PABLO NERUDA DANS « LA CHASCONA »,
PRÈS DU RUISSEAU QUI DESCENDAIT DE
LA MONTAGNE ET IL QUI TRAVERSAIT
SA MAISON PAR DESSOUS.
PHOTO DOMINGO ULLOA
Les Chiliens connaissent bien un poème, Farewell, très populaire dans tout le pays, évoquant des marins qui ont un amour dans chaque port et de vastes serments d’amour éternels, ils partent et jamais ne se retournent, et puis une nuit ils se couchent avec la mort au fond de la mer. Ces paroles d’un poète alors naissant collent peut-être le mieux à son auteur, un certain Pablo Neruda, disparu douze jours après le coup d’État de Pinochet et la mort de son ami Salvador Allende. Quelques jours également après le calvaire d’un autre poète et musicien, Victor Jara. Ces hommes, aux yeux d’une histoire d’espoirs et de rêves brisés, sont désormais associés. Le jour des funérailles de Neruda, des gens courageux l’ont accompagné jusqu’au bout de son voyage en chantant l’Internationale et en égrenant ces trois noms présents " maintenant et toujours ". C’était quelques jours après le putsch militaire du 11 septembre 1973, " le premier acte de rébellion contre la dictature ", selon Volodia Teitelboïm, ami et biographe de Neruda.Il y a trente ans, Pablo Neruda mourait, douze jours après le coup d’État de Pinochet et la disparition de son ami Salvador Allende.
Tous ceux qui, ces jours-ci, ont rendu hommage à Pablo Neruda au Chili, notamment à Isla Negra, à l’ouest de Santiago, en Europe et dans le monde entier ont célébré le poète, l’homme politique et celui qui a réinventé l’histoire de l’Amérique. Trajectoire effectivement hors du commun pour celui qui vit le jour sous le nom de Neftali Reyes Basualto le 12 juillet 1904 à Parral et a vécu son adolescence à Temuco, ville frontière de l’Auricanie entourée par les Andes, si présentes dans son ouvre, notamment dans le Chant général. Il a été élevé par son père cheminot et sa belle-mère Trinidad Candia Malverde (sa mère est morte un mois après sa naissance). Adolescent, il compose ses premiers poèmes et prend le nom de Pablo Neruda en l’honneur du poète tchèque Jan Neruda, réputé pour ses Contes de Mala Strana, une observation minutieuse et malicieuse de la vie des petites gens.
La poésie de Neruda de fait est entièrement autobiographique, il y parle de sa vie, de ses innombrables voyages, de ses connaissances multiples, il ne cesse de chanter l’amour, l’érotisme, la nature. Il a aussi conscience d’être la voix de son peuple, de ceux qui " mangent froid ", selon son expression. Son parti est celui des inconnus et des maltraités. Son héros est l’homme qui rêve de changer la vie et un monde où chaque peuple doit être reconnu.
Dans les années vingt, Neruda embrasse une carrière diplomatique et occupe différents postes de consul en Asie, notamment à Rangoon, Colombo, Batavia (Java) et Singapour. La guerre d’Espagne est le tournant de toute sa vie. Même s’il n’est pas encore un militant politique, l’assassinat de Garcia Lorca à Grenade en 1936 l’a profondément marqué. Volodia Teitelboïm a eu l’occasion de nous le raconter : " La mort de Garcia Lorca, son grand ami, l’a convaincu qu’il fallait riposter au fascisme, non en solitaire, mais de façon collective. Il reconnaît alors le rôle du parti communiste dans la lutte. Il se sent communiste à partir de l’Espagne, même s’il n’adhère au Parti communiste chilien qu’en 1945, année où il deviendra sénateur de la Coalition progressiste nationale. " Durant la guerre d’Espagne, c’est aussi avec détermination qu’il assume sa fonction de " consul spécial pour l’immigration " et affrète un navire de plus de 3 000 réfugiés espagnols en partance pour le Chili. Quand il revient d’Espagne, il passe par le Machu Pichu, qui donna son titre au célèbre poème philosophique. Comme Simon Bolivar, il dit que l’Amérique espagnole, portugaise n’est pas simplement une extension de l’Europe, mais " une mixture " où l’Européen, l’Indien et le Noir descendant des esclaves africains composent une humanité particulière, " notre Amérique ", dit-il à la façon de José Marti, le libérateur de Cuba.
À la fin des années quarante, après l’interdiction du Parti communiste, Neruda entre en clandestinité, jusqu’à sa fuite vers l’Argentine, puis il s’exile vers l’Italie et la France, où il retrouve des " amis d’âme " Paul Eluard et Louis Aragon. On le retrouve encore au Mexique, où il noue une discrète liaison avec la soprano Matilde Urrutia, rencontrée quelques années plus tôt et qui deviendra sa troisième et dernière épouse après sa rupture avec Delia del Carril, qu’il avait connue à Madrid.
Sous le gouvernement d’Allende, Neruda est nommé ambassadeur à Paris, où il recevra la nouvelle de la récompense du prix Nobel. Atteint d’un cancer de la prostate longtemps gardé secret, il demande au président Allende d’être relevé de sa charge diplomatique. Il retourne alors au Chili, à Isla Negra, dans sa maison construite face à l’océan, où il a réuni " ses jouets petits et grands ", sans lesquels il a déclaré ne pouvoir vivre. Le 11 septembre 1973, il est alité quand il apprend le coup d’État militaire, il essaie de capter les informations à la radio et lance à Mathilde qui cherche à le tranquilliser : " C’est le fascisme ! " Quelques jours avant sa mort, il dicte encore les pages de ses mémoires pour condamner le coup d’État de Pinochet, les États-Unis, Nixon et ces civils qui ont trahi la démocratie pour se rendre complices d’un massacre et d’une dictature longue de dix-sept ans.
Bernard Duraud
Article paru
le 25 septembre 2003
le 25 septembre 2003
dans le journal l'Humanité
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