance se passe dans la petite ville de Temuco, dans la province éloignée d’Araucanie. Il sera durablement marqué, à la fois par la forte culture indienne de la région, et par l’omniprésence de la nature, par l’ampleur de l’espace. Ses premiers poèmes connus datent de ses quatorze ans. À seize, il prépare deux livres de poèmes signés Neruda, non publiés. En 1921, il s’installe à Santiago pour y étudier le français, il écrit, dit-il, un poème par jour et reçoit le prix de l’association des étudiants. Par ailleurs, il s’associe aux manifestations des ouvriers en grève. Après Crépusculaire, une plaquette publiée à compte d’auteur, il compose, à vingt ans, son premier chef-d’ouvre : Vingt poèmes d’amour et une chanson désespérée. Les lecteurs français, qui le connurent bien plus tard, ont toujours eu du mal à détacher ce livre du Neruda de la maturité : c’est que le jeune homme, avec sa mélancolie traversée d’accès d’une vitalité pleine de sève, est resté, malgré l’usure de la vie et de ses combats, malgré la monumentalité de l’ouvre qui suivit, le même.
Très tôt reconnu, il abandonne ses études pour se consacrer à la littérature, avec un penchant marqué pour l’avant-garde de l’époque, André Breton et ses précurseurs " voyants " : William Blake, Rimbaud, Lautréamont. Ne bénéficiant pas des revenus qui lui permettraient, comme tout littérateur qui se respecte, de vivre en rentier, il entre dans la " carrière ", comme on dit encore à cette époque où la langue internationale est le français, où Neruda excelle. Le voici à vingt-trois ans consul à Rangoon. Il y compose, dans une solitude absolue, la première Résidence sur la terre. La puissance de la nature d’Asie, le mal du pays, la vanité de ses amours avec Josie Bliss, une jeune birmane " anglicisée " font de ce premier recueil un moment attachant de l’ouvre nérudienne, où les thèmes les plus personnels se tressent aux fils d’un hymne à la beauté du monde et de ses peuples. Après Colombo, Batavia, où il se marie avec une jeune hollandaise connue dans ses poèmes sous le nom de " Maruca ", il poursuit sa carrière par Buenos Aires où il fait en 1933 la rencontre " la plus importante de sa vie ", celle de Federico Garcia Lorca.
Avec Lorca, à travers lui, Neruda établit un pont avec toute la jeune poésie espagnole. Un poste à Barcelone en 1934 puis à Madrid en 1935, le lient durablement avec cette génération. Il reçoit " l’hommage des poètes espagnols ", fonde la revue de poésie Caballo Verde, qui publie des poètes des deux continents. Bonheur et amitié : il rencontre Délia, sa deuxième femme, et Rafael Alberti leur trouve à Madrid la fameuse " maison des fleurs ", celles dont il refusera de parler à cause du " sang dans les rues ". La guerre civile éclate, en effet, l’année suivante. Sa vie bascule. Lorca est assassiné. Neruda écrit alors le fameux J’explique certaines choses et le Chant aux mères des miliciens morts, qui figureront dans Espagne au cour, recueil qui sera une des parties de la troisième et dernière Résidence sur la terre. Bien entendu, ce n’est pas très diplomatique, et il est renvoyé. Il s’installe à Paris, où il fonde avec Cesar Vallejo le groupe hispano-américain d’aide à l’Espagne. Il se lie avec tous les artistes antifranquistes, notamment Aragon. Puis il rentre au Chili, d’où il anime la lutte pour l’Espagne républicaine. À la mort de son père, il entreprend ce qui deviendra le Chant général, après dix ans d’écriture. Il achète alors à un ancien officier de marine un îlot non loin de Valparaiso : l’Île noire. Épuisé, il n’arrive plus à écrire, d’autant que le nouveau gouvernement de Frente Popular chilien lui demande d’assurer l’accueil de réfugiés républicains au Chili. Deux mille d’entre eux passeront ainsi de France au Chili à bord du Winnipeg. Il est alors nommé consul général au Mexique, qui vit aussi une expérience de gauche. Il fréquente Orozco, Siqueiros, Rivera, les grands peintres muralistes et son ouvre, notamment le Chant général, connaît une nouvelle impulsion et gagne en ampleur.
Retour au pays : élu en 1945 sénateur des provinces minières du Nord, il reçoit le prix national de Littérature et adhère au Parti communiste. Mais Gabriel Gonzalez, élu avec les voix communistes, renverse ses alliances et persécute ses anciens soutiens. Neruda est condamné à la prison pour " trahison de la patrie ", vit dans la clandestinité plus d’un an, puis traverse la Cordillère à cheval vers l’Argentine. Il devient l’homme public international que nous connaissons : congrès mondial de la Paix à Paris en 1949, prix mondial de la Paix à Varsovie (avec Picasso et Paul Robeson), en 1950.
De passage en Italie, il est assigné à résidence dans une des îles tyrrhéniennes, ce qui nous vaudra plus tard le Facteur, le beau film de Michael Radford. En 1952, le proscrit peut rentrer chez lui. La veine cosmique du Chant général s’intériorise dans les Odes élémentaires qui feront l’essentiel de son ouvre de 1954 à 1957, et après, depuis les Raisins et le Vent, jusqu’à Vaguedivague en 1958. Son inspiration fait ensuite retour sur l’autobiographie, avec les cent sonnets de la Centaine d’amour et évidemment le chef-d’ouvre que constitue le Mémorial de l’Île noire, publié pour ses soixante-dix ans, le douze juillet 1964. Mais ni sa vie ni son ouvre ne s’arrêtent là. Candidat communiste, il s’efface pour que se constitue l’Unité populaire. Il en sera l’ambassadeur à Paris. Son ouvre se partage entre le chant de la beauté du monde, en une approche plus secrète comme dans les Pierres du Chili, et une poésie de combat telle que l’Incitation au Nixonicide et éloge de la révolution chilienne, écrit quelques mois avant sa mort.
Connue par quelques poèmes jalons, l’ouvre de Neruda mérite mieux que les clichés hâtifs ressassés par ceux qui ne supportent le poète qu’incompris et illisible. Question de pays ou d’époque ? Neruda fut de son temps, de son espace, mais un peu de curiosité le rend instantanément à ce qui est de tout temps, de toute langue, de tout pays : la poésie.
Alain Nicolas
Article paru
le 25 septembre 2003
le 25 septembre 2003
dans le journal l'Humanité
Tout l’ouvre de Pablo Neruda traduit est disponible chez Gallimard, à l’exception des Cahiers de Temuco, aux éditions du Temps des Cerises. Hauteurs de Machu-Pichu aux éditions Seghers.
1 commentaire:
Les grands hommes sont toujours les plus remarquables dès leur enfance. Pourtant, ils sont souvent reniés par leur entourage. Je suis certaine que ses parents n'ont pas du tout approuvé le fait qu'il laisse tomber ses études pour devenir écrivain.
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